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Hommages / 22.11.2018

EDDIE C. CAMPBELL, 1939-2018

En pleine tournée européenne, en février 2013, Eddie C. Campbell fut victime en Allemagne d’une attaque qui le laissa paralysé du côté droit. Ce fut la fin d’une carrière qui trouvait pourtant un nouvel élan depuis 2010 : on le revoyait alors régulièrement sur nos scènes hexagonales après une bonne quinzaine d’années d’absence… Mais il ne récupéra jamais complètement, et les dernières années de sa vie furent un véritable calvaire pour ce magnifique styliste de la guitare blues au jeu inimitable, identifiable dès que la première note sonnait. On plutôt qu’elle claquait. Car chaque son qu’il tirait de son instrument claquait comme un fouet et provoquait imparablement un frisson qui nous parcourait de la tête aux pieds.

 


2010 © Alain Chassaing

 

Eddie C. Campbell vient de Duncan, Mississippi, un gros village situé à l’ouest du Delta, à moins de dix kilomètres du “grand fleuve”. Mais il n’y restera pas très longtemps et arrivera à Chicago vers le milieu des années 1940, peut-être un peu plus tard. Une chose est toutefois sûre, il est plongé très jeune dans l’univers du blues et côtoie même carrément Muddy Waters à seulement 12 ans ! Car il a grandi dans une famille musicale. En 2010, dans une interview qui sera publiée dans le numéro 1999 de Soul Bag, alors que je lui demandais s’il avait appris à jouer de la guitare auprès de sœur aînée (je faisais référence au titre Sister taught me guitar tiré de son album “That’s When I Know” en 1994), il me répondit : « Absolument, ma sœur m’a appris, elle jouait de la slide avec un bottleneck, les sons qu’elle produisait ont marqué mon esprit. (…) Ma musique vient donc de ma sœur, mais ma mère m’a aussi appris à chanter. »

D’abord actif dans le South Side, il s’inspire des “vétérans” du Sud et du quartier, mais ses amis d’enfance, avec lesquels il joue dès l’adolescence, s’appellent Magic Sam et Luther Allison, de futurs “maîtres” du West Side Sound. Campbell accompagnera donc aussi Howlin’ Wolf, Little Walter, Jimmy Reed, Percy Mayfield, Lowell Fulson, Willie Dixon et même B.B. King. Ses influences somme toute diverses favoriseront assurément son approche et son phrasé si original. Et n’oublions pas de mentionner que Campbell est aussi un très bon chanteur à la voix chaude et grave. Mais comme bien des artistes dédiés à l’accompagnement, il n’enregistre quasiment rien, sinon quelques rares singles dans les années 1960 (on trouve cinq titres de 1968 sur la compilation “Chicago/The Blues Yesterday! – Volume 2” dans la série Blue Eye de Gérard Herzhaft).

 


© X / Soul Bag Archives

 


© X / Soul Bag Archives

 

 

Puis, en 1976, il devient membre des Chicago Blues All-Stars de Willie Dixon. Entouré de membres de cette formation (Carey Bell à l’harmonica, Lafayette Leake au piano, Bob Stroger à la basse et Clifton James à la batterie), il enregistre l’année suivante “King Of The Jungle” (Mr. Blues, réédité ensuite sur Rooster Blues), un premier album en tous points génial. Quarante ans après sa sortie, il reste régulièrement cité parmi les meilleurs disques de blues de l’époque, et l’un des plus édifiants du style West Side. Même si Campbell n’aimait pas les étiquettes, comme il me le confia en 2010 : « Je vois ça comme ça : chacun joue son propre style. Moi, je vis à Chicago, dans le West Side (…), et c’est un fait, on a appelé le style local le West Side blues. Mais en réalité, chacun s’exprime dans son style personnel. Little Walter avait son propre son en soufflant dans son harmonica, tout comme Jimmy Reed quand il jouait de la guitare et de l’harmonica. Ils vivaient dans le West Side mais jouaient tous leur musique à eux, personnelle. Et si j’habitais encore dans le Mississippi, je jouerais de la même manière qu’aujourd’hui. Mais tout le monde appelle ça le West Side Chicago blues car nous vivons là-bas. »

 


Juillet 1991, Cahors © X / Soul Bag Archives

 


Juillet 1991, Cahors © X / Soul Bag Archives

 

Mais sa carrière discographique ne décolle pas. Pour des motifs sur lesquels il restera toujours évasif (on parla de problèmes judiciaires, de fuite à cause du racisme…), Campbell parcourt ensuite l’Europe à partir de 1984, de l’Angleterre aux Pays-Bas en passant brièvement par la France, mais il vit de nombreuses années en Allemagne. Durant cette période, il signe deux albums réussis, “Let’s Pick It!” pour Black Magic en 1984 et “Mind Trouble” en 1988 pour Wolf. De retour aux États-Unis, il se distingue en 1994 avec l’excellent “That’s When I Know” pour Blind Pig.

 

 


Tail Dragger, Bonnie Lee, Eddie C. Campbell, Chicago, juin 2002 © André Hobus

 


Chicago, 2007
 © Brigitte Charvolin

 

Seulement quatre autres CD suivent, tous consistants y compris les deux derniers pour Delmark, “Tear This World Up” (2009) et “Spider Eating Preacher” (2012). S’il prenait son temps pour sortir ses disques, cet ancien amateur de sports de combat était moins raisonnable sur deux roues : « Je suis un “hot rider”, mon hobby est de conduire à moto, j’aime la vitesse, j’adore l’Allemagne car il n’y a pas de limitation de vitesse… » En tout cas, dans le paysage d’un Chicago blues riche en bluesmen de qualité, et outre sa personnalité attachante, Eddie C. Campbell nous laissera l’image d’un talent hors pair absolument unique en son genre.

Daniel Léon

 


Chicago, 2009 © Brigitte Charvolin

 

 

 


Avec Jean-Pierre Duarte, Salaise, avril 2011 © Brigitte Charvolin

 


Salaise, avril 2011 © Brigitte Charvolin

 


2010 © Alain Chassaing