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Live reports / 13.08.2014

Jazz à Foix

À partir du 21 juillet et pendant une semaine la ville de Foix vit à l’heure du jazz. À l’écart des courants médiatiques et en marge des programmations stéréotypées des grosses machines à spectacles s’y déroule un festival organisé par l’association Art’ Ariège présidée par Éric Baudeigne entouré d’une équipe très efficace de bénévoles.

En dehors des concerts du soir, on y trouve une master class chapeautée par Thierry Gonzales, professeur au Conservatoire de Toulouse, et destinée à une quarantaine de stagiaires. Les animateurs sont Benoît Sourisse (p), Pierre Perchand (g), Claude Egea (tp), Julien Duthu (b), André Charlier (dm) et la chanteuse Sarah Lazarus. Des concerts off ont lieu dans la ville en fin d’après-midi et les soirées se poursuivent par une jam session animée par Pierre Christophe (p), Julien Duthu (b) et Tonton Salut (dm). Sont aussi présentés des dessins de Willem et d’Edmond Baudouin ainsi que les beaux clichés de la photographe Odile Malaganne. N’hésitez pas à consulter son site (odilemalaganne.com) et ne manquez pas de voir ses œuvres si vous en avez l’occasion.

La soirée d’ouverture du lundi 21 juillet proposait deux concerts avec, dans l’ordre d’entrée, les saxophonistes ténor Ricky Ford et Benny Golson. Ricky Ford développe un discours foisonnant nourri à la tradition du jazz la plus authentique, celle de Coleman Hawkins et Sonny Rollins. Sa sonorité ample et chaude fait merveille dans les ballades dont il enjolive la ligne mélodique avec goût. Les années ne semblent pas avoir de prise sur Benny Golson qui, à quatre-vingt-cinq printemps, joue encore avec l’ardeur d’un jeune homme comme l’ont montré ses versions de Whisper not et I remember Clifford. En point final d’une soirée mémorable, les deux compères réunis dans une joute amicale ont interprété MR. P.C. et Take the A train. Leurs accompagnateurs : Kirk Lightsey (p), Doug Sides (dms) et Gilles Naturel (b) ont fourni un soutien digne des plus grands éloges. Écouter des musiciens de cette valeur est un véritable bain de jouvence.

 


Gilles Naturel, Doug Sides, Ricky Ford © Alain Dupuy-Raufaste

 


Kirk Lightsey, Gilles Naturel, Benny Golson, Doug Sides © Alain Dupuy-Raufaste

 

Le lendemain, le collectif Alma Sinti a fait vivre la musique du regretté Patrick Saussois, le créateur du groupe. Une occasion pour Sammy Daussat et Rudy Rabuffetti (g), remplaçant de Jean-Yves Dubanton, Jean-Claude Laudat (acc), et William Brunard (b), de livrer quelques pépites d’un répertoire associant jazz manouche et valse musette (Valse des niglos, Dégringolade). Avec leur invité, le guitariste virtuose Yorgui Loeffler, le groupe a continué sur sa lancée avec d’époustouflantes versions de Swingin’ tiger, Flambée montalbanaise, September song, Nuages et Minor swing.

 


Yorgui Loeffler © Odile Malaganne

 

Le mercredi, l’affiche proposait Mary Stallings accompagnée du trio du pianiste Eric Reed avec Darry Hall (b) et Mario Gonzi (dm). Comment se fait-il qu’une vocaliste de cette envergure ne soit pas plus populaire ? Une diction limpide, une justesse au rasoir, un phrasé souverain et une manière personnelle de s’impliquer dans une interprétation sont autant d’éléments qui font de Mary Stallings une chanteuse d’envergure. Chez elle, aucun effet n’est laissé au hasard. Tout est pensé, mûri puis livré avec une élégance raffinée. Bref, Billie Holiday, Dinah Washington et Carmen McRae ne sont pas loin. Un moment rare d’émotion.

Le lendemain, il revenait à Véronique Hermann-Sambin, accompagnée par le quintette du saxophoniste Xavier Richardeau, d’assurer cette succession délicate. Un répertoire éclectique associant des standards du jazz (The Sidewinder, Sweet Georgia brown) à des compositions de la chanteuse délivrées en créole de la Guadeloupe, son île natale, sur fonds d’un groove venu en droite ligne de la Caraïbe, ont ravi le public même si parfois on frisait la variété de haut vol. Puis vînt le claquettiste et chorégraphe Fabien Ruiz, un vrai musicien capable d’improviser sur des morceaux de jazz (Someday my prince will come). Fabien Ruiz possède l’art des hoofers jusqu’au bout des orteils et sa présentation des figures de base de l’alphabet du tap dancing a été un régal.

Après l’hommage loin du jazz du vendredi au légendaire Paco de Lucia par Bernardo Sandoval, Antonio Ruiz et Serge Lopez (g, vo), le public a pu apprécier, le jour suivant, le saxophoniste Gary Bartz accompagné par le trio du pianiste Kirk Lightsey avec Tibo Soulas à la basse et Sangoma Everett à la batterie. Très élégant dans son costume gris, Bartz a interprété à l’alto quelques-uns des classiques de son répertoire : Soulstice, Ask me know, Honky tonk. Sa manière volubile de déconstruire la ligne mélodique d’un morceau pour la retrouver quelques notes plus loin peut paraître déroutante mais le blues n’est jamais bien loin. Son interprétation toute personnelle au saxophone soprano de Si tu vois ma mère fut un bel hommage à Sidney Bechet.

 


Kirk Lightsey, Tibo Soulas, Gary Bartz, Sangoma Everett © Alain Dupuy-Raufaste

 

Le dimanche, il revint à l’Anachronic Jazz Band d’apporter une touche finale au festival.  La démarche de l’AJB, fondée en 1976 par Philippe Baudouin et Marc Richard, est de renouveler des thèmes du jazz dit moderne en les interprétant à la manière du jazz des années vingt. Se produisaient ce soir-là les membres historiques du groupe (Philippe Baudoin (p), Marc Richard (cl, s), Patrick Artero (tp), André Villéger (s), Daniel Huck (voc, s) et Gérard Gervois (tuba)),  auxquels s’ajoutaient Pierre Guicquéro (tb), Fréderic Couderc (s), François Fournet (bjo) et Sylvain Glevarec (dm). Avec Daniel Huck, en maître de cérémonie à l’humour décapant, l’orchestre a brillamment joué quelques pièces de son répertoire : Round about midnight ; Blue Monk, arrangé à la manière des Red Hot Peppers de Jelly Roll Morton par Baudouin ; Take four, décalé de Take five ; Salt Peanuts, Bernie’s tune, et For Lena and Lennie, écrit à l’origine par Quincy Jones pour les Double-Six de Mimi Perrin et faconné ici par Marc Richard à la façon de Bix Beiderbecke et Frankie Trumbauer. À ceci s’ajoutent Le temps se meurt de 4 à 6, une belle composition de Baudouin sur les accords de Summertime, et les vocaux surréalistes de l’incroyable Huck. Une belle cuvée.

Alain Tomas

Remerciements : Odile Malaganne et Alain Dupuy-Raufaste