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Live reports / 23.11.2021

Gabriels, Café de la Danse, Paris

19 novembre 2021.

L’orfèvrerie de studio ne passe pas toujours la rampe du live. Mais elle peut très bien s’y épanouir à merveille et c’est précisément ce qu’a fait Gabriels en clôture d’une soirée du Pitchfork Festival Paris. Un Café de la Danse bien garni attend le trio de Los Angeles, ou plutôt sa version largement augmentée : aux côtés du triptyque micro-violon-claviers occupé par Jacob Lusk, Ari Balouzian et Ryan Hope, rien moins qu’un sextet en renfort. Trois choristes, un contrebassiste, un pianiste et un batteur-vibraphoniste. Le grand jeu. 

Gabriels ne prend pas la déclinaison scénique de sa musique à la légère. On avait beau être prévenu, par YouTube et par une rencontre pour une interview un mois plus tôt, entendre ainsi son répertoire prendre vie en direct en décuple l’intensité. Et le grand gaillard chauve au visage poupon qui se teint au milieu de la scène n’en est pas qu’un peu responsable. Jacob Lusk est un chanteur incroyable. Un ambitus colossal, une puissance contenue phénoménale, une délicatesse folle dans l’ornementation et un phrasé de funambule toujours sur la brèche. Un peu comme un Luther Vandross qui serait habité d’un feu sacré gospel à la Rance Allen. Autant dire pas mal de raisons de frissonner rien qu’avec ce chant majuscule. Et comme le reste est à la hauteur… 

Ryan Hope

Pas question de faire dans la facilité : le groupe entame son set comme son nouvel EP (“Bloodline”, à paraître le 3 décembre), avec l’angoissant Innocence dont l’ostinato claudiquant trouve comme un écho solennel dans le bleu des lumières tamisées. L’occasion de goûter d’emblée à cette pointe de grandiloquence théâtrale dans la voix de Jacob, et à la tension narrative cinématographique déployée par l’ensemble. Le violon d’Ari y joue un rôle central, les nappes extraites des claviers de Ryan densifient l’atmosphère. The blind offre un premier décollage dont le groupe a le secret avant que les projecteurs dévoilent un Jacob tout sourire qui salue une salle conquise.

Revenu sur le devant de la scène, Ari attaque son violon au doigt et, agrémentée par son chœur radieux, l’aura de Blame envahit l’espace. L’impressionnant Bloodline se passe de sa clarinette virevoltante, mais pas de sa fabuleuse montée céleste. Les smartphones se dressent logiquement quand retentit Love and hate in a different time, titre phare qui apporte une accélération de tempo bienvenue et se termine en tournée générale de handclaps. 

Après une entame tout en douceur, Great wind, nouveau morceau qui, comme To the moon and back, sera peut-être au programme d’un premier album prévu pour 2022, expose aussi cette ferveur de bancs d’église et de stomper façon Motown. Mais la richesse de chaque pièce de Gabriels étant difficilement assimilable du premier coup, on retient davantage celles qu’on connaît, tel ce bouleversant Stranger et, en conclusion divine, ce Professionnal allongé d’une nouvelle partie palpitante. Ryan échange un regard complice avec le contrebassiste quand le groove décolle, Ari tisse sa toile au vibraphone, Jacob doit être rendu à peu près au niveau de la stratosphère. Déjà les lumières se rallument. 

Pas de In loving memory ni de Loyalty, mais tout ne pouvait pas entrer dans le créneau imparti par un festival au planning chargé et millimétré. Reste qu’au final, neuf chansons et 45 minutes plus tard, on ne mesure pas tout à fait encore l’ampleur de l’éclosion à laquelle on vient d’assister. Le genre de vibrations que l’on a envie de garder longtemps dans les oreilles, et puis cette envie de dire à la Terre entière qu’en 2022 il faudra guetter l’ange Gabriels, réapparu probablement avec un premier album sous le bras et une ferme volonté de nous emmener très haut.

Texte : Nicolas Teurnier
Photos © Frédéric Ragot

Frédéric RagotGabrielsNicolas Teurnier