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Hommages / 30.08.2022

Ils nous quittent : Sam Gooden, Roy Tyler, Creed Taylor…

Hommages aux artistes et personnalités disparus récemment.

Sam Gooden (1934-2022)

Originaire de Chattanooga, dans le Tennessee, Samuel Gooden se produit localement dans les années 1950 avec les frères Brooks, Arthur et Richard sous le nom des Roosters. Le destin du groupe est bouleversé quand les trois chanteurs décident de s’installer à Chicago aux environs de 1957. Ils intègrent deux nouveaux membres issus d’une chorale locale, Curtis Mayfield et Jerry Butler, changent leur nom pour devenir les Impressions et, grâce à leur nouveau manager Eddie Thomas, signent avec Vee-Jay. 

Crédité à Jerry Butler & The Impressions, leur premier single, For your precious love, est un immense succès – 3e côté R&B, 11e dans le Hot 100 – qui peut être considéré comme une étape majeure dans l’invention de la soul. Si le groupe connaît ensuite quelques turbulences, avec le départ de Butler puis des frères Brooks et l’arrivée de Fred Cash, il retrouve bien vite le succès avec Curtis Mayfield à sa tête, à la fois comme auteur, guitariste et voix principale du groupe, et les années 1960 sont celles du triomphe, avec une série d’albums et de singles à succès. Si Gooden n’est que rarement la voix principale du groupe (il chante en lead I wanna be around sur “One By One” en 1965 et Aware of love sur “The Fabulous Impressions” en 1967), il lui arrive de seconder Mayfield, par exemple sur le classique It’s all right.

Au départ de Mayfield en 1970, remplacé par Leroy Hutson puis Ralph Johnson, Nate Evans et Reggie Torian, les tubes se font plus rares, mais le groupe continue à enregistrer régulièrement jusqu’au début des années 1980, avant de se concentrer sur le circuit de la nostalgie. Ils enregistrent deux albums peu mémorables dans les années 2000 (“Remembering Curtis” et “I’m Coming Home For Christmas”) ainsi qu’un single plutôt réussi pour Daptone en 2013 et assurent les chœurs sur l’album “Reptile“ d’Eric Clapton.

Après s’être produit pour la première fois en Europe dans les années 2010 – mais jamais en France, hélas –, le groupe prend une retraite définitive en 2018, soixante ans après ses débuts discographiques. Sam Gooden était leur seul à être resté fidèle à l’ensemble tout au long de ces six décennies, sans jamais tenter une carrière solo.

Photo © DR / Collection Gilles Pétard

Roy Tyler (19??-2022)

Né en Louisiane, Roy Tyler commence à chanter à l’église dès son plus jeune âge avant de rejoindre un groupe local, les Soul Gilders, puis de s’installer à Oakland en 1967. Il y intègre les Spiritual Eagles, emmenés par le chanteur Joe Thomas, avant de les quitter avec le fils de celui-ci, Joe Thomas Jr, pour monter en 1972 les Gospel Hummingbirds, qui publient deux albums autoproduits à la fin des années 1970.

Sur “Signs Of Revelations”, le groupe est accompagné à la basse par Ray Wiggins, le futur Raphael Saadiq, alors âgé de treize ans et protégé de Tyler qui le croisera régulièrement par la suite (cf. l’interview de Raphael Saadiq dans notre numéro 236). Habitué du circuit gospel californien, le groupe trouve un autre public à partir de la fin des années 1980 quand il commence à se produire au Eli’s Mile High Club, le fameux club de blues d’Oakland puis dans les festivals blues locaux. En 1991, il publie un album sur le label Blind Pig, “Steppin’ Out”, coproduit par Jim Pugh du Robert Cray Band, qui lui vaut une nomination aux Grammys. Le groupe bénéficie alors d’une visibilité particulière, apparaissant notamment en 1994 sur l’album d’un autre ancien du circuit gospel d’Oakland, Joe Louis Walker (“J.L.W.”), mais aussi sur des disques de Huey Lewis & the News et des Fabulous Thunderbirds.

