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Hommages / 29.12.2020

Ils nous quittent : Guitar Crusher, Gwendolyn Oliver, Richie Rome, Charley Pride, Edward “Buddy” Banks, Othella Dallas…

Hommages aux artistes et personnalités disparus récemment. 

Guitar Crusher (1931-2020)
Peut-être parce qu’il était, malgré son pseudonyme (souvenir d’un incident où il aurait brisé une guitare sur la tête d’un client de club tapageur), plus chanteur (et harmoniciste occasionnel) que guitariste, Guitar Crusher n’a jamais acquis, malgré une carrière riche et un long séjour européen, de véritable reconnaissance auprès du public français, au point que son décès en septembre 2020 soit passé jusqu’ici inaperçu. 

Né au cœur de la grande dépression à Lake Landing, en Caroline du Nord, Sidney Selby passe sa jeunesse à travailler dans les champs de coton et à chanter à l’église locale chaque dimanche. Installé à New York à l’adolescence, il commence à se produire dans les clubs locaux avec son groupe, The Midnight Rockers. L’ensemble se fait rapidement remarquer, et enregistre en 1962 un premier 45-tours pour le micro-label T& S, accompagné d’un groupe baptisé The Houserocking Mellotones. Ce premier enregistrement est suivi d’une série de singles entre blues et R&B dans les mois suivants pour King et Bethlehem, qui lui permettent de tourner dans tout le pays aux côtés des vedettes du moment comme les Drifters, Ben E. King et les Isley Brothers. Absent des studios pendant cette période, il les retrouve à l’été 1968 avec un attelage improbable : le vétéran Wild Jimmy Spruill, figure majeure de la scène R&B new-yorkaise depuis la fin des années 1950, et les Anglais de Ten Years After, encore au début de leur succès. Le résultat sort en single sur Blue Horizon l’année suivante mais passe inaperçu. Un dernier 45-tours paraît la même année sur Columbia, sans plus de résultats.

Après des années 1970 difficiles, du fait de l’évolution des goûts du public, Guitar Crusher s’installe en Allemagne au début des années 1980 et ne tarde pas à s’imposer sur la scène locale puis européenne, se produisant régulièrement dans les clubs et les festivals et gravant plusieurs albums pour des labels locaux jusqu’à la fin des années 1990, retrouvant parfois des collègues historiques comme Wild Jimmy Spruill (sur l’album “Googa Mooga”, paru sur Blue Sting), Jack McDuff, Melvin Sparks, Benny Bailey ou Calvin Owens, qui produit son album “Message To Man” en 1995. Sur scène et sur disque, Crusher travaille également régulièrement avec des musiciens allemands comme le groupe Black Cat Bone, le guitariste Jimmy Reiter ou le pianiste Christian Rannenberg. Malgré la proximité géographique, il ne se produit que très rarement en France et sa dernière prestation semble remonter à 2015, au festival Lam du Blues, alors qu’il est à l’affiche des festivals dans toute l’Europe jusqu’en 2018. Âgé de 87 ans, il prend alors une retraite bien méritée… Une compilation à la légalité douteuse de ses enregistrements des années 1960 est parue sur un label espagnol en 2011, et ceux-ci se retrouvent dans le désordre sur différentes anthologies.
Photo © DR 

Gwendolyn Oliver (1949-2020)
Originaire de Philadelphie, Gwen Oliver se fait remarquer dès son adolescence sur la riche scène des groupes vocaux de la ville avec les Yum-Yums, qui publient dès 1965 un single pour ABC dont un titre, Gonna be a big thing, deviendra plus tard un classique sur la scène northern. Pris en main par l’influent DJ et producteur local Jimmy Bishop, le groupe se rebaptise Sugar and Spice puis Honey and the Bees, et c’est sous ce nom qu’il enregistre différents singles entre 1966 et 1972 pour Artic, Chess, Josie et Bell, et même un album, “Love”, paru en 1970 et auquel participe l’élite des studios de Philly, de Vince Montana à Leon Huff en passant par Wilbert Hart (des Delfonics), Norman Baker ou Earl Young.

Après la séparation du groupe, elle continue à travailler en studio, contribuant notamment à l’album de William DeVaughn “Be Thankful For What You Got”. En 1976, après avoir publié un single sous l’égide de Jacques Morali – le futur inventeur des Village People – avec Bruce Gray sous le nom de Gwen & Bruce, elle est sollicitée, avec son ancienne collègue de groupe Cassandra Wooten, pour rejoindre The Ritchie Family, un groupe monté par Morali avec l’arrangeur Richie Rome qui a déjà enregistré un premier album avec des musiciens et chanteurs de studio. De 1976 à 1978, Gwen Oliver, Cassandra Wooten et Cheryl Mason Jacks sont les membres officiels du groupe et enregistrent trois albums dans un registre disco très commercial, décrochant notamment un tube avec le medley The best disco in town, qui puise dans les succès du moment. En 1978, cependant, l’aventure se termine : les trois chanteuses sont renvoyées brutalement par Jacques Morali, et remplacées pour le disque suivant crédité à la Ritchie Family ! Mariée à Fred Wesley, Oliver en profite pour mettre un terme à sa carrière musicale. Elle ne participe pas à la reformation du groupe qui se produit aujourd’hui encore sur le circuit de la nostalgie, ni au groupe Cas Mijac emmené par ses deux collègues, et se contente d’apparitions très ponctuelles sur les projets de son mari tels que l’album de Abraham Inc. ‎ “Together We Stand” paru en 2019.

