;
Hommages / 10.07.2022

Ils nous quittent : Patrick Adams, Jim Schwall, Bobby Johnson, Tony Delafosse, Peter B. Lowry, Reggie Edwards…

Hommages aux artistes et personnalités disparus récemment.

Patrick Adams (1950-2022)

Moins visible que certains de ses contemporains, peut-être parce qu’il n’a quasiment jamais ressenti la nécessité de plaquer son nom en couverture d’un disque, Patrick Adams a pourtant largement contribué au son des musiques afro-américaines des années 1970 et 1980, de la soul au hip-hop en passant par le disco, en tant que producteur, arrangeur, compositeur et ingénieur du son. Si les mérites artistiques de ses contributions, en particulier au cœur des années disco, ont parfois été discutés, sa réussite commerciale, avec 32 disques d’or et de platine à son crédit, est incontestable, tout autant que son influence. 

Originaire de Harlem, Adams fait son éducation musicale à la fois sur les bancs de son église et dans les fauteuils de l’Apollo. S’il joue un peu de guitare, c’est l’écriture de chansons, les arrangements et la technique de studio qui l’intéressent le plus. Encore ado, il intègre un groupe vocal, The Sparks, qui publie un single en 1967 et apparaît dans le film Up The Down Staircase tout en se produisant localement. C’est cependant quand il rejoint l’équipe de Perception Records au début des années 1970 pour y développer la filière soul, Today, que sa carrière décolle réellement. Dans ses fonctions de directeur artistique, il écrit et produit pour les principaux artistes du label : Lucky Peterson – dont il coproduit le premier album –, Julius Brockington, J.J. Barnes, Debbie Davis et sa principale découverte, le trio vocal Black Ivory emmené par le chanteur Leroy Burgess, qui classe plusieurs singles dans les charts. Il y publie également un single sous le nom de Patrick Adams Initiative.

Dès 1974, cependant, il prend son indépendance et monte sa propre structure de production, Patrick Adams Productions Music (PAPMUS), qui propose ses services de producteur et d’auteur à différents labels, de Buddah à Atlantic, travaillant à nouveau avec Black Ivory, mais aussi avec Sister Sledge, Al Hudson & The Partners, Ace Spectrum, the New Ingredient… Tout à fait à l’aise avec le son disco naissant, il met son savoir-faire au service de projets commerciaux du genre comme l’Universal Robot Band, Musique ou Inner Life (le classique I’m caught up (In a one night love affair), tout en accompagnant l’adaptation au son du moment d’artistes installés comme Candi Staton, Laura Lee, David Ruffin, Ben E. King ou Eddie Kendricks – parfois au grand désespoir de leurs fans historiques.

Les années 1980 le voient poursuivre dans cette veine disco, au service notamment des labels Salsoul et Prelude, mais aussi prendre le virage du hip-hop, assurant les fonctions d’ingénieur du son sur quelques disques majeurs, dont l’album “Paid in Full” d’Eric B. & Rakim. Plus discret à partir des années 1990, sa musique garde sa popularité et elle est régulièrement rééditée, compilée et samplée.
Photo © DR

Jim Schwall (1942-2022)

Originaire de Chicago, le guitariste et multi-instrumentiste Jim Schwall étudie la musique à l’université de la ville quand il fait la connaissance de l’harmoniciste Corky Siegel. Ensemble ils forment un duo qui commence à se produire régulièrement dans les clubs blues de la ville, comme le Pepper’s Lounge où ils croisent les musiciens malheurs du genre, de Muddy Waters à Howlin’ Wolf en passant par Willie Dixon. Devenu quartet avec l’adjonction du batteur Shelly Plotkin et du bassiste Jos Davidson, le Siegel–Schwall Band s’installe ensuite au Big John’s, où il remplace le Butterfield Blues Band.

Signé par Samuel Charters, le groupe publie un premier album sur Vanguard. Si sa popularité n’atteint pas celle de l’ensemble de Paul Butterfield, il tourne régulièrement sur le circuit rock et blues, se produisant aussi bien au Fillmore qu’au festival d’Ann Arbor. Ouvert à des influences musicales diverses, il participe en 1968 à la création des Three Pieces for Blues Band and Symphony Orchestra de William Russo avec l’orchestre symphonique de Chicago dirigé par Seiji Ozawa, dont une version gravée avec le San Francisco Symphony Orchestra est publiée sur disque cinq ans plus tard sur le prestigieux label classique Deutsche Grammophon.

