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Live reports / 28.09.2022

Jazz à la Villette 2022, Angel Bat Dawid & Tha Brotherhood + Cheick Tidiane Seck

7 septembre 2022.

Cette nouvelle soirée de Jazz à la Villette prend place dans le cadre élégant de la Cité de la musique. Par rapport à la Grande Halle, les sièges sont très confortables et les murs luxueusement décorés. La solennité de l’entrée de Cheick Tidiane Seck correspond à l’atmosphère du lieu. Il arrive seul sur scène, illuminé par un unique projecteur. L’ambiance nous plonge immédiatement dans la simplicité de ce concert en solo. Le musicien malien a en effet plutôt l’habitude des collaborations, c’est donc une rareté que de nous retrouver ainsi devant lui. 

Il va sans dire que l’homme connaît son instrument et que ses mains se baladent, toujours fluides, avec virtuosité sur le clavier. Ses rythmes paraissent parfois simples, mais une petite variation, cassant le rythme, vient émerveiller par sa justesse et sa complexité. Et quand il entre en jeu, le timbre de sa voix ajoute une profondeur saisissante.  

Encore une fois, voir un artiste en live change la perspective qu’on pouvait en avoir, de nouvelles facettes apparaissent. Cheick Tidiane Seck est beau à regarder jouer. Sa sensibilité et l’intention qu’il porte dans chaque note sont visibles à l’œil nu : dans ses sourires, dans ses mouvements de jambes et de torse, dans la façon dont il déplace ses bras. L’enregistrement studio, malgré toutes ses qualités, manque cruellement de ces éléments. 

Cheick Tidiane Seck

De ce court instant passé avec lui, on retiendra aussi sa fierté africaine. Le musicien malien, très actif dans la mise en lumière de jeunes artistes de son continent, est un magnifique représentant du visage le plus digne, le plus flamboyant, le plus splendide de l’Afrique. En dédiant une chanson à Aimé Césaire, il affirme lui-même cette lignée. Quand son jeu de piano reprend le dessus après sa lecture d’un texte du poète martiniquais, on sent que c’est la même source qui le fait pianoter.

Dans le même temps, on le perçoit à la croisée des chemins, comme beaucoup de grands artistes sa musique n’est pas complètement genrée. Elle est trop personnelle, touchée par trop d’influences pour être uniquement la musique d’un style ou d’un continent. 

Son concert ne durera pas très longtemps malgré les applaudissements qui l’obligent à revenir pour un rappel. L’occasion d’un dernier titre qui mêle textes mystiques et chants africains. Éblouissant. 

Le début du second concert est surprenant, on ne saurait en fait même pas vraiment quand le placer. Quelques notes, quelques chants se font déjà entendre avec les lumières allumées. Angel Bat Dawid et Viktor Le Givens sont là, dans leur costume coloré, à côté du staff qui range encore des câbles. Angel Bat Dawid commence à nous présenter sa table d’instruments avec humour avant de repartir en coulisse. Il faut dire que le dispositif scénique est imposant, entre cette large table qui entoure la leader, les cinq musiciens et l’écran derrière eux. Les lumières sont toujours allumées quand, au milieu des conversations, un choeur fait vraiment démarrer cette partie de la soirée.

Ce concert n’est pas facile à décrire. Angel Bat Dawid et ses musiciens, Tha Brotherhood, nous embarquent complètement dans leur univers étrange, personnel et fascinant. Le genre est difficile à définir aussi, avec ses emprunts au jazz, au gospel, au hip-hop, à la musique classique, au spoken word… Même le terme de concert ne convient pas complètement. On s’approche parfois du conte et souvent de la performance artistique. C’est une expérience. L’ambiance est radicalement différente de celle du solo de Cheick Tidiane Seck. Le son est colossal, les instruments et les bruits se mélangent dans une harmonie étrange. On ne peut pas chercher à tout comprendre, mais on est dedans. 

Angel Bat Dawid & Tha Brotherhood

On voit dans ce concert la mise en scène d’une cérémonie venant des bas-fonds contemporains de Chicago. Marqué par la folie, les maladies, l’humiliation, la joie et la beauté, la vie et la foi. Angel Bat Dawid y est, comme elle le dit elle-même, « la capitaine ». Avec ses fortes déclarations, sa stature, son charisme imposant et sa place au centre de la scène, elle est réellement la meneuse de ce rituel. C’est aussi son acolyte Viktor Le Givens qui nourrit cette dimension cérémonieuse. Il intervient dans la musique avec quelques instruments, quelques paroles, mais surtout, avec ses costumes et son corps, il semble invoquer le son. 

Tout le sens de cette mise en scène aura été de nous raccrocher à notre part la plus élémentaire et personnelle. La longue déclaration qu’Angel Bat Dawid nous expose à la fin du concert nous l’affirme en mettant en honneur la « black family » à laquelle nous appartiendrions tous, étant les descendants d’une femme noire africaine. Elle n’aura eu de cesse pendant le concert de nous sensibiliser à l’importance de l’amour, du respect et elle nous invite pour clore cette soirée à partir en guerre contre ce qui refuse cet amour. La musique et tout ce qui l’accompagne n’auront été pour elle qu’un moyen pour faire passer ce message. 

Cette soirée aura été celle des splendeurs africaines. Dans des genres inverses, les deux parties auront remis au centre l’humanité et la poésie. Et il est toujours bon de revenir à ces dimensions, et d’y puiser un peu de vitalité. 

Texte : Ami Appert
Photos © Frédéric Ragot

Ami AppertAngel Bat DawidCheick Tidiane SeckFrédéric RagotJazz à la VilletteTha Brotherhood