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Interviews / 25.03.2025

Greentea Peng, L’audace et le cœur

La chanteuse britannique Aria Wells, plus connue sous son nom de scène Greentea Peng et dont le nouvel album “Tell Dem It’s Sunny” est sorti le 21 mars, évoque pour Soul Bag son parcours parfois tortueux qui lui a permis de devenir une artiste complète, inclassable, mais loin d’être inabordable.  

Quelle influence a eu pour toi le fait d’avoir grandi à Londres ? 

Londres est clairement l’une de mes villes préférées, et pas seulement parce que c’est là où j’ai passé mon enfance. De tous les endroits que j’ai connus ensuite, c’est vraiment Londres qui a eu le plus d’impact sur ma vie personnelle et professionnelle. Il y a un tel niveau de liberté, d’anonymat et surtout de diversité, que ce soit en matière de communautés, mais aussi de sons. C’est un vrai vivier d’authenticité et de personnalités dans lequel il est difficile de ne pas se sentir à l’aise. Quand je suis à Londres, je ne sens pas qu’on me regarde différemment, ce qui n’est pas forcément le cas dans les autres villes, que ce soit à Lisbonne ou même Paris. À Londres, je peux chanter dans les rues et personne ne va me juger.

Quelles sont tes plus grandes influences musicales, les styles qui t’ont aidée à devenir ton alter ego musical Greentea Peng ?

J’ai grandi avec différents sons, différents styles de musiques et d’artistes. Mon père, par exemple, adorait Oasis, Iron Maiden, The Clash ou encore Lauryn Hill… C’est un bon mix, non ? J’écoutais aussi beaucoup de musique caribéenne, des groupes typiquement londoniens, du rock… J’ai forcément été influencée sans m’en rendre compte et je pense que cela se ressent dans ma musique aujourd’hui. 

Tu incorpores en effet beaucoup de styles différents dans ta musique et tu te décris toi-même comme une artiste psychédélique, qui n’aime pas forcément être cataloguée.

Oui, je pense qu’il y a assez de gens dans le monde qui vont le faire pour toi, qui vont essayer de te mettre dans une case sans même chercher à te comprendre. Mais j’aime bien être incomprise. D’ailleurs, parfois, je ne me comprends pas moi-même [sourire].

Ton premier album “Man Made” était très ouvert vers l’extérieur, les expériences universelles et collectives. “Tell Dem It’s Sunny” évoque, lui, une forme d’introspection, un voyage plus intime et personnel. Quel a été le point de départ de cette exploration ? 

Je pense que c’est venu naturellement. L’album est arrivé à un moment de ma vie où je vivais ce que j’appelais alors une transition intense. Je n’avais pas d’autres options que de traduire en musique et en chansons mes sentiments, mes tourments… Mais vu le contexte actuel et tout ce qui se passe dans le monde, je pense que j’aurais pu aussi m’ouvrir un peu plus vers l’extérieur. Je me suis perdue dans mes propres histoires, je pense.

Est-ce que tu penses néanmoins que ces deux albums sont connectés et se complètent dans un sens, comme une sorte de yin et de yang ?

Exactement. Il ne peut pas y avoir une exploration de l’extérieur sans revenir à l’intérieur.

En plus des paroles, tu as toujours dit que les fréquences sonores étaient très importantes pour toi. Pour les puristes, le titre Man made a par exemple été enregistré à 432 Hz, Greenzone 108 à 440 Hz. Est-ce que tu as fait un choix particulier pour ce nouvel album et qu’est-ce que cela t’apporte? 

Cette fois, je n’ai pas choisi de fréquences spécifiques. Cet album est plus dans les standards de l’industrie, même s’il y a quelques titres enregistrés à 432 Hz. En réalité, j’aime expérimenter. Cela apporte encore plus de fun à ce métier. 

Dans le titre TARDIS (hardest), tu évoques les trajets que tu fais régulièrement pour te rendre au studio de tes producteurs londoniens Earbuds avec qui tu collabores fréquemment. Comment vous êtes-vous rencontrés ?

Quand je suis rentrée du Mexique en 2017, un ami commun me les a présentés et le premier son qu’ils m’ont envoyé était Moonchild. J’ai adoré et me suis dit : OK ces gars sont bizarres, je dois vraiment travailler avec eux [rires]. Ils m’ont beaucoup apporté. Malheureusement, l’équipe s’est récemment séparée, mais Samo, qui faisait partie du trio, a produit un de mes derniers sons, Create and destroy.

Dans le morceau Green, tu dis à un moment « it’s always sore business when shedding one’s skin ». Y a-t-il eu des moments dans ta vie où tu as senti que tu devais devenir une nouvelle version de toi-même musicalement et personnellement ?