Après quatre albums sur Vanguard et cinq sur Wooden Nickel, le Siegel–Schwall Band se sépare en 1974, et Jim Schwall monte son propre groupe avec lequel il se produit régulièrement et enregistre ponctuellement, tout en menant une carrière universitaire. Le duo se retrouve néanmoins à la fin des années 1980 avec une rythmique renouvelée – Sam Lay à la batterie – et publie un album live pour Alligator, “The Reunion Concert”. S’il ne retrouve le chemin des studios qu’à une occasion – pour l’album “Flash Forward”, toujours sur Alligator, en 2005 – le groupe devient un habitué du circuit des clubs et festivals américains, tandis que Schwall publie occasionnellement des disques personnels et participe à différents ensembles, dont les Cajun Strangers, responsables d’un album, “Cajun Country Ramble”, sur Swallow en 2009.

Bobby Johnson (19??-2022)

Originaire de Jamaïque, Bobby Johnson s’installe à Londres au début des années 1960 et se lance dans la musique avec son groupe, Bobby Johnson & the Atoms, dont tous les musiciens sont originaires des Caraïbes et dont il est le chanteur. Si sa discographie reste limitée – deux singles pour la marque Ember du controversé Jeffrey Kruger, regroupés en France sur un EP Fontana –, le groupe, qui se situe un peu dans le même créneau que le Ram Jam Band de Geno Washington, s’impose dans les clubs locaux comme le Flamingo, le Q Club ou l’Uppercut – son nom apparaît même sur l’affiche de l’Uppercut que pointe du doigt Otis Redding sur une fameuse photo – et sur les scènes de tout le pays.

À partir des années 1970, Johnson commence à tourner en Europe avec différents groupes – I Baronetti en Italie, le Soul Fisher Show en France… Il s’installe ensuite en Italie puis en Suisse et continue à se produire localement, tout en participant régulièrement au festival de Porretta, où Soul Bag l’interviewe en 2002. C’est à Porretta également qu’il rencontre Jean-François Jiacomino, le patron du big band du Centre International de Valbonne, dont il devient le chanteur attitré pour un hommage à Otis Redding. Il se produit à plusieurs reprises avec l’orchestre à Porretta ainsi qu’au Festival de Nice.

Ken Williams (1939-2022)

Un Grammy est venu couronner au début des années 2000 la carrière de Ken Williams, quand sa composition Let me prove my love to you (enregistrée dans les années 1970 par Main Ingredient) a été utilisée par Alicia Keys dans son You don’t know my name, mais celle-ci avait commencé plus de quatre décennies plus tôt et s’est poursuivie jusqu’à son décès. S’il est tout d’abord interprète, au début des années 1960, sous son nom et au sein des Chuck-A-Lucks et des Superiors, avec une série de singles jusqu’au milieu des années 1970 (dont Come back, pour OKeh, est devenu un petit classique northern), c’est en coulisse qu’il se fait remarquer, comme auteur-compositeur et comme producteur.

Après que quelques-unes de ses chansons ont été enregistrées par Brook Benton, Holly Maxwell, les Royalettes et les Spellbinders, il travaille quelque temps pour le label Date, écrivant et produisant pour Peaches & Herb et Bernard Purdie en particulier. Mais c’est en tant qu’indépendant – il monte sa propre maison d’édition, A-Dish-A-Tunes, à la fin des années 1960 – qu’il connaît réellement le succès, écrivant des chansons pour Carolyn Franklin, Joe Simon, les Shirelles, The Main Ingredient (le classique Everybody play the fool, repris dans les années 1990 par Aaron Neville), Clarence Carter, Donny Hathaway (Love, love, love), Tom Jones, les Four Tops, Millie Jackson & Isaac Hayes, Teddy Pendergrass, Bobby Bland et son collaborateur régulier J.R. Bailey.

À partir du milieu des années 1970, il se lance dans une carrière de choriste de studio, partageant souvent le micro avec Curtis King, Vivian Cherry et Lani Groves sur des disques de Bo Diddley, Reuben Wilson, Joe Simon, Idris Muhammad, Cissy Houston, Gloria Gaynor, Vaneese Thomas, Jimmie Vaughan ou Nile Rodgers, mais aussi côté pop avec Carly Simon, Sting, Tom Jones ou Bette Midler. Il apparaissait encore à la fin des années 2010 sur des disques de Jon Batiste et William Bell. 

