Jazz Celebration 2024, Théâtre du Châtelet, Paris
09.10.2024
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31 janvier 2024.
Au sein de la riche programmation des Nuits de l’Alligator, Gypsy Mitchell faisait office de surprise… Figure obscure de la scène blues de Dallas, membre historique du groupe gospel funk the Relatives et ancien guitariste du chanteur soul blues Buddy Ace, il ne s’est lancé que récemment dans une carrière sous son nom, apparaissant notamment à l’Eastside Kings Festival d’Austin en 2022 – où mon excellent collègue Éric Heintz le découvre –, et sans avoir jusqu’ici publié de disque. En dehors de quelques titres sortis récemment, c’est donc un quasi-inconnu qui faisait office de tête d’affiche, ce qui n’empêche pas la Maroquinerie d’être très raisonnablement remplie.
Une valeur sûre en première partie : au fil des années, Muddy Gurdy s’est imposé comme un des groupes phares de la scène française – et au-delà – et a confirmé que son instrumentation atypique – la fameuse vielle à roue – n’était pas juste un gimmick mais un choix artistique durable et cohérent. Le début a cappella semble un peu prendre à froid le public, mais les spectateurs ne tardent pas à se laisser séduire par le climat hypnotique et les rythmiques lancinantes de la musique du trio.
Dans un set court, le groupe laisse la part belle aux reprises réinventées comme Help the poor ou Chain gang – la version de Strange fruit, en revanche, me semble être une mauvaise idée – tout en réservant une place aux originaux, comme la rencontre entre boogie et bourrée auvergnate de MG’s boogie, extrait du dernier album en date – le prochain, gravé en Louisiane, ne devrait pas tarder. Le final, sur Skinny woman (rebaptisé ici Skinny man), un titre de R.L. Burnside moins évident que l’habituel Going down south, laisse un goût de trop peu après tout juste 40 minutes de show, mais il est temps de préparer la scène pour la tête d’affiche.
C’est l’orchestre de Gypsy Mitchell qui prend place en premier – Zach Ernst à la guitare, Matt Strmiska à la batterie (tous deux entendus avec Black Joe Lewis & The Honeybears et avec les Relatives), Scott Nelson à la basse (collaborateur régulier de Gary Clark, Jr. et de Kenny Wayne Shepherd) et deux choristes, Sheree Smith (présente sur des disques de Gov’t Mule et de Ruthie Foster) et Madeleine Froncek – pour une version un peu confuse du Rockin’ chair. Long manteau de fourrure gris dont il se débarrasse immédiatement, chapeau et Flying V en bandoulière, Gypsy Mitchell, que sa barbe blanche fait ressembler à Mighty Mo Rodgers, s’offre une entrée spectaculaire.
Il faut dire que, côté charisme et présence scénique, Mitchell offre un spectacle très réussi et d’ailleurs très apprécié du public : descente dans la fosse, jeu derrière la tête, solo joué à genoux, appels à la participation, tous les gimmicks habituels sont de sortie et témoignent d’une grande expérience de la scène, acquise dans les clubs sudistes depuis ses années d’accompagnateur. Mais comme dans une certaine fable, le ramage ne se rapporte pas tout à fait au plumage. Aussi sympathique soit-il, Mitchell est un chanteur très limité et un guitariste plus bavard qu’intéressant lorsqu’il se lance en solo, même s’il est un excellent rythmicien, et ses musiciens, tout à fait compétents, n’ont pas grand-chose de bien orignal à raconter non plus. Dépourvu de répertoire propre ou presque, il se repose sur un choix de reprises plus ou moins inspirées – le rarement repris Who’s fooling who de Bobby Womack dans la première catégorie, le Close to you de Burt Bacharach dans la seconde – qui font l’objet de très longues versions laissant la place à de nombreux solos pas toujours très intéressants (y compris un passage au vocoder sur Who’s fooling who), tandis que Mitchell harangue longuement le public entre les morceaux. Ce dernier semble d’ailleurs sous le charme et répond volontiers aux sollicitations.
Il faut attendre le dernier titre, Movin’ (Down the highway), une composition de Mitchell parue en vidéo il y a quelques mois et qui annonce un album à venir, pour accrocher un peu plus, avant un rappel en mode karaoké sur Knockin’ on heaven’s door… Au vu de l’enthousiasme d’une partie du public, ma déception s’explique peut-être par mes attentes, et Gypsy Mitchel mérite sans doute une autre chance, avec un show plus au point et un répertoire plus affûté.
Texte : Frédéric Adrian
Photos © Fouadoulicious