Un second album Blind Pig, “Taking Flight”, apparaît en 1995, mais des conflits apparaissent au sein du groupe, et Tyler reprend sa liberté pour monter son propre groupe, New Directions, qui se produit régulièrement aux États-Unis et en Europe et enregistre un album en 2004, “Three Way Calling”, auquel participent Jim Pugh, Raphael Saadiq et Clarence Fountain. S’il ne publie plus d’album par la suite, il reste actif sur scène et en studio, gravant en particulier deux titres, Little sister et Sanctified circle, avec Saadiq. Il collabore régulièrement avec celui-ci par la suite, signant notamment la chanson-titre de l’album “Stone Rollin’” et partageant régulièrement la scène avec lui.

Creed Taylor (1929-2022)

Pas toujours apprécié des critiques qui mettaient en cause des choix artistiques parfois très orientés pop, le producteur Creed Taylor a marqué de sa patte le monde du jazz – au sens très large – des années 1950 aux années 1970, et sa signature orne quelques-uns des plus importants disques de l’époque, tant au plan commercial qu’au plan artistique.

Né en Virginie, il joue de la trompette dans sa jeunesse, mais décide vite de se consacrer à la production de disque. C’est pour Bethlehem Records, à New York, qu’il fait ses débuts au milieu des années 1950. Il travaille avec Chris Connor, Herbie Mann, Carmen McRae, Charles Mingus et bien d’autres, devenant même le directeur artistique du label, avant de rejoindre ABC-Paramount. Il y produit, notamment, Billy Taylor, Quincy Jones, Josh White, Lambert, Hendricks & Ross (le classique “Sing A Song Of Basie”), Candido, Jean DuShon et la chorale Wings Over Jordan, et y lance en interne le label Impulse!, sur lequel il signe en particulier John Coltrane. Si son séjour chez Impulse! est de courte durée, il a le temps de produire des disques majeurs d’Oliver Nelson (“The Blues And The Abstract Truth”) et Ray Charles (“Genius + Soul = Jazz”) avant de passer chez Verve. Il y joue un rôle essentiel dans l’importation des musiques brésiliennes, en particulier avec l’album “Getz/Gilberto” et le tube The girl from Ipanema, tout en produisant des albums à succès pour Wes Montgomery, Jimmy Smith, Stan Getz, Bill Evans, Carl Tjader, Lalo Schifrin, Quincy Jones, Astrud Gilberto, Rosetta Tharpe et bien d’autres.  

En 1967, il rejoint A&M Records, qui lui permet de lancer sa propre marque, CTI Records en travaillant avec des artistes dont il est déjà familier – Herbie Mann, Wes Montgomery, Quincy Jones… – mais aussi avec des débutants relatifs comme George Benson. Il prend son indépendance dès la fin de la décennie, emmenant CTI Records avec lui. Sous sa houlette, le label s’impose comme une des références du jazz des années 1970, combinant qualité artistique et succès commercial – en 1972, la version de Also sprach Zarathustra (2001) par Deodato atteint la deuxième place du Hot 100 ! Freddie Hubbard, Stanley Turrentine, George Benson, Bob James, Chet Baker, Gerry Mulligan, Milt Jackson, Paul Desmond, Art Farmer, Eumir Deodato, Hubert Laws, Herbie Hancock, Joe Farrell, Airto Moreira, Patti Austin et Ron Carter enregistrent pour le label qui tente même de relancer la carrière de Nina Simone avec l’album “Baltimore”.

La filiale Kudu accueille des artistes marqués par le R&B comme  Hank Crawford, Grover Washington Jr., Idris Muhammad, Phil Upchurch ou Esther Phillips, dont la carrière ressuscite grâce au succès de What a diff’rence a day makes. Des problèmes récurrents de distribution viennent cependant parasiter le succès du label, dont l’aventure se termine au début des années 1980. Si Taylor ressuscite ensuite CTI à la fin de cette même décennie, avec une série d’albums publiés jusqu’au milieu des années 1990, les grandes années de gloire sont derrière lui, alors que sa musique est redécouverte par les amateurs de sample, le Nautilus du pianiste Bob James étant un des classiques du genre. Plus discret à partir des années 1990, Taylor gère alors essentiellement son héritage artistique, mettant sur pieds des CTI All Stars qui arpentent les festivals à la fin des années 2000 et collaborant à des rééditions issues de son catalogue.

