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Live reports / 29.07.2022

Jazz à Sète 2022, Part. 1

15 juillet 2022

Trois plateaux pour une soirée. Fidèle à sa réputation, Jazz à Sète a tenu à frapper fort pour l’ouverture de sa 27e édition. Avec comme chaque année, une programmation habile et audacieuse, pilotée par le fondateur du festival, le passionné et passionnant Louis Martinez, qui tient plus que jamais à associer grands noms et artistes en devenir. D’où qu’ils viennent. Depuis 1985.

21 heures. Premières notes entendues, et premières secousses ressenties quand Gabriel Gosse prend place dans le magnifique écrin du Théâtre de la mer. Le jeune guitariste français, adoubé par Philippe Katerine ou Eddy de Pretto, a délaissé une heure durant les standards pop de la chanson française pour proposer sa propre lecture de la musique instrumentale : aérienne, énergique, rêveuse, dans une formation survoltée et connectée (le trio se connaît depuis très longtemps et ça s’entend), dynamitée par la contrebasse féroce de Bertrand Beruard et le jeu monumental du batteur Antonin Violot. Les morceaux, échappés du premier album studio du multi-instrumentiste rouennais (“Flow”, sorti fin 2021) prennent alors sur scène une autre dimension. Difficile à canaliser, et encore moins à catégoriser dans un style (Jazz ? Fusion ? Electro ?) qui de toute façon, trouverait rapidement ses limites quand lui, se sent libre d’évoluer où bon lui semble : qu’il s’agisse de lâcher son manche pour accompagner un solo de batterie, baguette dans une main, en se jouant des contretemps sur une cymbale, ou bien en nouant quelques accords caribéens chaloupés autour de mélodies plus rectilignes. Confortablement chaussé dans une paire de sneakers argentées ultra fashion, l’élégant et prometteur Gabriel Gosse aura illuminé le début de soirée de tout son talent. De la tête au pied.

Bertrand Beruard, Antonin Violot, Gabriel Gosse
Gabriel Gosse, Antonin Violot

22 h 04. Deuxième artiste programmé, le Californien Julian Lage. Lui aussi guitariste, lui aussi venu présenter un répertoire 100 % instrumental, taillé désormais dans un format chanson, dans lequel sa six cordes a magnifiquement joué le rôle de conteur jazz, rock ou bluegrass, “donnant de la voix” au sein d’un groupe à la fois concentré, enjoué (derrière ses fûts, Dave King n’aura lâché ni le tempo, ni son grand sourire) et très resserré (cette sensation d’être dans un petit club dans une arène de 1 500 places…). Magique. Il aura juste manqué un peu plus de communication et de partage pour permettre au public de vraiment faire corps avec ce magnifique trio.

Julian Lage, Jorge Roeder, Dave King

23 h 17. Dernier à entrer en piste, et sans aucun doute le plus attendu de la soirée : Marcus Miller. Pas besoin de dérouler ici l’incomparable C.V. du légendaire bassiste américain. Le clavier de mon ordinateur finirait par s’user. Mais quand même, allez. 40 ans de carrière, Miles, Vandross, Aretha, Clapton et Santana à ses côtés, des récompenses à la pelle et un jeu/style/toucher reconnaissable entre mille. Légendaire, on vous dit. Dès lors, quoi dire à qui ne l’a pas encore vu ? Que les enceintes ont vibré, très fort, sous les coups de slap assénés d’entrée sur le vrombissant Detroit, morceau tiré de son album “Renaissance”(2012) et étiré ce soir-là sur près de 10 minutes.

Aussi joueur que passeur (Miller aura laissé une large place à ses musiciens, notamment ses deux souffleurs, Russell Gunn à la trompette et Donald Hayes au sax) le New-Yorkais a ambiancé (Slipping into darkness), dédicacé (Mr Pastorius), milité (Goree) et surtout détonné en renvoyant à la niche l’iconique Tutu après seulement quelques mesures, pour laisser place à une jam improvisée autour d’un groove de folie qui allait réussir à réveiller la nuit en toute fin de set. 

Marcus Miller

Le moment aurait pu être grandiose – même inoubliable – sans l’intervention inattendue et frustrante sur scène d’un des membres de l’organisation qui, geste à l’appui (il lui fait signe avec sa montre) est venu indiquer à Marcus Miller qu’il fallait s’arrêter là. Pas de rappel (Come together était pourtant prévu), au revoir expéditif, matériel vite démonté, et lumières rallumées. Après l’heure, c’est plus l’heure. 

Texte et photos : Mathieu Bellisario