Richie Rome (1930-2020)
Né à Philadelphie, Richard V. Di Cicco – qui se fait appeler, suivant les disques, Richard ou Richie Rome – fait ses débuts sur la scène musicale de la ville au début des années 1960 en tant que pianiste et auteur (ses compositions sont enregistrées par les “teen idols” Frankie Avalon et Fabian, par Nancy Sinatra, mais aussi, en français, par les Compagnons de la Chanson !). C’est cependant en studio qu’il se fait remarquer, travaillant essentiellement comme arrangeur et plus occasionnellement comme chef d’orchestre ou comme producteur. Réputé pour son style luxuriant, parfois à la limite de l’excès, à base de cordes et de cuivres flamboyants, sa patte personnelle est un ingrédient majeur du Philly Sound développé par Gamble & Huff et poursuivi par leurs disciples, mais il a également souvent collaboré, dès le milieu des années 1960, avec un autre amateur de productions baroques, Swamp Dogg, travaillant notamment sur les disques de Doris Duke, Freddie North et de Swamp Dogg lui-même.

Parmi ses premières réussites figure l’arrangement de la version de You’ll never walk alone crédité à Patty (sic) Labelle & The Blue Belles en 1963. Il travaille ensuite, entre autres, sur des disques des Three Degrees, des O’Jays, Brenda & the Tabulations, Peaches & Herb, Bobby Hebb, Inez & Charles Foxx, Ronnie Dyson, Barbara Mason, Jimmy Ruffin, Jackie Moore, The Tymes, Blue Magic, Jean Carne, Bunny Sigler, Lou Rawls, Teddy Pendergrass, les Jones Girls (le tube Nights over Egypt)… Le virage disco convient bien à son approche, et il copilote avec Jacques Morali – le futur inventeur des Village People – le projet Ritchie Family, dont le nom est un clin d’œil à son prénom. Il en produit d’ailleurs le principal tube, The best disco in town, avant d’être écarté par Morali. S’il tente de s’imposer sous son nom au début des années 1980, avec l’album “Deep” publié par Elektra, il réduit significativement son activité à partir du milieu de la décennie. 

Charley Pride (1934-2020)
Éloigné des musiques de prédilection de Soul Bag, Charley Pride n’en est pas moins une figure majeure de l’histoire de la musique américaine. Bardé de prix – 3 American Music Awards, 4 Grammys, dont l’un pour l’ensemble de sa carrière –, Charley Pride était en effet la première superstar afro-américaine de la country, avec une cinquantaine de titres classés dans les dix premières places des classements du genre, dont trente en première position, parmi lesquelles Kiss an angel good mornin’, son seul succès grand public, repris en 1979 par Percy Sledge. S’il est particulièrement populaire dans les années 1970 – il est alors l’artiste au plus grand succès commercial de RCA après Elvis Presley –, il est resté actif jusqu’à ces dernières semaines, apparaissant encore aux Country Music Awards pour y recevoir un prix pour toute sa carrière.

Edward “Buddy” Banks (19??-2020)
C’est au sein des Rude Boys, un groupe R&B de Cleveland dont il est un des fondateurs et dans lequel il chante et joue des claviers, qu’Edward Banks se fait remarquer au début des années 1990. Découvert par Gerald Levert, l’ensemble signe avec Atlantic, et décroche dès son premier album, paru en 1990, deux tubes majeurs, tous deux classés au sommet du classement R&B, Written all over your face et Are you lonely for me. Sorti en 1992, un second album connaît un succès moindre et marque la fin du séjour du groupe chez Atlantic. À la même période, Banks collabore à différents enregistrements des O’Jays, de Keith Sweat, de Men at Large, de Frank McComb ainsi qu’au premier album partagé par Eddie et Gerald Levert. Il retrouve en 1997 ses partenaires des Rude Boys pour l’album “Ruder Than Ever”, mais semble ensuite s’être éloigné de la musique à partir des années 2000. 

Othella Dallas (1925-2020)
Née à Memphis dans une famille musicale – sa mère était pianiste, et WC Handy a été son baby sitter –, c’est dans le monde de la danse contemporaine qu’elle fait ses débuts quand elle est découverte, à tout juste 18 ans, par la grande danseuse et chorégraphe afro-américaine Katherine Dunham. Avec la troupe de celle-ci – qui comprend également Eartha Kitt –, elle se produit dans tout le pays, mais aussi en Europe : en 1946, elle participe à la revue baptisée “Bal Nègre” qui se produit à Broadway, et tourne en France en 1949 avec le spectacle Rhapsodie Caraïbe. Après avoir quitté la Katherine Dunham Dance Company et séjourné quelques temps en Europe, et notamment en France, elle se lance dans une carrière de chanteuse, apparaissant à l’Apollo au même programme que Sammy Davis Jr. et croisant notamment la route de Duke Ellington (elle est une des voix principales du revival de Jump For Joy en 1959) et de Quincy Jones. Installée en Suisse dès 1960, elle y entretient, par son enseignement, l’héritage de Katherine Dunham, tout en s’imposant comme une personnalité majeure de la scène jazz locale, enregistrant plusieurs albums sous son nom et se produisant sur scène jusqu’en 2018. 

