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Live reports / 01.08.2023

Jazz à Sète 2023

15 au 18 juillet 2023.

La programmation de la 28e édition de Jazz à Sète offrait une belle place aux styles musicaux de prédilection de Soul Bag. On la doit à un homme passionné, Louis Martinez, guitariste, professeur émérite au conservatoire de Sète et directeur du festival. Retour sur les moments soul, funk, hip-hop des soirées auxquelles nous avons assisté dans le décor magique du Théâtre de la mer.

Coup de cœur pour Sly Johnson, le 17 juillet. Le chanteur, beatboxer et producteur se présentait en trio avec Laurent Salzard à la basse et Anthony Jambon à la guitare, à la faveur de l’album intitulé “55.4”. Le titre fait référence aux 55 jours du confinement de 2020 que Sly a consacrés à l’écriture des chansons de ce quatrième album solo, qui fait suite à “74” (son année de naissance), “The Mic Buddha” (son pseudonyme durant l’ère Saïan Supa Crew) et “Silvère” (le prénom de naissance du natif de Montrouge).

Sly débute en solo le temps d’un a cappella (« I’m so happy to be here ») puis d’une revisite avec son looper de l’iconique Thank you falettinme be mice elf agin de Sly and the Family Stone. Laurent Salzard (bassiste que Sly avait découvert auprès d’Ed Motta) et Anthony Jambon (guitariste que son ex-manager lui avait présenté) le rejoignent sur la scène de ce théâtre à ciel ouvert qui semble se jeter dans la mer. Un format resserré, sans batterie, au regard du quintet qui l’entourait sur la scène de la Cigale en 2018 et qu’il nommait les 74ers (Laurent Coulondre, Laurent Salzard, Ralph Lavital, Anthony Jambon, Martin Wangermée). Mais un format efficace, puisque dès le premier morceau en trio, le public se lève. En un clin d’oeil la fosse se remplit et danse.

On se rassoit pour une ballade neo soul, Alive, que Sly dédie à son père, amoureux du jazz et des musiques afro-cubaines, suivi de Trust me (D.J. Rogers) et de l’énergique et exutoire Bullshit. À partir du prénom (“Sam”) d’un des spectateurs en fosse, collé à la scène, Sly s’amuse à improviser un intermède avec son looper. Les titres suivants mettent en valeur la plasticité vocale de celui qui codirigeait en fin d’année 2022 le groupe du late night show d’Alain Chabat. C’est ainsi que Sly passe en un même souffle du beatbox aux vocalises (The Mic Buddah) ou du ragga au funk (Everybody dancin’). L’appel de la danse avec You got to move puis une revisite de disco Good times de Chic concluent un set qui paraît trop court, avant une reprise de Georgia on my mind en rappel.

Sly Johnson © Eric Morère

C’est qu’il faut céder la place au mythique groupe Arrested Development, deux fois grammysé, programmé à Sète à l’occasion de leur tournée estivale “For the FKN Love”. 35 ans après leur création à Atlanta et 31 ans après leur hymne légendaire People everyday, reprise du Everyday people de Sly & the Family Stone (le clin d’œil à ce groupe de funk traverse ainsi les deux concerts de la soirée). Huit sur scène avec, en front line, Speech alias Todd Thomas, le fondateur du groupe, encadré par deux chanteuses et danseuses. Fareedah Aleem, collant bleu et tresses rouges, maintient avec une énergie fascinante sa danse africaine durant tout le spectacle.

Après le tube Ease my mind, c’est un champ de smartphones en mode vidéo qui se dresse sous nos yeux dès les premières notes du Everyday people, auquel succède Take me to another place (Tennessee). Gros son, gros show de hip-hop funky avec une ligne de basse qui semble vrombir depuis les entrailles du Théâtre.

Arrested Development © Eric Morère

La veille, le 16 juillet, ce sont neuf musiciens qui prenaient possession de la scène pour un show funk purement instrumental. Une section de cinq cuivres, un trio clavier basse batterie, au service d’un autre kid de Minneapolis, le guitariste Cory Wong. Tous sont vêtus d’un uniforme vintage couleur kaki. Une référence militaire ? En tout cas leur jeu conquérant, à haute teneur en testostérone, mitraille sec.