Oui, plein, plein de fois. Ces trente dernières années, j’ai été plusieurs différentes versions de moi-même. Et c’est loin d’être fini j’espère. Je suis toujours en train d’évoluer. Je pense qu’il est nécessaire de se débarrasser de l’ancien soi pour renaître dans une version plus forte. C’est ma vision de la vie.

© William Spooner

“Je pense qu’il est nécessaire de se débarrasser de l’ancien soi pour renaître dans une version plus forte. C’est ma vision de la vie.”

Greentea Peng

Tu as souvent dit que la musique était pour toi un voyage spirituel, voire un moyen de guérison face aux tourments du monde. Encore plus aujourd’hui au vu du contexte actuel ?

C’est une partie importante de ma démarche. Je me sers en effet de la musique pour me guérir moi-même, mais j’espère toujours qu’elle aura le même effet sur les autres et qu’elle pourra notamment les aider à se connecter. Je n’aime pas trop juger ce que font les gens en général, puisque je n’apprécie pas qu’on le fasse envers moi. Mais je ne peux pas non plus ignorer que l’on traverse des périodes vraiment sombres. Je me nourris de ce monde que je qualifie de synthétique où la cupidité et le matérialisme sont les maîtres-mots pour imaginer et sortir des sons engagés. Je trouve qu’il est plus important que jamais de pouvoir s’exprimer honnêtement tout en faisant preuve d’humilité. Mais en même temps, qui suis-je pour donner ce genre de leçon ?

Tu joues de la basse dans certains morceaux de l’album. Quels sont les bassistes avec lesquels tu as grandi et qui t’ont inspirée ou qui t’inspirent aujourd’hui ?

Sans hésiter, mon bassiste Tagara [Mhizha]. C’est le meilleur. Et je ne dis pas ça parce qu’il est dans mon groupe. Je l’aime tellement. Pour moi, il a une vraie touche magique. Il mérite tous les Grammys du monde pour son travail. Après, je ne peux pas oublier non plus Robbie [Shakespeare, du duo Sly and Robbie].

Festival Chorus, La Seine Musicale, Boulogne-Billancourt, 2024 © Frédéric Ragot

“Je me nourris de ce monde que je qualifie de synthétique où la cupidité et le matérialisme sont les maîtres-mots pour imaginer et sortir des sons engagés.”

Greentea Peng

Je voudrais revenir sur ton voyage au Mexique au milieu des années 2010. Tu as dit que c’était à l’occasion de ce séjour que tu étais retombée amoureuse de la musique. Peux-tu parler de cette expérience ?

J’avais décidé de m’éloigner de la musique et même de n’importe quelle forme de créativité pendant un long moment. C’est ce que j’évoque dans Create and destroy. J’avais de l’énergie à transmettre, mais plutôt tournée vers l’autodestruction. Je suis partie au Mexique dans un endroit où je ne connaissais personne et j’y ai trouvé une sorte de refuge entourée de nature, de beautés de toute sorte qui m’a permis de me libérer de quelques habitudes qui étaient trop présentes dans ma vie. J’ai notamment réalisé que j’avais emmagasiné au fil de mes expériences trop d’émotions et de douleurs qui me détruisaient de l’intérieur. Il fallait que je fasse un break et que je retrouve mon propre rythme. Cela a pris près d’un an, mais cela m’a permis de réaliser que j’étais vraiment plus heureuse quand j’écrivais et que je chantais. Et c’est pile au moment où je me disais qu’il fallait que je reprenne ma carrière en main  que le guitariste d’un groupe local est venu me voir dans la rue et m’a dit : « On a besoin d’une chanteuse. » Je me suis dit : OK, c’est parti, je vais suivre ce signe du destin.  Et ça m’a ramené dans la musique. [C’est à cette occasion qu’Aria Wells a décidé de prendre pour nom de scène Greentea Peng en référence à son amour du thé vert.] Je suis très reconnaissante de cette expérience sans laquelle je ne serais peut-être pas là en train de te parler aujourd’hui.

Tu es souvent venue donner des concerts en France, dont l’année dernière au festival Chorus, et tu reviens en mai prochain au Trianon. Que peut-on attendre de ce concert ?

J’ai hâte. Le public peut s’attendre à entrer dans ce que j’appelle la “heart zone”. Mes concerts sont des endroits où l’on se sent en général confortable, avec beaucoup d’amour, de réconfort, de liberté aussi. On m’a déjà rapporté que très souvent, les gens s’y rencontrent, échangent et de nouvelles amitiés se créent. Cela me rend très heureuse. La scène est l’occasion pour moi de communiquer ouvertement, de cœur à cœur.

Propos recueillis par Emma Ragot à Paris le 20 février 2025.
Photo d’ouverture © William Spooner