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Live reports / 21.07.2019

Dour Festival 2019

13 et 14 juillet 2019.

Trente minutes de marche rapide depuis l’entrée pour atteindre l’aire de concerts. Le site, grandiose et incroyable, a déménagé depuis l’an dernier au beau milieu d’un champ d’éoliennes. Parmi les huit scènes hip-hop, rock, metal, dub… qui rassemblent chaque jour plus de 50 000 festivaliers, la soul se concentre sur celle dite de La Petite Maison Dans La Prairie, d’une capacité de 8 500 personnes. Compte rendu des deux derniers jours de cette grand-messe belge, en quatre couleurs de soul différentes.

De la soul classique avec Curtis Harding. Le guitariste d’Atlanta fait le job devant le public de Dour, au sens où il fait se dresser une forêt de bras clapant en rythme sur les accents qu’il marque au tambourin. À défaut d’une section de cuivres, celui qui qualifie sa musique de « slop ’n’ soul » adopte sur cette tournée un format très rythmique, entouré d’un guitariste, d’un batteur, d’un clavier « from Los Angeles » ainsi que d’un bassiste « from Atlanta ». Une ballade, une seule, offre une respiration au concert : Wednesday morning atonement. Dans ce morceau, la métaphore d’un père qui se languit de ses enfants symbolise le temps que l’ex-choriste de Cee-Lo Green a laissé passer avant son dernier album : « Hello children, well it’s been such a very long time. »

De la neo soul avec l’Anglaise Fatima, plus précisément Suédoise d’origine gambienne par son père et installée en Angleterre. « Anybody there last time? », nous interroge-telle : Oui, nous ! Venue pour elle en 2015, revenue pour elle cette année, étant donnée sa rareté de l’autre côté de la frontière. Ici c’est à LEFTO, DJ “curator” résident à Dour, que l’on doit sa programmation. Le groupe qui accompagne Fatima est resserré en format trio. Par rapport à l’Eglo Live Band d’origine – du nom du label Eglo Records d’Alexander Nut – seul le bassiste Hercules January se retrouve dans le nouveau trio. Avec son béret et ses muscles saillants, le Britannique a le même look que l’américain Miles Mosley. Les autres musiciens sont Sam Crowe au clavier Moog (Native Dancer, Mark Guiliana) et Jonathan Tuitt aux percussions (Mahalia, Jordan Rakei).

En maintenant constamment le dialogue avec nous, à l’aise, Fatima replonge dans l’album “Yellow Memories” [Eglo puis réédité chez Blue Note]. « Let’s get some shit from the past! » et de fait, ce sont déjà des standards pour nous : Do better, Biggest joke of all, All changed. C’est ensuite sur les titres de son récent “And Yet It’s All Love” que la demi-sœur de Seinabo Sey adopte des airs de diva R’n’B : un appel aux filles, « Shout out to all my ladies », des rythmiques hip-hop sur Attention span of a cookie, puis elle se sert quelques verres de whisky sur scène histoire de rester dans l’ambiance, sur Caught in a lie. Elle enfile des lunettes de star pour compléter sa parure plateforme shoes rouges et boucles strass, avant de lancer une incitation – franchement inutile à Dour – « if you have some weed, smoke it », sur son titre souvenir de la Californie, Westside, où elle scande « it smells smoke in the air ». Un regret pour nous : qu’elle n’ait pas chanté Waltz, le morceau de son dernier album qui n’a besoin d’aucun artifice pour être poignant.

Curtis Harding
Fatima

De la soul minimale, léthargique, neurasthénique, avec la jeune Anglaise Tirzah. Statique sur scène, les mains croisées dans une posture de timidité, en survêtement et sweat informes, Tirzah déroule des formats courts comme autant d’instantanés mélancoliques, intimistes. Issus d’un album sorti en août 2018 : Go now (Don’t raise your voice on me), Fine again, Devotion, Holding on, Basic need. On se surprend à rester fascinée par son lyrisme cotonneux, douloureux, dépouillé. Le projet repose en fait sur les deux beatmakers qui se tiennent derrière elle avec leurs laptops : Coby Sey – aucun lien a priori avec la famille Sey ci-dessus évoquée – et Mica Levi, son amie productrice qui tire les ficelles. Nos deux titres préférés : Gladly et Affection.

De la soul expérimentale avec LA sensation Nakhane. Cet artiste Sud-africain queer de 30 ans, écrivain, acteur, chanteur, a sorti en 2019 l’album “You Will Not Die” dans lequel il parle des affres de son parcours de jeune homosexuel. Sur scène il est entouré d’une guitariste Charlotte Hatherley et d’un batteur Keir Adamson, mais absolument tout le projet repose sur sa voix, sa personnalité androgyne, son identité. Une voix qui atteint des aigus angéliques, lumineux, troublants. Une voix qui tutoie l’incantation dans deux des plus beaux morceaux : Fog où il s‘accompagne aux claviers et Presbyteria où il s’accompagne à la guitare. Un look travaillé : crâne rasé blond, blush rose posé en triangle sur les pommettes, costume noir oversize à épaulettes, plateforme shoes noires. « Solitary brother… Solitary sister » : tiens, une citation empruntée à George Michael au milieu d’un de ses morceaux ! Nakhane adopte des postures d‘abord christiques, bras en croix, puis de plus en plus explicites au fil du concert – une dualité que l’on retrouve dans l’album. En fin de show il multiplie les attitudes de voguing plus sensuelles les unes que les autres, jusqu’à allumer son batteur en dansant yeux dans les yeux avec lui, tournant le dos au public : « He is my bitch. » Notre morceau préféré : Clairvoyant.

Tirzah
Nakhane

Texte et photos : Alice Leclercq

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