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Hommages / 31.01.2021

Grady Gaines (1934-2021)

Figure iconique des premières années du rock ‘n’ roll – c’est lui qui monte avec son saxophone sur le piano de Little Richard dans une scène légendaire du film Don’t knock the rock d’Alan Freed en 1956 –, Grady Gaines n’a sans doute pas acquis une notoriété à la hauteur de son parcours aux côtés des artistes majeurs du blues et du rhythm and blues des années 1950 et 1960, la faute sans doute à une carrière reposant plus sur la scène que sur le disque. 

Grady Gaines est né à Waskom, une petite ville à la frontière entre le Texas et la Louisiane, et sa famille s’installe à Houston dans sa petite enfance. Aux côtés de son frère guitariste Roy (cf. son interview dans SB 221), Grady Gaines ne tarde pas à se faire remarquer sur la scène musicale locale avec son groupe, les Blues Ramblers. C’est dans un des multiples clubs où il se produit, le Whispering Pines, que Joe Scott le repère. Auteur-compositeur et arrangeur réputé, Scott travaille pour les labels Duke et Peacock de Don Robey, et c’est son patron, figure majeure (et controversée) de l’industrie musicale texane, qui lui a demandé d’aller l’écouter. Il est séduit par ce qu’il entend, et Gaines, avec ses collègues de groupe, devient vite, à partir de 1953, un habitué des studios de Robey, où il accompagne les vedettes du label, comme Earl Forest, Big Walter Price, Clarence Gatemouth Brown (Dirty work at the crossroads, Midnight hour…) ainsi que des groupes gospel comme les Mighty Clouds of Joy, tout en continuant à se produire dans les clubs. 

En 1955, Little Richard, qu’il a déjà accompagné sur scène, lui propose d’intégrer son groupe de scène, les Upsetters, dont il devient le directeur musical. Pendant plusieurs mois, Gaines arpente tout le pays, apportant son sens du spectacle au show extraverti de son patron. Si Richard continue à enregistrer généralement avec les musiciens de studio de Specialty, les Upsetters l’accompagnent à l’occasion sur disque, et Gaines joue sur plusieurs titres gravés en 1956 dont Keep a knockin et Ooh my soul. Avec l’orchestre, il apparait également derrière Richard dans plusieurs films : outre Don’t knock the rock, il est dans The girl can’t help it et Mr. Rock and Roll, mimant en playback les solos de Lee Allen sur les enregistrements originaux.

La décision de Richard de se retirer de la musique séculière fin 1957 conduit le groupe à se lancer de façon autonome, à la fois sur scène, où le groupe est rejoint par différents chanteurs (dont un Otis Redding encore débutant) et sur disque, avec une série de singles pour différents petits labels. Les Upsetters accompagnent également en studio et sur scène Dee Clark, Lee Diamond, Pearl Woods et Little Willie John, puis, à partir de 1960, ils deviennent l’orchestre régulier de Sam Cooke jusqu’au décès de celui-ci. Ils retrouvent même en toute discrétion Little Richard en 1962 pour deux singles sur Little Star, sur lesquels celui-ci apparaît sans être crédité. Après le décès de Cooke et la séparation des Upsetters, Gaines continue à travailler sur le circuit des concerts, accompagnant notamment Curtis Mayfield et Millie Jackson, tout en publiant ponctuellement quelques singles sur de petits labels. 

Les années 1970 et la vogue du disco réduisent drastiquement ses possibilités de travail, et Gaines, revenu à Houston, finit par abandonner le milieu de la musique pour un emploi plus classique dans le secteur hôtelier. C’est son vieux collègue Milton Hopkins – ancien guitariste de B.B. King notamment – qui le convainc de relancer sa carrière, en l’invitant à participer à ses concerts hebdomadaire dans un club de Houston, le Etta’s Lounge, puis en lui passant le relais pour assurer cette résidence. Gaines monte alors son propre groupe, les Texas Upsetters, avec nombre de vétérans de la scène locale comme le pianiste Teddy Reynolds. Très vite, la réputation de l’ensemble dépasse Houston, et le label Black Top lui propose de retourner en studio.

© Christian Mariette
© Christian Mariette

Paru en 1988 et crédité à Grady Gaines & The Texas Upsetters, “Full Gain” est une masterclass de blues texan, à laquelle participe l’élite des musiciens locaux, du frangin Roy à Clarence Hollimon en passant par le bassiste vétéran Lloyd Lambert. Gaines, qui n’est pas un chanteur, laisse la plupart des parties vocales à d’autres, parmi lesquels le légendaire Joe Medwick. Enregistré quelques mois plus tard à La Nouvelle-Orléans avec une équipe similaire, “Black Top Blues-A-Rama, Vol. 4” documente l’ambiance torride des shows du groupe, tandis que Gaines apparaît en invité de luxe sur les albums de ses collègues de label comme James “Thunderbird” Davis, Anson Funderburgh And The Rockets, Snooks Eaglin, Robert Ward, W.C. Clark…. Il retrouve aussi, plus de quatre décennies plus tard, Clarence Gatemouth Brown, pour l’album “Long Way Home”. Un second album Black Top, enregistré cette fois-ci à La Nouvelle Orléans avec des pointures locales, “Horn Of Plenty”, sort en 1992. 

S’il publie un dernier album personnel en 2002 (“Jump Start” sur Gulf Coast Records), c’est essentiellement à la scène que Gaines, qui continue à entretenir un big band d’une douzaine de musiciens, se consacre ensuite : outre sa résidence, jusqu’au milieu des années 2000, au Etta’s Lounge et les festivals blues, il est un habitué des fêtes et événements privés de Houston et de sa région. Souvent oubliés dans la liste des grands ténors texans, Grady Gaines n’en appartient pas moins à la même élite que des musiciens comme Arnett Cobb, Illinois Jacquet et King Curtis.

Textes : Frédéric Adrian
Photo d’ouverture : Avec Little Richard, 1956. © DR

Grady Gaines and the Texas Upsetters. © DR
Christian MarietteFrédéric AdrianGrady GainesLittle Richard