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Interviews / 09.07.2019

Derrick McKenzie, Francesco Mendolia : frères de groove

Courant juin, Derrick McKenzie (Jamiroquai) et Francesco Mendolia (Incognito) ont fait cause commune pour partager leur expérience, leur savoir-faire et leur générosité au cœur d’une masterclass organisée par What’s Next Agency chez Buddy Drum Shop, le temple de la batterie à Toulouse. Entre un mur de baguettes et un amas de toms, Soul Bag a rencontré ces deux frères de groove. Portraits croisés.

Oubliez les ghost notes. La frappe est lourde, sèche, sans fioriture. Le son, net et précis. Avec son style bien à lui de gaucher tout sauf maladroit, Derrick McKenzie fait danser le monde entier depuis 25 ans. C’est d’ailleurs la définition que donne le batteur de Jamiroquai au groove, ce sentiment si particulier qui habite les corps et les esprits dès que la pulsation se met à tonner. Démonstration quand les pistes Cloud 9 et Something about you arrivent dans les enceintes : il faut voir le Britannique martyriser la peau de sa caisse claire, tout en caressant délicatement le charley sans faire de petit-bois. Entre ses mains, des baguettes Vic Firth 5B, larges et solides.

Pendant ce temps, le buste reste bien droit et le visage impassible. Une force tranquille héritée de ses héros. Ils se nomment Harvey Mason ou Billy Cobham, apôtres du jazz fusion. Pourtant, Derrick McKenzie le reconnait volontiers : « Je ne suis pas un musicien de jazz. Mon truc, c’est le funk et le disco », ce qui ne l’empêche pas de se “challenger” comme lorsqu’il doit aborder un répertoire – il cite celui de Jaco Pastorius – qui le met en danger. Même lui. « Je n’essaye pas de reproduire ce que j’entends sur le disque, j’apporte ma personnalité et mon approche musicale. Par exemple, ce qui se passe sur la ride, je le transpose sur le charley. C’est de là que vient ma musicalité. » Elle pourrait se résumer à l’écoute d’un seul morceau : Just another story et son intro à deux mains, dynamitée à coup de roulés et de double croches. 

« Ce groove, je l’ai joué par erreur », en plaisante-t-il encore aujourd’hui. C’est pourtant celui qui a propulsé “The Return of the Space Cowboy”, deuxième album de Jamiroquai sorti en 1994. Le premier enregistré avec Derrick McKenzie, lui qui ne connaissait même pas le groupe lorsqu’il a passé l’audition. « J’ai juste écouté “Emergency on Planet Earth” – le premier album de Jamiroquai – sur la route qui me menait au studio, histoire de me mettre en condition. Quand je suis arrivé, il y avait ce type qui me regardait jouer attentivement, je pensais que c’était un ingénieur du son. J’ai appris quelques heures plus tard qu’il s’agissait de Jay Kay [rires]. » La rencontre était faite, le deal scellé.

Derrick McKenzie

“Ce qui se passe sur la ride, je le transpose sur le charley. C’est de là que vient ma musicalité.

Derrick McKenzie

À l’opposé, Francesco Mendolia a développé toute une académie de jeu entre ses dix doigts. Tombé amoureux de la batterie quand il avait 5 ans (la cave de son immeuble lui servait de studio avant que les voisins ne s’en mêlent…), l’Italien est à l’aise dans tous les styles, avec une priorité accordée au funk. Son secret ? « Déplacer les accents, pas uniquement sur le premier temps. » Il maîtrise également le rock (sa peau de grosse caisse marquée ce jour-là du logo d’AC/DC ne peut laisser indifférent), ou encore le jazz, qu’il a expérimenté très jeune, dès l’âge de 13 ans au sein d’un big band. « Je peux tout jouer, même si savoir tout jouer, c’est aussi ne rien savoir jouer », lâche-t-il philosophe, petit sourire en coin, avant d’attaquer les fûts et la partition de Talkin’ loud.

Gestes déliés et grands mouvements de bras : l’émotion de son jeu provient « de la danse » qu’il a longtemps pratiquée adolescent. Un véritable spectacle pour les oreilles comme pour les yeux, livré avec une précision déconcertante et une vitesse décoiffante. « Le mouvement, c’est ce qui change le son d’une batterie », reconnait celui qui a étudié minutieusement les chorégraphies de Bernard Purdie, maître du ternaire, et de Clyde Stubblefield, le batteur le plus samplé de l’histoire (le groove de Funky drummer, c’était lui). 

Pour autant, le véritable guide reste l’instrument : « Je m’adapte au son que j’entends, c’est la batterie qui me dit comment je dois jouer. En tournée, le temps manque pour répéter, il faut parfois aller vite, et surtout être fiable et efficace. » Deux qualités essentielles qui ont séduit Jean-Paul “Bluey” Maunick, guitariste et leader d’Incognito qui a fait de Francesco Mendolia le batteur attitré du groupe d’acid jazz depuis dix ans. Batteur mais aussi pianiste, à l’occasion, pour son plaisir personnel. Un instrument « idéal pour se muscler les doigts et garder la souplesse dans mes attaques entre deux concerts », reconnait Mendolia qui pratique aussi la « batterie mentale ». Chaque soir, pendant une trentaine de minutes, il ferme les yeux, répète des dizaines de plans dans sa tête, déroule des solos, imagine les combinaisons les plus folles avant de les appliquer le lendemain sur scène. « Une vraie gymnastique à essayer chez soi. » Le meilleur moyen – aussi – d’éviter les problèmes de voisinage.

Francesco Mendolia

“Le mouvement, c’est ce qui change le son d’une batterie.”

Francesco Mendolia

Texte : Mathieu Bellisario
Photos © Anna Carbonnel

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