Tony Delafose (1962 2022)

Tony débute au sein des Eunice Playboys, l’orchestre de son père John Delafose. De 1980 à 1993, il participe à tous ses disques pour Arhoolie, Maison de Soul et Rounder, au frottoir, à la batterie puis à la basse à partir de 1986. Durant cette période il joue aussi occasionnellement avec Preston Frank, Willis Prudhomme, T Broussard et Jo Jo Reed. 

Après la mort de John Delafose en 1994 il intègre naturellement la formation de Geno Delafose et participe à son premier album solo sur Rounder, “French Rockin’ Boogie”. En 1995 sort Tony Delafose and friend : “A tribute to John Delafose”. Comme son nom l’indique, ce disque est hommage à son père auquel participent Willis Prudhomme, Terrance simien, CJ Chenier, Buckwheat Zydeco, LC Fontenot, Jude Taylor, Leo Thomas et bien sur son frère Geno. Il dirige ensuite sa propre formation et fait paraître sous son nom en 1997 “Treat Me Right” sur le label Zydeco Hound (réédité depuis par Mardi Gras sous le titre “Zydeco Two-Step”). On y note la présence d’un tout jeune Dwayne Dopsie à l’accordéon. En 1998, Christian Esther avait eu l’occasion de l’interviewer à la nouvelle Orléans pour Soul Bag (numéro 1955). 

Après un nouveau disque autoproduit en 2001 (“Jammin’”) en compagnie de son neveu Gerard Delafose, Tony devient un des piliers de l’orchestre de Corey Ledet, tournant régulièrement en Europe. On a pu le voir notamment au festival de Saulieu en 2009. Malheureusement, une longue maladie l’a ensuite écarté de la scène à partir des années 2010. Il est décédé le 1er juillet à Eunice. (Philippe Sauret)

Peter B. Lowry (1941-2022)

Originaire du New Jersey, Peter Lowry fait des études universitaires de biologie, mais sa passion pour la musique, et particulièrement pour le blues, finit par l’emporter. Il commence à écrire à partir du milieu des années 1960 pour le magazine britannique Blues Unlimited, et se lance à partir des années 1970, souvent en lien avec Bruce Bastin, dans l’exploration de la scène blues de Virginie, de Caroline du Nord et du Sud et de Georgie, enregistrant de nombreux artistes locaux et créant l’expression Piedmont Blues pour la désigner.

Après avoir contribué en 1972 à une série de compilations pour Atlantic (la compilation “New Orleans Piano” de Professor Longhair, “Texas Guitar – From Dallas To L.A.” et “Atlanta Twelve String” de Blind Willie McTell notamment), il lance son propre label Trix, dont le catalogue réduit – 17 LP et une poignée de singles – mêle des figures majeures du genre comme Eddie Kirkland, Robert Lockwood Jr, Homesick James ou Honeyboy Edwards et des artistes plus obscurs comme Big Chief Ellis, Peg Leg Sam, Tarheel Slim ou Roy Dunn, dont les disques Trix sont bien souvent les seuls enregistrements en leader.

Si l’aventure du label s’arrête à la fin de la décennie, il poursuit ses enregistrements de terrain et continue à écrire pour différents journaux musicaux, parmi lesquels Blues & Rhythm, Cadence, Jazz Times, Juke Blues et Living Blues. Installé en Australie au milieu des années 1990, il travaille à la fin de la décennie avec Alan Lomax à la série “Deep River Of Song” publiée par Rounder qui puise dans les archives de la Bibliothèque du Congrès. Il a continué à publier des articles dans Blues & Rhythm jusqu’à la fin des années 2010.

Reggie Edwards (19??-2022)

Si sa carrière personnelle se limite à un album jazz devenu culte, “Mystic Beauty”, crédité à Reggie Andrews And The Fellowship et réédité il y a quelques années, l’impact de Reggie Andrews, largement ignoré du grand public, a été majeur, à la fois par ses contributions aux disques des autres et par son rôle d’enseignant et de mentor pour les musiciens de la scène de Los Angeles. En tant qu’auteur-compositeur, arrangeur et producteur, il a été associé à des musiciens aussi divers que Earth Wind & Fire, Patrice Rushen, Rick James (les arrangements de cordes de Super freak), Bloodstone, the Dazz Band (pour qui il co-écrit et produit le tube Let it whip), Donald Byrd (il est “Electronic Music Consultant” sur l’album “Black Byrd”), Mtume, DeBarge. Mais c’est sans doute en tant qu’enseignant à la Locke High School de Los Angeles que son influence a été la plus importante, et des artistes majeurs, parmi lesquels Patrice Rushen, Kamasi Washington, Tyreese, The Pharcyde, Thundercat ou Terrace Martin, le considèrent comme leur mentor.

