;
Live reports / 13.12.2019

Crescent City Blues & BBQ Festival 2019

Lafayette Square, La Nouvelle-Orléans, 18 au 20 octobre 2019.

Les festivals à La Nouvelle-Orléans, c’est devenu un secteur économique à part entière. Aux emblématiques Mardi Gras et Jazz & Heritage Fest sont venus se greffer des dizaines d’autres manifestations, célébrant un quartier, une communauté, un art… Auxquels sont immanquablement associés musique(s) et nourriture (parler de gastronomie serait exagéré). Il en est un qui semble maintenant bien établi et qui a bien des atouts pour séduire le lecteur de ce site et du magazine qui va avec. Le simple énoncé de son titre : Crescent City Blues & BBQ Festival, ne peut qu’éveiller l’intérêt. Un intérêt qui tourne à l’appétence quand on sait que le festival est gratuit, se déroule dans Lafayette Square, à une encablure du French Quarter, et dure trois jours, à la fin octobre, quand la météo est clémente. Si le vendredi constitue une mise en bouche, avec seulement, deux concerts, ce sont huit concerts qui sont proposés samedi et dimanche, de midi à 20 h 30, sur deux scènes se faisant face. Non-stop : à la seconde où l’un se termine, l’autre commence. 

Lafayette Square

Trick Bag, l’orchestre de Luther Kent, aligne pas moins de six cuivres, deux guitares (dont Jonathan “Boogie” Long), orgue, basse et batterie. Idéal pour un répertoire où se mêlent standards blues et classiques New Orleans. Blues shouter de la vieille école sur Flip, flop and fly ou Let the good times roll, Luther Kent est aussi à l’aise dans Let’s straighten it out, Crosscut saw ou Hey pock-y way. En formule power trio (Corey Duplechin, basse ; Terrence Higgins, drums), Tab Benoit défend son statut de guitar hero des bayous. Sans excès egomaniaques et se référant souvent à ses influences, blues, country, soul et louisianaises. 

Aussi programmés à Helena la semaine précédente, Gregg Martinez & the Delta Kings inaugurent la journée du samedi avec une blue-eyed soul de bon aloi mais sans grande personnalité. L’orchestre comprend orgue et cuivres et soutient un chanteur (occasionnellement trompettiste) qui égrène classiques (Walkin’ the dog, Turn on your lovelight…) et conclut avec When the saints.

Luther Kent
Jonathan “Boogie” Long
Tab Benoit
Gregg Martinez

Brother Tyrone offre deux instrumentaux à son excellent guitariste Everett Eglin avant d’entrer en scène pour une belle séquence blues (3 o’clock blues, Rock me, Anna Lee avec slide), le renfort de deux choristes mâles apporte une coloration plus soul, mais tout aussi racinienne. Il ne lui manque qu’un peu de charisme pour passer au niveau supérieur. Un charisme dont ne manque pas Kenny Neal qu’on retrouve tel que vu il y a quelques mois à Tremblay ou, deux semaines plus tôt, chez lui, à Port Allen. Un medley Jimmy Reed, The things I used to do, Since I met my baby, My toot toot… On ne s’ennuie pas, mais on aimerait que Kenny sorte un peu de sa zone de confort.

Avec Erica Falls, le curseur se déplace vers le mode soul jazz funk. La choriste de Galactic maîtrise parfaitement son sujet, sa voix est d’une agilité et d’une aisance qui lui permettent toutes les audaces. D’autant que, derrière, ça suit, avec June Yamagishi à la guitare, un organiste et une rythmique au taquet. Johnny Sansone fait équipe avec John Fohl, et on le comprend. Difficile de trouver un guitariste aussi sûr, au jeu aussi varié. Ce n’est pas pour rien que Dr. John l’avait choisi. On le suit avec autant d’intérêt que son leader, qui passe de l’harmonica à l’accordéon pour mieux enraciner sa musique dans les bayous. Chanteur puissant et impliqué, il peut se montrer émouvant sur une ballade mélancolique. Brother Tyrone, Erica Falls, Johnny Sansone et John Fohl sont tous passés par les MNOP, preuve de la clairvoyance du festival périgourdin ! La journée se termine sur une note rock americana avec l’Allman-Betts Band.

Kenny Neal
Darnell Neal, Kenny Neal
Brother Tyrone
Erica Falls
Johnny Sansone
John Fohl
John Fohl, Johnny Sansone

Véritable institution locale, il était logique que les Zion Harmonizers inaugurent les concerts du dimanche avec leur gospel classique, harmonisé. Mais pas fossilisé. Ils savent monter en puissance et en ferveur, servis par deux solistes agurerris, ténor et baryton, et épaulés par un guitariste excitant. Leur version ralentie de People get ready se savoure. Presque sans transition, on passe au Little sugar in my bowl réclamé par Lulu, entourée des Broadsides. Aussi connue comme Dayna Kurtz, elle possède une nonchalance étudiée que contrebalancent les parties instrumentales souvent tendues. J’ai retenu sa belle version du Do right woman, do right man d’Aretha.

On ne s’attardera pas sur les prestations de Guitar Lightnin’ Lee (limité et fort mal accompagné), Keith Stone et Mason Ruffner (guitaristes 
appréciés dans une veine blues rock). Sonny Landreth se cache derrière la visière de sa casquette et ne se laisse pas filmer par WWOZ (tous les autres concerts sont intégralement visibles sur YouTube). Sa technique à la slide est impressionnante et il chante correctement un répertoire indéniablement blues. À sa virtuosité répond, de l’autre côté de Lafayette Square, le blues basique d’un fort coquet Little Freddie King. Son trio le soutient sans l’étouffer, particulièrement l’harmoniciste Robert Louis DiTullio, à l’air voyou, qui apporte un contrepoint tout à fait bienvenu à la guitare de King. Son jeu est certes minimaliste, parfois heurté, il n’est pas moins indéfectiblement enraciné dans la tradition. On pense plus d’une fois au swamp blues, mais aussi à Lightnin’ Hopkins, pour le chant surtout.

Lulu & the Broadsides
Sonny Landreth
Little Freddie King
Robert Louis DiTullio
Robert Louis DiTullio, Little Freddie King

Une des plus belles prestations du festival, qui se clôt, la nuit tombée, avec un artiste qui m’était totalement inconnu : Tucka. Curieusement, le public qui se masse devant la scène change substantiellement. Disons qu’il rajeunit, se colore et se féminise ! On comprend vite pourquoi : Tucka a un charisme indéniable, sait parler aux dames et s’illustre au croisement de la soul et du R&B actuel, avec une pointe de rap, apportée par un choriste. L’orchestre (2 claviers, 2 guitares et rythmique) groove avec finesse. Les racines sont bien présentes, celles du gospel, mais aussi du blues puisque Tucka reprend avec panache Down home blues, enchaîné sur son tube du moment, Big train (Keep rollin’). Comme quoi, il est toujours possible de faire des découvertes à La Nouvelle-Orléans ! 

Tucka
Tucka

Texte et photos : Jacques Périn

Brother TyroneCrescent City Blues & BBQ FestivalErica FallsfestivalJacques PérinJohnny SansoneKenny NealLittle Freddie Kingnew orleansTuckaZion Harmonizers