Benny Poole (1929-2020)
Figure majeure de la scène jazz de Jackson dans le Michigan, le saxophoniste Benny Poole n’a jamais voulu quitter sa ville natale, même quand James Brown lui a proposé de rejoindre son orchestre. S’il n’a que peu enregistré – une poignée de 45-tours, dont le mini classique Pearl, baby pearl (Latin boo-ga-loo) paru sur le label de Détroit Solid Hit en 1967 –, il a été une présence continue dans les salles locales (assurant en particulier des premières parties pour Ray Charles ou Prince) et a eu l’occasion de jouer avec Grant Green, Richard “Groove” Holmes, Lloyd Price et Jimmy Smith, ainsi que, à leurs débuts, avec Gene Harris, Lyman Woodard et Abbey Lincoln. Il se produisait encore régulièrement dans les clubs de Jackson il y a quelques mois, alors qu’il était nonagénaire. 

Jeff Clayton (1954-2020)
Originaire de Californie, le saxophoniste Jeff Clayton est encore étudiant quand il rejoint l’orchestre de scène de Stevie Wonder, avant de se lancer dans une productive carrière de musicien de studio qui le voit contribuer à des albums de Patrice Rushen, Norman Connors, D.J. Rogers, Earth, Wind & Fire, Jean Carne, Ruth Brown, Dr. John, Natalie Cole, B.B. King, Joss Stone, Nina Simone, Claude Nougaro et même Madonna ! Homme de big bands, il appartient aux ensembles de Count Basie (après le décès du leader titulaire), au Phillip Morris Super Band de Gene Harris (avec lequel il accompagne notamment Ray Charles et B.B. King) et au Clayton-Hamilton Jazz Orchestra co-dirigé par son frère, le bassiste John Clayton. Avec celui-ci, il monte les Clayton Brothers, qui enregistrent plusieurs albums à partir de 1979. 

Stanley Cowell (1941-2020)
Figure marquante du jazz spirituel, responsable sous son nom d’une bonne trentaine d’albums à partir de 1969 et entendu entre autres aux côtés de Gary Bartz, Charles Tolliver, Bobby Hutcherson, Stan Getz et Max Roach, Stanley Cowell était également le cofondateur en 1971 avec Tolliver de la maison de disque Strata-East pour laquelle enregistrent, aux côtés de figures majeures du jazz spirituel, le Juju de James “Plunky” Branch et Gil Scott-Heron (avec Brian Jackson). C’est d’ailleurs sur ce label que Scott-Heron décroche son principal succès commercial, The bottle

Jimmy Thibodeaux (1955-2020)
Originaire d’Eunice en Louisiane, Jimmy Thibodeaux commence à apprendre l’accordéon dès l’âge de 8 ans et revendique l’influence de Belton Richard et Clifton Chenier. À la fin des années 1960, il rejoint l’orchestre du chanteur Camey Doucet, avec lequel il enregistre pour Swallow dans les années 1970 deux albums et une série de 45-tours en général crédités à Camey Doucet-Jimmy Thibodeaux et Musique, parmi lesquels les classiques cajun Mom je suis toujours ton ‘tit garçon (avec en face B le merveilleusement intitulé Hold my false teeth (And l’ll show you how to dance)) et Qui a voler les tartes ? (faute d’orthographe incluse !). Après la séparation de l’ensemble de Doucet, il monte son propre groupe. Devenu un habitué des clubs de Bourbon Street, il enregistre une série d’albums à partir des années 1990 pour Swallow puis Mardi Gras Records. 

John “Ecstasy” Fletcher (1956-2020)
Membre fondateur au début de Whodini, considéré comme un des premiers groupes hip-hop à intégrer le R&B à sa musique, John Fletcher – dont le chapeau à la Zorro est un des éléments de l’identité visuelle de l’ensemble – participe à l’ensemble de leurs succès entre début des années 1980 et le milieu des années 1990 et se produisait encore avec ses collègues sur le circuit de la nostalgie.

Carol Sutton (1944-2020)
Originaire de La Nouvelle-Orléans et habituée des scènes des théâtres de la ville, l’actrice était notamment apparue à l’écran dans Ray et dans la série Treme

Alain Hatot (19??-2020)
Saxophoniste tout-terrain de la scène française – l’Art Ensemble of Chicago et Magma croisent Claude François et Elton John dans sa copieuse discographie –, Alain Hatot a notamment enregistré avec La Velle, Manu Dibango, Luther Allison, Amar Sundy et Bill Deraime. 

Textes : Frédéric Adrian

Charley PrideEdward “Buddy” BanksFrédéric AdrianGuitar CrusherGwendolyn OliverOthella DallasRichie Rome