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Brèves / 31.08.2011

Honeyboy Edwards, dead end road

En 2006, nous avions rencontré Honeyboy Edwards à Oraison (Alpes-de-Haute-Provence), prélude à un article paru dans notre numéro 188. À 91 ans, il assurait deux sets, assistait aux concerts bière(s) en main et il fallait le forcer à quitter les lieux. Le 17 avril 2011, à presque 96 ans, il donnait ce qui restera son dernier show à Clarksdale (Mississippi). Peu après, non loin de là, nous visitions le quartier de Baptist Town à Greenwood, ou il a vécu en 1938 avec un certain Robert Johnson. Nous sommes même entrés dans la baraque violette et bien délabrée où ils ont partagé gîte, couvert et musique. Mais aujourd’hui, seuls persistent les souvenirs. Car le 29 août 2011, à 96 ans, Honeyboy Edwards a parcouru sa dernière route. Il est parti, paisiblement chez lui à Chicago, comme le dit la formule convenue. Nous laissant face au vide sidéral, brisant le dernier maillon, le dernier lien direct avec le Delta Blues originel. Il était bien sûr le dernier partenaire de Robert Johnson encore en vie. Mais il était surtout l’ultime représentant de sa génération, nourrie des géniteurs. On savait l’échéance proche (Honeyboy venait de se retirer, santé déclinante), mais il faudra bien du temps pour mesurer la signification de cette disparition dans l’histoire du blues. Cela explique aussi la place peu courante que nous consacrons à son décès sur ce site. Mais revenons à David Edwards, né le 28 juin 1915 à Shaw (Mississippi), surnommé « Honeyboy » dès l’enfance. Un gamin qui ne tient pas en place, irrésistiblement attiré par ces big roads chantées notamment par Tommy Johnson. L’adolescent quitte vite le cocon familial et croise donc ce Johnson-là et bien d’autres créateurs essentiels du blues : Big Joe Williams (son premier mentor, qu’il accompagne dès l’âge de 14 ans), Charlie Patton, Howlin’ Wolf, Tommy McClennan, Robert Johnson, etc. Parmi ses virées, celle menée avec Robert Johnson, qui s’assimile souvent à de la survie (et dont Johnson ne reviendra d’ailleurs pas), aura évidemment le plus fort retentissement. Et Honeyboy s’aguerrit. Au chant, à la guitare, dans une moindre mesure à l’harmonica, son Delta Blues est très abouti et sa réputation grandit. Mais le hobo magnifique va d’une route à l’autre, d’un train à l’autre, s’arrête juste quand le besoin d’argent se fait sentir, joue de sa musique et de ses dés, s’enfuit sous le nez de ceux qu’il a plumés. En 1942, l’ethnomusicologue Alan Lomax l’enregistre enfin pour la Bibliothèque du Congrès, mais un problème technique altère l’essentiel de la séance. Un crève-cœur, car à l’écoute aujourd’hui de ce qu’il en reste, elle s’avère d’un niveau comparable à celle réalisée par Muddy Waters l’année précédente… Après quelques faces en 1951 et en 1953, Honeyboy court plus au nord et se fixe à Chicago, mais sans davantage enregistrer. En 1972, il rencontre l’harmoniciste Michael Frank, également fondateur du label Earwig, début d’un parcours commun qui durera donc 39 ans. Il grave ensuite une douzaine d’albums, dont en 1992 « Delta Bluesman », qui contient les plages exploitables de la session de 1942. Ces opus tardifs sont certes de qualité, mais sa discographie ne rend que partiellement justice à son talent. Ce bluesman exemplaire, du niveau des meilleurs d’un temps où le blues vivait une période cruciale, s’apprêtant à passer du « rural » au « moderne », n’a pas eu l’impact de certains de ses pairs. Mais c’était son choix. Il a préféré l’itinérance, la frénésie de la route. Dès lors, peut-être plus que ses disques, son œuvre fondamentale pourrait bien être son admirable autobiographie, The world don’t owe me nothing (Chicago Press Review, 1997). Un legs dans lequel il raconte son blues, le blues, les blues. Et surtout la vie. Musiciens, promoteurs, producteurs, organisateurs de festivals, journalistes, nous ne sommes que les héritiers d’Honeyboy Edwards. Soyons-en dignes.

Daniel Léon