Bernard Belle (1964-2022)

Originaire du New Jersey, Bernard Belle débute sa vie professionnelle de musicien quand sa sœur Regina, alors choriste pour les Manhattans, lui permet d’intégrer en tant que guitariste l’orchestre du groupe. Mais c’est sa rencontre au milieu des années 1980 avec Teddy Riley qui va faire réellement décoller sa carrière : tous deux sont les pionniers du new jack swing, le son du moment à la fin des années 1980. Avec Riley ou seul, Belle contribue en tant qu’auteur-compositeur et/ou producteur à des disques de sa sœur Regina, Guy, Hi-Five, Michael Jackson (Remember the time), Bobby Brown, Meli’sa Morgan, Morris Day, Mavis Staples, Patti LaBelle, Blackstreet… Très investi également sur la scène gospel, il travaille avec les Winans et apparaît régulièrement dans les émissions spécialisées de la chaîne BET. Des problèmes de santé avaient mis un terme à sa carrière active il y a quelques années.

Danny Russo (19??-2022)

Découvert dans les années 1970 par Victoria Spivey qui l’enregistre à plusieurs reprises sur son propre label (l’album “Victoria Spivey And Her « Danny Boy », Danny Russo”), le chanteur et harmoniciste Danny Russo n’entre que rarement en studio (l’album “Deep Down In My Heart” sur M.C. Records en 1993), mais est longtemps un habitué des clubs new-yorkais comme le Terra Blues et le Dan Lynch’s. Il croise la route de nombreux bluesman, refusant selon la légende d’intégrer l’orchestre de Muddy Waters, mais travaillant régulièrement avec Hubert Sumlin et accueillant dans son groupe une Joanna Connor débutante.

Grachan Moncour III (1937-2022)

Figure influente de la scène jazz – aux côtés notamment de Benny Golson, Herbie Hancock et Archie Shepp, ainsi que sous son propre nom, le tromboniste avait fait ses débuts professionnels à la fin des années 1950 dans l’orchestre de Ray Charles.  

Paul Vance (1929-2022)

Interprète occasionnel, c’est en tant qu’auteur et producteur que Paul Vance se fait principalement remarquer. Si c’est l’improbable Itsy bitsy teenie weenie yellow polka dot bikini qui lui assure le succès, ses chansons sont enregistrées, à partir de la fin des années 1940 par Julia Lee, Johnny Mathis, Buddy Lucas, Brook Benton, Mel Carter, Maxine Brown, Clyde McPhatter, Ben E. King, les Three Degrees, Dee Dee Warwick, Esther Phillips, Natalie Cole, les Shirelles, Little Anthony & The Imperials et bien d’autres, parfois dans des versions produites par leur auteur.

Jim Seals (1941-2022)

Si le soft rock un peu insipide qui le rend célèbre dans les années 1970 avec son camarade Dash Crofts (sous le nom de Seals and Crofts) est fort éloigné des centres d’intérêt de Soul Bag, une partie de ses compositions a été reprise par des artistes soul, de Ray Charles aux Isley Brothers (le classique Summer breeze) en passant par King Curtis, Freda Payne, SOS Band, Lenny Welch, les Monophonics… Avant de connaître le succès, Jim Seals est actif sur la scène rock texane, rejoint les Champs et le groupe de scène d’Eddie Cochran et publie une poignée de singles personnels, dont The yesterday of our love, devenu depuis un petit classique northern.

Joel Whitburn (1939-2022)

Après des débuts dans l’industrie musicale en tant que distributeur chez RCA, Joel Whitburn, grand collectionneur de disques, se spécialise dans l’analyse des classements publiés par Billboard. Il monte en 1970 son entreprise, Record Research Inc., et publie au fil des années plusieurs dizaines d’ouvrages spécialisés, parmi lesquels le classique Top Pop Singles, dont la dernière édition a été publiée en 2019, et différentes déclinaisons thématiques, parmi lesquelles Top R&B Singles et Top R&B Albums. Si l’arrivée d’Internet a fait évoluer les choses, ses ouvrages ont longtemps été des sources d’information indispensables aussi bien pour les professionnels de l’industrie que pour les journalistes et les historiens.

Don Srygley (1961-2022)

Né dans une famille de musiciens – son père, Don Srygley Sr. joue de la guitare sur When a man loves a woman –, Don Srygley s’impose dans les années 1990 comme le principal ingénieur du son des studios Fame, travaillant notamment sur des disques de Greg Alman et Candi Staton.

Textes : Frédéric Adrian