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Brèves / 08.12.2011

J. Blackfoot, 20/11/1946 – 30/11/2011

J. Blackfoot est décédé à Memphis le 30 novembre dernier à l’âge de 65 ans. Il était l’archétype du chanteur de deep soul music, un champion de la ballade écorchée, l’un des meilleurs de sa génération. Chez Stax, au sein des Soul Children, puis en solo sur de petites marques, il connut des succès qui lui permirent parfois de sortir de son sud natal. Comme son aîné Tyrone Davis, John Colbert voit le jour à Greenville, une bourgade rurale du Mississippi. Le garçon y marche si souvent pieds nus que, noirs de saleté, ces derniers lui valent bientôt un surnom pour la vie : ce sera J. pour John et Blackfoot pour « pied noir ». Arrivé très jeune à Memphis, vers 1950, il passe peu de temps à l’école et davantage dans les rues. Quelques larcins plus loin, le voilà incarcéré, au milieu des années soixante, dans une prison de Nashville. Là, il croise la route de Johnny Bragg, un détenu célèbre pour sa participation aux Prisonaires. Depuis le milieu de la décennie précédente, ce groupe à géométrie variable enregistre des disques, et c’est ce que fait également Blackfoot avec un 45-tours publié pour Sur-Speed (Surfside slide / Congratulations). Libéré et de retour à Memphis en 1967, le jeune homme chante dans un bar quand il est repéré par David Porter, auteur avec Isaac Hayes de la plupart des succès de Sam & Dave. Pendant quelques mois, Blackfoot tourne avec les Bar-Kays, avant mais surtout après le tragique accident d’avion du 10 décembre 1967. Puis, suite au départ de Sam & Dave pour Atlantic, Stax monte autour de Blackfoot un quartet vocal mixte, c’est-à-dire composé de deux hommes (Norman West et lui) et de deux femmes (Anita Louis et Shelbra Bennett). Sous le nom de Soul Children, le groupe publie quatre albums entre 1969 et 1974 (« Soul Children », « Best Of Two Words », « Genesis » et « Friction »). De The sweeter he is à I’ll be the other woman, l’essentiel de leurs quinze succès chante sur tempos lents les déboires d’amoureux déçus ou trompés. Présents à Wattstax mais sans obtenir d’audience crossover significative, les Soul Children forment l’une des meilleures réussites de la marque aux doigts qui claquent. Entre la faillite de Stax et son éphémère résurrection en 1978, les Soul Children se réduisent à un trio, sans Shelbra Bennett, et trouvent refuge chez Epic pour deux albums récemment réédités en CD par Shout !. À l’heure du disco triomphant, leurs succès deviennent anecdotiques. En revanche, en 1983, J. Blackfoot crée la surprise en publiant sur Sound Town un titre initialement prévu pour Johnnie Taylor. Ballade évidente et imparable, Taxis’impose surtout dans les classements noirs-américains mais aussi, plus modestement, à l’étranger. En Grande-Bretagne, le titre se vend bien et au Japon, Blackfoot est reçu comme un éminent représentant du Memphis Sound, à la fois digne héritier d’O.V. Wright, fier compagnon d’armes de Bobby Womack et rival profane de Joe Ligon, le leader des Mighty Clouds of Joy. Par la suite, jamais les qualités de sa voix ô combien churchy ne faiblissent, mais ses succès s’espacent et finissent par disparaître à la fin des années 1980. La faute à une production de plus en plus synthétique et surtout à un manque criant de promotion et de distribution. Du coup, l’audience de Blackfoot se résume à deux niches principales : le sud des États-Unis et le festival italien de Porretta qui l’accueille à cinq reprises entre 1991 et 2009. Showman invétéré, J. Blackfoot nous y avait montré, lors sa dernière venue, à quel point son art reposait sur les ressorts du gospel le plus dur : prêche laïc, son chant était un cri d’une urgence permanente. Décédé d’un cancer du pancréas dans un hôpital de Memphis, J. Blackfoot sera enterré samedi dans un cimetière de la ville.

Julien Crué