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Brèves / 10.01.2018

Denise LaSalle, 1939-2017

Décédée ce début de semaine à l’âge de 78 ans, la chanteuse et auteure-compositrice Denise LaSalle avait récemment connu d’importants problèmes de santé. Toujours sollicitée pour des prestations scéniques, aux États-Unis comme en Europe, elle était néanmoins apparue de plus en plus diminuée, tant physiquement que vocalement. Cette faiblesse apparente tranchait avec les performances dynamiques qu’elle proposait encore au début de cette décennie.

Très respectée dans le milieu du R&B sudiste, notamment pour ses talents de parolière, Denise LaSalle a une carrière discographique conséquente, riche de près de trente albums originaux, étalés sur une quarantaine d’années. Étant parvenue à demeurer durablement active artistiquement, cette femme à la forte personnalité s’était également investie dans les affaires en ouvrant divers commerces sur le ressort de sa commune de Jackson, dans le Tennessee, ville située à une centaine de kilomètres au nord-est de Memphis.

 


1972 © Collection Gilles Pétard

 

Originaire du cœur du Mississippi, Denise née Allen (puis devenue maritalement Craig) développe très tôt un goût pour l’écriture et la poésie en particulier. Si elle est une auditrice régulière du Grand Ole Opry, le programme phare de la musique country à Nashville qui diffuse dans tout le sud, elle admire surtout les chanteuses R&B vedettes du début des années 50 dont les disques sont édités par Atlantic. Mariée très jeune, elle quitte le Sud pour Chicago et fréquente tant les clubs de blues que les boîtes à la mode. Elle tisse alors un réseau de connaissances et se lie d’amitié avec des chanteurs comme McKinley Mitchell et Bill Coday. À la fin des années 60, par le truchement de Billy “The Kid” Emerson, elle enregistre pour le compte de Chess le single A love reputation et obtient un succès régional non négligeable, qui traversa même l'Atlantique.

Associée à son second mari, Bill Jones, elle fonde son propre label Crajon, et enregistre des 45-tours comme Hung up strung out, tout en parvenant parallèlement à vendre ses chansons à des artistes comme Billy Butler, les Sequins ou son ami Bill Coday. Jusqu'alors connu localement sous le sobriquet de Chicago Willie, ce dernier obtient un tube important avec Get your lie straight. Le label Westbound à Detroit flaire le fort potentiel commercial de la chanteuse-compositrice et prend Crajon sous licence tout en l'envoyant à Memphis dans les studios de Willie Mitchell où elle enregistre en 1971 son premier hit national Trapped by a thing called love. Trois LP seront alors édités dans lesquels elle développe son style mature, avec des titres comme Man sized job ou surtout Married but not to each other, qui sera repris un peu plus tard avec succès par la chanteuse country Barbara Mandrell. Dans le même temps, elle coécrit avec et pour Ann Peebles What you laid on me, édité par Hi.

 

 

 

 

 

En 1976, elle signe pour la major ABC et proposera trois albums aux pochettes cultivant une image de femme fatale (le fameux LP “The Bitch Is Bad”) qu'elle entretient dans certaines de ses chansons. Le niveau est inégal, mais on compte d'excellents titres comme le sensuel Love me right, dont Vernon Garrett proposera également une version masculine de bonne tenue. En 1979, MCA récupère sous contrat les artistes noirs du catalogue ABC, dont elle, Bobby Bland, B.B. King et le groupe funk d'Al Hudson One Way. Suivent trois disques dans la même veine que les précédents. Sur son premier, “Unwrapped”, elle propose un intéressant medley alliant Make me yours/Precious memories et Trapped, qu'elle utilisera fréquemment sur scène. Tout ceci est représentatif d'un soul-blues adulte préfigurant assez bien ce qui sera développé amplement les années suivantes par toute cette génération d'artistes.

 

 


1980 © Collection Gilles Pétard

 

En 1983, le label Malaco la sollicite pour l'enregistrer. Ces derniers souhaitent poursuivre leur développement en signant d'anciennes gloires des années 60 et 70 à destination du public noir et dans une veine très blues. Leur artiste vedette d'alors, ZZ Hill, fort de son Down home blues, vient justement de décrocher un nouveau tube avec Someone else is steppin'in, composé par… Denise LaSalle. Initialement peu enthousiaste d'entrer dans la catégorie blues – alors que bien des années plus tard, en 2002, elle chantera avec entrain I'm still the queen… (of the blues), elle se prête de bonne grâce au jeu et propose de 1983 à 1997 dix albums pour la célèbre firme basée dans la capitale du Mississippi. Si comme pour beaucoup de vedettes du label, on peut lui reprocher une certaine redondance, cette période recèle de vrais bons moments, avec une mention particulière pour son premier effort, “A Lady In The Street”, pour lequel elle participe activement à la production, chose inhabituelle chez Malaco. Durant cette période, elle obtient même un tube international avec sa version de l'irrésistible classique zydeco de Rockin' Sidney, My toot-toot. En 1989, elle est la seule artiste féminine de la tournée européenne Malaco aux côtés de Johnnie Taylor, Bobby Bland, Mosley & Johnson. Elle est à nouveau sélectionnée pour le plateau de 1993, cette fois avec Little Milton et Latimore.

 

 

 

Écaussinnes, 2007 © Brigitte Charvolin

 

 

En fin de contrat avec Malaco, elle propose en indépendante sur son label Ordena un double (!) CD d’excellente facture, “This Real Woman” enregistré en 1999 dans les studios royal de Willie Mitchell, qu'elle retrouve presque trente ans après son premier tube. Le disque bénéficie du soutien de l’équipe de Mitchell (dont James Robertson, Michael Toles et Lester Snell) ainsi que d’une partie de son orchestre et contient notamment un humoristique plaidoyer pour Bill Clinton ainsi qu’un beau titre initialement commandé par Bob Dylan mais jamais utilisé par ce dernier (If i'm only for myself). À la surprise générale, car loin de son image sulfureuse scénique, elle livre peu de temps après un disque de gospel réussi, “God’s Got My Back”, ainsi qu’un single d’inspiration patriotique et religieuse There’s no separation en réaction aux attentats du 11-septembre 2001. C'est à cette époque que le Jazz Club du Méridien la programme pour une semaine parisienne. Soul Bag profite de l'occasion pour publier dans son numéro 163 une longue interview (sexagénaire depuis peu, elle refusait par coquetterie qu'on la photographie avec ses lunettes de vue durant la rencontre). S’appuyant sur un excellent groupe étoffé constitué de jeunes talents et de vétérans (le bassiste Al Wilder notamment, déjà vu avec Little Milton), LaSalle livre une série de concerts de haute tenue, confirmant sa solide réputation. Sa choriste Karen Wolfe entame peu de temps après une carrière en solo toujours d’actualité aujourd’hui sur le chitlin’ circuit.

 


Méridien, Paris, 2001 © NB

 

En 2002, Denise LaSalle propose une série de quatre albums, produits par elle mais édités par le label Ecko de John Ward basé à Memphis. Elle y chante des titres relayés sur les radios sudistes, et dont le plus emblématique reste peut-être Mississippi woman. Une sorte de retour aux racines pour celles qui ne s'imaginait pas en chanteuse de blues. Elle réintégra le giron de Malaco en 2010 pour un dernier album, “24 Hour Woman”, sans surprise mais toujours de bonne facture.
NB

 


Legendary R&B Cruise, 2011 © André Hobus

 


Chicago, 2017
© Brigitte Charvolin

 


Avec Jonathan Ellison, Chicago, 2017 © Brigitte Charvolin