Derrière son set de batterie et sa cymbale perchée, Petar Janjic impressionne par son jeu physique, tandis que Cory Wong fait étalage d’une technique vibrionnante. Quant aux mélodies, elles semblent sorties de génériques d’émissions TV. Ce n’est pas d’émotion, en effet, qu’il s’agit ici, mais de divertissement, d’entertainment, et “la machine de guerre” Cory Wong fonctionne dans cet ancien fort militaire qu’est le Théâtre de la mer : public debout, fosse remplie.

Cory Wong © Pierre Nocca

En raison de l’annulation de la tournée du Delvon Lamarr OrganTrio, c’est à la jeune virtuose de la basse Kinga Glyk (native de Pologne mais installée à Lyon) qu’était confiée l’ouverture de la soirée du 16 juillet. La vingtaine, déjà quatre albums au compteur, Kinga précise que c’est l’une des dernières fois qu’elle interprète le répertoire de “Feelings” (datant de 2019), puisqu’elle se consacre à la préparation d’un nouvel album pour début 2024.

Entourée du français Nicolas Viccaro à la batterie et de deux claviéristes polonais, Arek Grygo et Michal Jakubczak, Kinga ne cache pas qu’elle n’a pas performé sur scène depuis quelque temps. Les deux premiers titres seront les morceaux funky du concert : l’explicite Let’s play some funky groove, suivi par 5 cookies, dans lequel Kinga reprend le riff immédiatement reconnaissable du Superfreak de Rick James, le tube instrumental de 1981 samplé en 1990 par le rappeur MC Hammer dans U can’t touch this. Si le reste du répertoire n’apporte rien de neuf, il n’en demeure pas moins que Kinga Glyk est une artiste dont nous suivrons l’évolution. 

Crédit photo Patrick Grin (photo de Kinga Glyk)

Nicolas Viccaro, King Glyk © Patrick Grin

Parmi les autres concerts auxquels nous avons assisté, avec un pas de côté au regard de l’univers de Soul Bag, coup de cœur pour le duo Madeleine & Salomon, alias la chanteuse Clotilde Rullaud et le pianiste Alexandre Saada. Leur deuxième album “Eastern Spring” sorti en septembre 2022, qui revisite des chansons engagées du bassin méditerranéen des années 1960 et 1970, fut finalisé à Sète. Le 15 juillet sur la scène du Théâtre de la mer, leur Rhapsodie 2, réarrangeant une pièce de rock anatolien, fait résonner puissamment une invocation intemporelle (« Why is it so hard to share our lands, to love each other, to respect ourselves? »). Puis, à la tombée de la nuit, alors que le fond de scène offre un vol de mouettes, s’élève le somptueux Do you love me?, dépouillé, chargé d’âme, hanté, crépusculaire. De toute beauté.

Madeleine & Salomon © Patrick Grin

Le 18 juillet, splendide concert du trio piano-basse-batterie formé par le pianiste Jean-Pierre Como avec deux artistes danois, Thomas Fonnesbaek à la contrebasse et Niclas Campagnol à la batterie, autour du répertoire de l’album “My Days in Copenhagen” sorti en septembre 2022. Une merveille d’interaction, de connexion et de nuances, dans leur approche de standards de jazz.

L’une des têtes d’affiche du festival, capable de remplir les 2 000 places du Théâtre, était Pat Metheny, pour qui la date du 15 juillet à Sète correspondait à la moitié d’une tournée européenne intitulée “Side-Eye Tour”, étalée sur tout le mois de juillet. Le guitariste de 69 ans aux 20 Grammy Awards se produisait en trio avec deux musiciens plus jeunes, le pianiste Chris Fishman, 25 ans et originaire de Los Angeles, le batteur Joe Dyson, 33 ans et natif de La Nouvelle-Orléans… et une panoplie de guitares que son roadie lui préparait en coulisses et lui apportait sur scène. De ce copieux récital, délivré sans mot dire, l’on retient particulièrement un morceau référencé soul jazz, en trio orgue guitare batterie. À la fin du concert, le trio ajoute un orchestrion, un empilement de percussions tenant dans un espace de la taille d’une armoire, déclenché automatiquement.

Jazz à Sète se poursuivait avec Kham Meslien, Ludovic Louis, Stanley Clarke, Snarky Puppy.

Texte : Alice Leclercq
Photo d’ouverture : Sly Johnson © Eric Morère

Pat Metheny © Pierre Nocca
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