Joey De Francesco (1971-2022)

Découvert dès son adolescence, l’organiste Joey De Francesco – également trompettiste, saxophoniste et chanteur – a mené une carrière prolifique, bien souvent dans un registre soul jazz. Outre sa riche discographie personnelle, il a enregistré avec Van Morrison, Grover Washington Jr, Houston Person, Miles Davis, Jack McDuff, Danny Gatton, Ray Charles…

Sidney Kirk (19??-2022)

Originaire de West Memphis, Sidney Kirk fait la connaissance d’Isaac Hayes au lycée. Ils participent ensemble à des concours de talents et jouent dans différents groupes comme les Ambassadors ou Calvin and the Swing Cats. Quand Hayes grave son premier disque, Laura, we’re on our last go-round, pour le label Youngstown de Chips Moman, c’est Kirk qui l’accompagne au piano, Hayes se concentrant encore sur le chant. C’est le départ pour l’armée de Kirk qui finit par l’obliger à développer ses talents de pianiste. Les deux hommes se retrouvent quand la carrière personnelle de Hayes décolle. Kirk intègre alors son groupe régulier, le Isaac Hayes Movement, et en devient le directeur musical, en plus d’en être un des claviers. Il accompagne Hayes sur scène comme sur disque, apparaissant notamment sur les albums “Shaft” et “Black Moses” en 1971 ainsi que lors du concert de Wattstax. Il poursuit son rôle d’accompagnateur aux côtés de Hayes jusqu’à la fin des années 1970 et participe également à des albums de Lou Bond, des Masqueraders et des Mar-Keys. Il continue ensuite à se produire localement, enregistrant notamment l’album “After Hours” avec le saxophoniste Archie Fleming.

Paul Garon (1942-2022)

Cofondateur en 1970 de Living Blues, Paul Garon – par ailleurs spécialiste du surréalisme et expert en livres anciens – a été un auteur prolifique : articles, notes de pochette (notamment pour les différents volumes de “Complete Recorded Works In Chronological Order” de Peetie Wheatstraw sur Document), parmi lesquels des biographies de référence de Wheatstraw (The Devil’s Son-In-Law: The Story of Peetie Wheatstraw and His Songs) et Memphis Minnie (Woman With Guitar: Memphis Minnie’s Blues, avec son épouse Beth) ainsi que le classique Blues and the Poetic Spirit

Billy Kaye (1932-2022)

Originaire de Caroline du Nord, Billy Kaye fait ses débuts dès les années 1950 dans l’orchestre de Percy Mayfield. Dans les années 1960, il intègre les groupes de George Benson, Illinois Jacquet et Lou Donaldson, qu’il accompagne sur scène pendant plus de deux décennies. Il enregistre ponctuellement dans les années 1970 aux côtés de George Benson, Stanley Turrentine et Hank Crawford, tout en intégrant brièvement le groupe de Thelonious Monk. Il continue ensuite son rôle d’accompagnateur de luxe – pour Eddie Jefferson, Ruth Brown, Maxine Brown, Gloria Lynne… – tout en menant son propre groupe dans les clubs de New York. Il mène également une carrière sportive, dans le domaine de l’athlétisme, qui lui permet de participer aux Jeux Olympiques de 1952. 

Mike Pela (1950-2022)

Basé à Londres, l’ingénieur du son et producteur Mike Pela a eu l’occasion de travailler avec de nombreux artistes parmi lesquels Maxwell et surtout Sade, avec qui il a collaboré, en tant qu’ingénieur du son ou coproducteur sur l’ensemble des albums. 

Nichelle Nichols (1932-2022)

Considérée comme la première actrice afro-américaine à jouer un rôle de premier plan dans une série télévisée, en tant que Uhura dans Star Trek, ce qui lui a valu le soutien de Martin Luther King, Nichelle Nichols est apparue dans différents films (dont Truck Turner avec Isaac Hayes), séries et pièces, notamment à Broadway. Elle a publié quelques disques, dont l’album “Down To Earth” en 1967. 

