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Live reports / 04.06.2022

Guy Davis, Sunside, Paris

12 mai 2022.

Une surprise se prépare, on a distribué dans le public des masques à l’effigie de Guy Davis. C’est son anniversaire. Les gens sont venus « from all over the fucking place » me confie mon voisin gallois. On n’est pas très nombreux à être venus voir un concert. Ça parle beaucoup en anglais, les gens se retrouvent, ça fait des années qu’ils ne se sont pas vus. « Chut, chut il arrive ! » L’homme commence à s’installer, un gâteau débarque, l’homme souffle les bougies. Il ne réalise pas tout de suite qui lui a apporté. C’est sa compagne, venue en secret depuis Livingston, Alabama. Il y a quelques minutes, il lui avait dit au téléphone qu’elle lui manquait. Beaucoup de câlins s’ensuivent, ainsi que de “nooon, mais qu’est-ce que tu fais làà ?”, mais en anglais. « C’est pas tout ça mais j’ai un spectacle à lancer moi. » Le spectateur lambda aura tout du long l’étrange impression d’avoir été invité à une fête de famille sans trop connaître grand monde. Davis ouvre sur un morceau joué à la slide sur une douze cordes, ça fait du boucan. Il enchaîne sur un blues classique enjolivé de beaux accords ouverts, qui sont du plus bel effet avec sa voix qui prend des accents soul. 

La situation est un peu désarmante pour l’artiste : « Vous m’avez tous vu tellement de fois en concert, je peux pas faire les blagues que je fais d’habitude. » Cette configuration a des effets inattendus, comme quand il chante un blues vantant les propriétés de sa dulcinée, dans la plus pure tradition, « The woman I love got hips six feet wide », tout en en jetant un coup d’œil à la dulcinée en question. Il enchaîne sur un morceau qu’il a écrit chez elle, et il affirme que c’est là-bas qu’il est le plus productif. « C’est parce que je te nourris bien ! », lui lance-t-elle. « Aha, j’ai l’impression de rêver, c’est bien possible d’ailleurs, je suis un old guy, il m’arrive de faire des siestes impromptues. » On a droit à un très beau Watcha doin de Sleepy John Estes. On a droit à quelques blagues supplémentaires échangées avec le public (« C’est l’heure de faire une chanson de Bob Dylan – Qui ça ? – Je sais pas trop, mais mon pote Richie Havens faisait cette chanson de lui, donc ça doit être un bon gars »).

Tout ça donne une idée de ce que peut être un concert de blues quand le bluesman est parfaitement inséré dans sa communauté, qu’il la connaît par cœur, et qu’il interagit avec elle. Au lieu d’une communauté rurale noire du sud des États-Unis, on a ici un public majoritairement blanc venu d’all over the fucking place.  Le premier set se termine par un hommage au « maestro Sonny Terry ». Le bluesman se lève pour interpréter Long gone, une histoire comique, en mimant le récit et en faisant participer le public. Avec sa ceinture et ses bretelles, Davis prend des airs de clown, rappe, feule, et achève son morceau en appuyant sur son nez tout en produisant un réjouissant “pouet pouet” à l’harmonica. 

Le deuxième set est saturé de reprises de classiques. On commence par un Black snake moan, « à la manière de Leadbelly », on passe par Muddy Waters, avec My eyes (Keep me in trouble), puis encore Dylan avec Lay lady lay. On a droit aux meilleurs moments du concert quand Davis invite Fabrizio Poggi sur scène. L’harmoniciste italien a joué de nombreuses fois avec Davis, et a produit certains de ses albums. Ils commencent Catfish blues. Fab prend son temps, il fait monter la sauce avec des notes interminables. Ils passent à Little red rooster, l’harmoniciste est très investi, écoute son partenaire et produit un très bel accompagnement saccadé pendant que Davis fait japper la salle. Peu de temps après, Davis cède la scène à une amie qui se présente comme une songwriter country qui joue du jazz, inspirée par Django Reinhardt pour deux chansons. 

Davis reprend la scène avec une protest song sur la situation israélo-palestinienne pleine de bonnes intentions et d’universalisme. Pour mettre tout ça en pratique, il fait chanter « Israëeel » et « Palestiiine » en canon à un public de citoyens du monde qui joue le jeu avec plaisir. La participation du public est encore au menu quand il présente une émouvante chanson sur la mortalité écrite pendant la pandémie. On a droit à une petite comptine scato sur Trump qui fait beaucoup rire le public, avant de revenir aux choses sérieuses avec 61 Highway, très réussie, couplée avec See that my grave is kept clean. Il est tard quand nous sortons de la boîte de jazz, et la nuit ne fait que commencer pour Davis et ses nombreux amis qui vont profiter de leur jet lag pour rattraper le temps perdu. 

Texte : Benoit Gautier
Photos © Frédéric Ragot