;
Brèves / 02.06.2018

Eddy Clearwater, mort du chef

Flamboyant. Un qualificatif parfait pour Eddy Clearwater. Flamboyant par son allure, sa malice, son sourire et son regard fixé sur l’horizon. Flamboyant par son sens du spectacle et son rituel de la coiffe de chef indien qui lui vaudra son surnom, “The Chief”. Flamboyant par son jeu de guitare, intense et pénétrant, son éclectisme et son aisance qui favorisaient toutes les facéties. Flamboyant par sa voix rageuse, prenante et tourmentée. Incarnation de la tension-détente, c’était aussi un parolier avisé d’un humour décapant, et en six bonnes décennies d’activité, il avait pris une place considérable parmi les grands interprètes du Chicago blues. Nourri aux sonorités du West Side mais aussi du rock ‘n’ roll de Chuck Berry et de la country de Hank Williams, c’était un artiste complet, d’où sa longévité et sa popularité. C’est dire combien il laisse un vide. Car Eddy Clearwater s’est éteint le 1er juin 2018 des suites d’une attaque cardiaque, à l’âge de 83 ans.

Il naît Edward Harrington le 10 janvier 1935 à Macon, Mississippi, où un cousin, l’harmoniciste Carey Bell Harrington à l’origine de la “dynastie” Bell, verra aussi le jour en 1936. Un terreau qui le destine assurément au blues… Élevé par sa grand-mère Cherokee, il s’intéresse au blues vers 1948 quand sa famille s’installe à Birmingham, Alabama, mais aussi au hillbilly, à la country et au gospel. Il apprend alors à chanter et à jouer, sur une guitare acoustique offerte par son oncle révérend, Houston Harrington. Ledit oncle étant introduit dans le milieu du gospel, Edward commence à se produire avec des groupes dont les fameux Blind Boys of Alabama. Deux ans plus tard, à 15 ans, il suit son oncle à Chicago, où, nanti d’une guitare électrique, il poursuit dans le gospel en soirée et travaille comme plongeur la journée.

 


Mac Thompson, Eddy Clearwater, Chicago, 1972 © Emmanuel Choisnel

 

Mais les sons du blues qui inondent la ville attirent Harrington. Edward assimile facilement ce genre qui vit un âge d’or avec Muddy Waters, Howlin’ Wolf, Elmore James, Little Walter et consorts. En 1953, il se trouve un pseudo, Guitar Eddy, et lance son groupe qui devient assez populaire. Quatre ans plus tard, il entend Chuck Berry et emprunte des ingrédients à son aîné pour façonner son style caractéristique. Un premier single suit en 1958 pour Atomic-H (le label de son oncle), intitulé Hill Billy blues mais qui doit beaucoup à Berry… Un titre par ailleurs crédité à Clear Waters. Un surnom suggéré par le batteur et manager Jump Jackson, en réponse à Muddy Waters ! Jusqu’en 1963, il sort quelques autres singles pour divers labels (Atomic-H, La Salle, Federal et U.S.A.), adoptant au passage le nom d’Eddy Clearwater.

 


Orange, 1978 © Brigitte Charvolin

 


Orange, 1989 © Brigitte Charvolin

 

 


Jean-Pierre Arniac, Eddy Clearwater, Boogie, Levallois-Perret, 1991 © DR

 

Paradoxalement, le registre éclectique de Clearwater (bien qu’il s’oriente de plus en plus vers le West Side) le prive d’un gros contrat. Mais dans les années 1970, sa réputation grandit et lui vaut de participer à des tournées européennes. Le 5 novembre 1976, MCM l’enregistre en public au Ma Bea’s à Chicago et un album sort l’année suivante, “Black Night” (avec Fred Below et Jimmy Dawkins !). Sa carrière est lancée, mais c’est son premier album studio en 1980, “The Chief” (Rosster Blues), qui révèle toutes ses qualités, avec un casting d’exception : Carey Bell (hca), Lurrie Bell (g), Lafayette Leake (p), Joe Harrington (b), Casey Jones (dm), Chuck Smith (bs) et Abb Locke (ts). En 1981, il retrouve Jones et Locke (mais aussi Jimmy Johnson, g) sur “Two Times Nine”, presque aussi réussi et qui contient son “hymne” Came up the hardway.

 

 

 


Vienne, 2008 © Brigitte Charvolin

 


Billy Branch, Jimmy Johnson, Eddy Clearwater, Otis Clay, Chicago, 2008 © Brigitte Charvolin

 



Chicago, 2016 © Brigitte Charvolin

 


Chicago, 2016 © Brigitte Charvolin

 

Ces deux albums imposent le gaucher parmi les maîtres du Chicago blues. Il confirme ensuite via des prestations scéniques toujours incandescentes et des disques d’un niveau élevé, les plus marquants étant peut-être “Blues Hang Out” (1989, Evidence), “A Real Good Time: Live!” (1990, Rooster Blues), “Cool Blues Walk” (1998, Bullseye), “Reservation Blues” (2000, Rounder), “Rock ‘N’ Roll City” (2003, Bullseye, avec Los Straitjackets), “West Side Strut” (2008, Alligator), sans oublier son dernier en 2014 pour Cleartone, “Soul Funky”, très honorable. Nominé sept fois et vainqueur de deux Blues Music Awards (dont celui du meilleur artiste de blues contemporain en 2001), nominé pour un Grammy en 2004 (pour “Rock ‘N’ Roll City”), Eddy Clearwater est entré au Blues Hall of Fame en 2016. Rien de plus mérité.

Daniel Léon

 

 

 


© Brigitte Charvolin