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Live reports / 21.09.2018

Festival International de Boogie Woogie

Et le boogie woogie, bordel ?! C’est tout de même une accroche plus cinématographique et dynamique à l’image de son directeur artistique que le banal « pour son 20eanniversaire, le festival international a mis les petits plats dans les grands… » En effet, si l’été venu, la France propose d’innombrables festivals de jazz, il n’y en a qu’un seul qui réunit les talents du boogie woogie au sein des volcans endormis du Cantal. Ils seront les seuls à le rester. Espérons que le passage des équipes de TF1 et France 3 éveilleront la curiosité. Les habitants, la mairie et les organisateurs, aidés par les pouvoirs publics et de nombreux sponsors, s’activent à accueillir les festivaliers dans la convivialité. Deux cafés proposent des pianos pour les jams tardives ; le tabac du coin sort le sien sur le trottoir… Une scène live et des DJ R&B ‘50s (j’y ai même entendu Katie Webster !) font vivre les tentes bondées de danseurs sur le parking. Let’s boogie !

Daniel Paterok (All). Technique et fraîcheur conquièrent la grande salle sportive. Sa Suite moscovite finale déclenche les applaudissements spontanés.

 


Daniel Paterok 

 

Pat Giraud & Stefan Patry (Fr). Les deux organistes Hammond et complices mentor-disciple vont susciter l’enthousiasme collectif tant leur plaisir de jouer est visible. Patry approfondit le soundau pédalier basses mais tous deux alternent solos et accompagnements. Quand ils décident de faire “respirer” leur clavier, Jean-Paul Amouroux intervient alors élégamment au piano. Simon Boyer (dm) et François Fournet (g) supportent idéalement. Vigueur et beauté inédite pour ce répertoire swing Bill Doggett, Jimmy Smith (The Cat), Milt Buckner, Lady B. Gooderevisité, Perdido… Magnifique !

 


Pat Giraud & Stefan Patry

 

 


Jean-Paul Amouroux

 


Francois Fournet, Simon Boyer, Jean-Paul Amouroux, Pat Giraud, Stefan Patry

 

Chaque jour, le festival proposera des duos et trios de pianistes enjoués, dont le jeune Nirek Mokar (Fr), 17 ans, qu’Amouroux, son découvreur, fait participer à toutes les occasions. Beaux progrès. Derrière Sax Gordon, il fera montre d’une frappe redoutable à la Little Richard ! Un regret : la participation trop anecdotique du Toulousain Florian Michiels. Deux couples de danseurs acrobatiques de classe mondiale font aussi passer un souffle dynamique à point nommé.

 


Jean-Paul Amouroux, Nirek Mokar (p), Simon Boyer (dm)

 

 

Mais qui donc a invité Eric Bibb (USA) ? Superbe set de ce baladin de style americana-appalaches, secondé par Staffan Astner, un guitariste électrique Telecaster qui distille littéralement ses précieuses notes, façon Nashville, mais tous deux hors sujet. Y a-t-il eu erreur d’interprétation sur sa stylistique ? Un coup d’œil à son abondante discographie aurait permis de voir qu’il n’était pas le « pur bluesman » (sic) annoncé comme tel dans le programme. Même le correspondant du journal régional La Montagne estima que le long set (1 h 30) aurait dû être réduit de moitié. Le directeur artistique-présentateur ne décolérait pas mais n’en fit rien. Le comité directeur, lui, fut enchanté de la performance. Quant au public, il apprécia mais resta décontenancé. Pédagogiquement, une erreur de casting.

 


Eric Bibb, Staffan Astner

 

 

Christian Cristl (All). Praticien rigoureux d’un style pré-war, il s’efface cependant derrière sa femme, Scarlett Andrews, non programmée, chanteuse bluesy années 1930-40. Nous aurions aimé l’entendre lui davantage en solo.

Jean-Pierre Bertrand Boogie System (Fr). C’est toujours la classe et le swing avec sa formation cuivrée. Un classique du festival et des scènes françaises ; belles envolées lyriques au clavier.

