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Hommages / 07.02.2025

Gene Barge (1926-2025)

Un peu oublié de nos jours, sans doute parce que sa carrière personnelle est restée modeste, Gene Barge – saxophoniste, chanteur, arrangeur, compositeur, chef d’orchestre, producteur et même acteur – a pourtant fait partie, dans les années 1960 en particulier, des grands architectes de la soul et du R&B.

Originaire de Norfolk, en Virginie, Gene Barge commence à se faire remarquer en tant que saxophoniste dans les années 1950 et fait ses débuts discographiques en 1953 avec les Griffin Brothers. S’il se produit essentiellement localement, un premier single sous son nom, Country, publié par Checker, lui permet de se faire une petite notoriété, qui est renforcée par son apparition sur deux tubes de Chick Willis, C.C. Rider et Betty and Dupree, en 1957. Bien que ses goûts personnels de l’époque l’emmènent plutôt vers le jazz, c’est dans un registre de R&B dansant qu’il se fait remarquer grâce au label local Legrand, sur lequel il publie en 1960 avec son groupe, les Church Street Five, l’instrumental A night with Daddy “G”, qui lui donne son surnom le plus courant.

L’année suivante, le chanteur Gary U.S. Bonds ajoute des paroles à ce même instrumental, rebaptisé Quarter to three, et en fait un tube majeur, ponctué par l’exclamation « Blow, Daddy! » de Bonds juste avant le solo de saxophone. Tout en publiant une poignée de singles sur Legrand sous le nom de Daddy “G” And The Church Street Five, Barge contribue aux disques suivants de Bonds ainsi qu’à ceux du chanteur Jimmy Soul, dont le If you wanna be happy devient un tube en 1963. Conscient que sa carrière ne peut qu’être limitée s’il reste à Norfolk – il est encore enseignant en parallèle à son métier de musicien –, Barge décide de faire le grand saut et part s’installer à Chicago en 1964, où il rejoint l’état-major de Chess. 

Saint-Louis, 1997 © André Hobus

À peine arrivé, il prend part à la séance d’enregistrement qui donne naissance au Rescue me de Fontella Bass et, dans la foulée, devient un des acteurs majeures de la production du label, notamment du côté soul, contribuant comme arrangeur, auteur-compositeur ou musicien à des disques de Sugar Pie DeSanto, Mitty Collier, Muddy Waters (les albums “Muddy, Brass & The Blues” et “Electric Mud”), Little Milton (le classique Grits ain’t grocery), Buddy Guy, Billy Stewart, Pigmeat Markham, Koko Taylor (Wang dang doodle), Etta James, Laura Lee… Il travaille également régulièrement avec les artistes gospel du label, des Violinaires aux Meditation Singers en passant par les Soul Stirrers ou la chorale et l’orchestre de l’Operation Breadbasket. Il publie également quelques disques sous son nom, dont un album, “Dance With Daddy G” et une improbable version instrumentale de Blowin’ in the wind produite par Charles Stepney. S’il reste fidèle à Chess après le changement de propriétaire en 1969, il commence également à travailler pour d’autres labels comme Stax, où il contribue au lancement de l’étiquette Gospel Truth, Capitol, où il participe au début de la carrière de Natalie Cole, Mercury (Jerry Butler, Gene Chandler…), Dakar, Brunswick… 

Gene Barge et Eddy Clearwater, Chicago, 2001 © André Hobus

S’il participe en 1982 à une tournée européenne des Rolling Stones, ses activités musicales se réduisent fortement à partir des années 1980, alors qu’il développe une nouvelle carrière, celle d’acteur, apparaissant dans différents films, dont Piège en haute mer avec Steve Seagal et Le Fugitif avec Harrison Ford. Cela ne l’empêche pas de ressortir ponctuellement son saxophone, notamment pour des séances Alligator (Koko Taylor, Johnny Winter, Katie Webster) et pour Syl Johnson, mais aussi et surtout au sein de la section de cuivre des Mellow Fellows, dont il devient le leader de fait après le décès du chanteur Big Twist, rebaptisés quelques années plus tard les Chicago Rhythm & Blues Kings, avec qui il se produit régulièrement, essentiellement à Chicago et dans la région. Il apparaît en 2003 sur un disque du musicien de jazz Malachi Thompson et contribue deux ans plus tard à l’album “New Whirl Odor” du groupe Public Enemy, sur lequel il est crédité en tant que “The Legendary Mr. Gene Barge”. Il publie en 2014 un album solo autoproduit, “Olio”, auquel participent notamment Buddy Guy, Otis Clay, Willie Rogers, Criss Johnson et la section de cuivre d’Earth, Wind & Fire. Habitué du Chicago Blues Festival, il s’y produit une dernière fois en 2022, à l’occasion d’un hommage qui lui est rendu.

Texte : Frédéric Adrian
Photo d’ouverture © Brigitte Charvolin

Chicago, 2009 © Brigitte Charvolin