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Brèves / 30.01.2018

Eddie Shaw, 1937-2018

Les sonorités âpres et volubiles de son saxophone auront marqué le blues moderne durant plus de six décennies. Car Eddie Shaw, qui s’est éteint ce 30 janvier 2018 à l’âge de 80 ans, était précoce… Né le 20 mars 1937 sur une plantation non loin de Stringtown, environ 15 kilomètres au nord de Greenville, il apprend la musique dès son enfance. Greenville est une localité importante du Delta, presque deux fois plus peuplée que Clarksdale (plus de 20 000 habitants contre 12 000), avec une scène musicale bien développée. Tout en poursuivant sa scolarité et après avoir brièvement vécu à Rosedale, Eddie arrive à Greenville et s’intéresse d’emblée aux cuivres : il s’essaie au trombone, à la clarinette et bien sûr au saxophone. Il a pour professeur Winchester “Little Wynn” Davis, facteur et chef d’orchestre qui aime faire appel à ses meilleurs élèves pour se produire localement.

Dès ses 14 ans, son niveau lui permet d’intégrer le groupe de son lycée, les Green Tops, et surtout de fréquenter des musiciens comme Charlie Booker, Willie Love, Little Milton, Oliver Sain – saxophoniste comme lui – et Ike Turner. Selon certaines sources, en 1952, il aurait même pris part avec ce dernier à une session d’enregistrement pour la radio WROX à Clarksdale (ville natale de Turner), mais aucune trace ne subsiste de cette session. Eddie Shaw se rend ensuite à Itta Bena pour étudier au Mississippi Vocational College, et en 1957, il est remarqué lors d’un concert par Muddy Waters, qui le convainc de rejoindre son groupe pour la suite de la tournée qui s’achève à Chicago. Shaw n’hésite pas longtemps, et après avoir expédié quelques “affaires courantes”, il s’installe dans la Windy City et retrouve Muddy.

 


Avec Hubert Sumlin, 1971 © DR

 

Pourtant, un autre grand saxophoniste, A.C. Reed, fait déjà partie de la formation de Muddy. Si les deux instrumentistes semblent cohabiter sans difficulté, Shaw a plus de mal avec d’autres membres du groupe, trop enclins à boire et à se quereller. Il le relate dans Moanin’ at Midnight – The Life and Times of Howlin’ Wolf (par James Segrest et Mark Hoffman, Thunder’s Mouth Press, 2005) : « Un soir, on jouait au Mel’s Hideaway à Chicago, sur Loomis et Roosevelt Road. Juste avant le début du show, on attendait, assis dans un break à l’extérieur. Vers 21 heures, Pat [Hare], Mojo Buford et Otis Spann, qui avaient bu, ont commencé à s’engueuler et à se battre. J’ai sauté de la voiture en leur demandant d’arrêter et en disant que j’en avais marre de leurs conneries ! Avant même l’arrivée de Muddy, j’avais quitté le groupe. » Cette scène se situe vers 1962 car Eddie Shaw rejoint alors le groupe de Howlin’ Wolf, avec lequel il restera 14 ans, jusqu’à la mort du Wolf en 1976. Quant à la brouille entre Shaw et Muddy, elle durera quand même cinq ans.

 


Au Banana Peel, Ruiselede, Belgique, 26 janvier 1998 © Dominique Papin

 


Au Banana Peel, Ruiselede, Belgique, 26 janvier 1998 © Dominique Papin

 

Dans les années 1960, Eddie Shaw joue et tourne avec d’autres bluesmen de Chicago, dont Freddy King, Otis Rush et Magic Sam, contribuant ainsi aux belles heures du West Side Sound. En 1966, le saxophoniste grave pour Colt un single sous son nom, sur lequel Magic Sam tient la guitare. Les deux hommes seront à nouveau réunis deux ans plus tard par Delmark sur le célèbre album “Black Magic”, avec aussi Lafayette Leake (piano), Mighty Joe Young (guitare) Mack Thompson (basse) et Odie Payne Jr (batterie). À partir de 1971, Shaw prend de plus en plus d’importance auprès de Howlin’ Wolf dont la santé décline sérieusement, jusqu’à devenir son manager. Et s’il ne joue pas sur le fameux “The London Howlin’ Wolf Sessions” (avec les Rolling Stones, Ringo Starr, Eric Clapton, Stevie Winwood…), il se charge des arrangements. Il écrit également des compositions, pour Howlin’ Wolf toujours (“The Back Door Wolf” en 1973), mais aussi pour Muddy (“Unk & Funk” en 1974).

 


Chicago, 2006 © Brigitte Charvolin

 



Chicago, 2007 © Brigitte Charvolin

 



Chicago, 2010 © Brigitte Charvolin

 

Après le décès du Wolf, il fonde son groupe naturellement baptisé Wolf Gang. Comme il est également un très bon chanteur, il entame véritablement sa carrière personnelle en 1978 – très brillamment sur l’anthologie “Living Chicago Blues” chez Alligator –, durant laquelle il démontrera toujours le même dynamisme sans faille et une propension pour des textes souvent pleins d’humour. En 30 ans, de 1982 à 2012, il signe une dizaine d’albums qui contiennent tous d’excellents moments. Infatigable, il apparaît même dans un film en 2007 (Honeydripper de John Sayles, avec Danny Glover, Gary Clark Jr., Mable John, Keb’ Mo’…), et ne cesse de tourner partout aux États-Unis et dans le monde. C’est bien une figure incontournable parmi les plus attachantes du blues contemporain qui vient de nous quitter.

Daniel Léon

 


Buddy Guy, Ronnie Baker Brooks, Eddie Shaw, Billy Branch, Chicago 2016
© Brigitte Charvolin

 


Chicago 2016 © Brigitte Charvolin