 


Christian Cristl , Scarlett Andrews

 


Gilles Chevaucherie, Jean-Pierre Bertrand

 


Jean-Pierre Bertrand, Gilles Chevaucherie, Claude Braud

 

Battle de big bands. Chapeau à Jean-Paul Amouroux pour avoir fait coexister deux big bands sur une même scène, respectivement ses treize pros regroupés sous l’appellation Big Boogie Band (13 musiciens) et les dix-huit de Philippe Crestée, lui-même au trombone et à la commande bon enfant, déguisés en Glenn Miller et ses militaires américains. Solos alternés, arrangements communs, répertoire rétro de circonstance qui se terminera avec l’inévitable In the mood, magistralement revivifié par les deux orchestres.

 


Philippe Crestée Big Band

 

The Laroq Trio. Une variante de circonstance autour de Julian Phillips (GB, piano) en méforme, Izi Onslow – voix aiguë et sans présence – et un sax qui joue “conversationnel”.  Aucun leadership. J’ai déjà entendu des Oakie boogie et autres Tennessee waltz de meilleure qualité par des groupes de rockabilly.

Christophe Davot-François Fournet-Nicolas Peslier. Ce trio de guitaristes jazzy blues aux instruments vintage démontre leur connivence dès l’ouverture avec un Guitar boogie d’Arthur Smith sans section rythmique. Ils persévèrent dans le style T-Bone Walker qui leur va si bien. D’autres choix plus contemporains seront moins bien assumés.

 


Stephane Swervy, Julian Philliips

 


Izi Onslow

 


Nicolas Peslier, François Fournet, Christophe Davot

 

Mike Sanchez (GB). « Comment faire tenir en 30 minutes mes choix de R&B ‘50s ? » Et d’enchaîner les titres puisés chez Little Willie Littlefield, Fats Domino, Amos Milburn, un hilarant Chantilly lace de Big Bopper (façon Jerry Lee Lewis) en passant par John Lee Hooker-Slim Harpo. Qui plus est, c’est un chanteur expressif sur clavier non tempéré. Rappel !

 


Mike Sanchez

 

Sax Gordon (US). La tornade torride ! Alliant la dynamique acrobatique des sax hurleurs historiques à leurs successeurs plus soul-funky – phrasés à la Junior Walker – le ténor-chanteur honk dès son entrée “en fanfare” depuis la salle : il balaie la scène, l’arpente, se lance dans des chorus rauques et ponctue ses vocaux de riffs gutturaux dans un répertoire adapté plus R&B-Big Jay McNeely. Nos rythmiciens habituels se lâchent et Nirek Mokar joue Little Richard. Le mot triomphe est un euphémisme ! C’est trempé qu’il signera ses CD avant de jammer jusqu’à 6 heures du mat’, dixit un Jean-Paul Amouroux ébahi par son jeu, sa culture et sa vigueur, découvert lors d’une prestation boogie au Caveau de la Huchette à Paris. Le Shake, rattle and roll-Chicken Shack final réunira tous les participants en une joyeuse tournante de talents.

 


Sax Gordon, Nirek Mokar

 

 

The Gospel Ambassadors (US). La version religieuse du R&B est évoquée en l’église du village par les douces harmonies vocales de ce quartet baptiste de Baltimore (Maryland) qui évitera les clichés du genre Oh happy days. Au piano mélodieux : Sherry Margolin, sœur de Bob Margolin, bluesman renommé de chez Muddy Waters. Une heureuse rencontre !

 


The Gospel Ambassadors © Liliane Hobus

 


Sherry Margolin © Liliane Hobus

 

Comme souligné auparavant, cafés et un restaurant gastronomique ont accueilli quelques solistes punchy, dont le ténor Claude Braud.

Et à tout seigneur tout honneur, félicitons Jean-Paul Amouroux pour ses prestations sur et hors scène, en duos, bœufs ou en complément pianistique pendant ces quatre jours et leur préparation. Les deux organistes et l’intégration des deux big bands recueillirent l’adhésion unanime du très nombreux public : une moyenne de 1 200 personnes par soirée. À l’an prochain.

Texte et photos : André Hobus