Mo Ostin (1927-2022)

Figure légendaire de l’industrie musicale, Mo Ostin a notamment travaillé pour Verve, Reprise, Warner / WEA (qu’il a présidé pendant plus de trois décennies) et DreamWorks Records. Au fil des années, il a été associé à un titre ou à un autre aux carrières de très nombreux artistes, parmi lesquels Jimi Hendrix, Prince, Miriam Makeba, Duke Ellington, George Benson, les Staple Singers, Al Jarreau, Chaka Khan, Miles Davis, Ray Charles…

John King (1944-2022)

Figure de la scène musicale de Memphis, John King avait confondé le label Ardent avec John Fry et Fred Smith au début des années 1960, avant de se consacrer à la radio. Il avait retrouvé le label dans les années 1970 et en était devenu le responsable de la promotion, travaillant régulièrement en lien avec Stax. 

Mike Lang (1941-2022)

Originaire de Los Angeles, le pianiste Mike Lang a mené une longue et fructueuse carrière de musicien de studio, aussi bien pour le cinéma que pour l’industrie musicale, accompagnant sur disque aussi bien Frank Zappa que Garou. Il apparaît ainsi sur des albums de Quincy Jones, Dusty Springfield, Marlena Shaw, Lamont Dozier, Aretha Franklin, Michael Henderson, Billy Preston, Lionel Richie, les Commodores, Rockwell, Willie Hutch, Natalie Cole, Solomon Burke…

Bill Pittman (1920-2022)

Figure éminente de l’élite des studios de Los Angeles dès les années 1950, rattaché au groupe de musiciens qu’il est d’usage d’appeler le “Wrecking Crew”, le guitariste Bill Pittman a enchaîné les séances, souvent dans l’anonymat, accompagnant indistinctement des artistes jazz, pop ou soul, de Buddy Rich aux Byrds, et participant à différentes musiques de film. Il joue en particulier sur des disques de Ray Charles, Jesse Belvin, Plas Johnson, James Brown, Sam Cooke ainsi que sur différentes productions de Phil Spector (notamment le fameux album de Noël). 

Bobby “Slim” James (19??-2022)

Figure des clubs du South Side et du West Side de Chicago, le chanteur et guitariste Bobby “Slim” James n’a pas encombré les bacs des disquaires. Responsable en 1968 d’un obscur single, I really love you, devenu un petit classique northern soul, il avait publié deux albums dans les années 2000, “Beyond The Blues” et “Brand New Man”. 

Warren Bernhardt (1938-2022)

Originaire du Wisconsin, le pianiste Warren Bernhardt s’est essentiellement exprimé, sous son nom et en tant qu’accompagnateur, dans un registre jazz fusion. Il est apparu sur une dizaine d’albums de Rory Block des années 1980 et 1990, ainsi que sur des disques de T-Bone Walker, O’Donel Levy, Jennifer Holliday, Stephanie Mills… 

Jaimie Branch (1983-2022)

Découverte au milieu des années 2000 sur la scène de Chicago, la trompettiste et compositrice Jaimie Branch s’était imposé depuis 2017 comme une des voix majeures du jazz contemporain avec ses trois albums personnels, dont un live, et ses différentes collaborations.

Monnette Sudler (1952-2022)

Figure légendaire de la scène jazz de Philadelphie, la guitariste (et chanteuse occasionnelle) se fait remarquer dès le début des années 1970, travaillant notamment avec Khan Jamal, Byard Lancaster et Sunny Murray. Elle lance sa carrière personnelle à la fin de la décennie, avec une série d’albums pour SteepleChase Records, mais n’enregistre que ponctuellement, en particulier dans les années 1990 et 2000, avec notamment un disque en 2009 pour Heavenly Sweetness, “Where Have All the Legends Gone?”. 

Shonka Dukureh (19??-2022)

La chanteuse et actrice avait récemment incarné Big Mama Thorton dans le biopic sur Elvis Presley réalisé par Baz Luhrmann. Elle préparait la sortie de son premier album personnel, “Lady Sings The Blues”. 

Joël Bizon (19??-2022)

Figure bien connue des habitués des festivals blues des années 1990 et 2000, Joël Bizon a contribué, comme photographe et chroniqueur, à de nombreux fanzines – Goût d’Blues, Blues Feelings, TRB, Virus de Blues, Rollin’ and Tumblin’… – et cofondé BCR La Revue.

Textes : Frédéric Adrian