;
Live reports / 20.07.2019

Copenhagen Jazz Festival 2019

5 au 14 juillet 2019.

Je ne l’ai compris qu’une fois arrivé sur place : le festival de jazz de Copenhague, ce sont plusieurs festivals en un. Un étonnant foisonnement d’événements dispatchés voire éparpillés, pendant dix jours, sur un total de 120 sites différents. Qu’ils soient au bord de l’eau, dans un parc ou au milieu de hauts immeubles, ces endroits (en anglais, on parle de venues) s’animent en journée et/ou le soir et vibrent au rythme de toute la gamme des musiques jazz d’hier, d’aujourd’hui et de demain. Aller d’une scène à l’autre, en métro, à vélo ou à pied, c’est découvrir autrement la capitale danoise. 

Premier spot particulièrement vivant, le site de Pumpehuset, dans le quartier de Byhaven, à deux pas de l’hyper-centre. C’est là que se tient l’attachant Fringe Jazz Fest consacré aux musiques de La Nouvelle-Orléans. Johan, son organisateur, se rend deux fois par an dans la Cité du Croissant et programme en retour une dizaine de formations de là-bas. Coup de cœur pour Gregory Boyd : accompagné par un solide quintette de jeunes Danois qui savent manier les rythmes si particuliers de NOLA, le chanteur n’a aucun mal à animer la petite scène installée en plein air entre les stands et les tables indispensables à tout bon festival.

Ici, on ne se contente pas de proposer de la bière fraîche, l’une des boissons nationales ; on sert également un excellent gumbo avec de la saucisse danoise dedans. Étonnant et réussi, ce mélange de musique, de gastronomie à emporter et de convivialité est une parfaite mise en bouche avant les concerts programmés dans la salle adjacentes à partir de 21 heures. Passons sur la performance décevante des trois Mardi Gras Indians de A Tribe Called Gumbolia et réjouissons-nous d’entendre ici et maintenant le Hot 8 Brass Band, fanfare de jeunes musiciens qui jouent fort et funky. Ce soir-là, la salle de 400 places affiche complet et le public fait un triomphe aux garçons qui rappent et mélangent traditionnels new orleans, covers inspirés de Marvin Gaye et reprise de Joy Division (Love will tear us apart). Coup de chaud dans un pays pourtant bien tempéré. 

Gregory Boyd
Hot 8 Brass Band
Jamison Ross
© Julien Crué

Le lendemain, vendredi 12 juillet, il y a moins de monde pour applaudir Jamison Ross. Dommage tant le show du prodige de Floride désormais installé à New Orleans est impressionnant. Entouré de ses guitariste et bassiste habituels, le chanteur et batteur joue l’essentiel de son excellent album “All For One” et, surtout, me captive par sa manière d’écouter et de regarder son public. On a l’impression qu’il nous tient dans le creux de la main et, à l’image du temps qu’il passe ensuite avec les spectateurs venus acheter son disque, il nous donne le sentiment que chaque moment passé ensemble est précieux. “Keep On Summer Tour”, c’est le nom de la tournée du jeune musicien qui s’est arrêtée cet été en Europe. À bientôt. 

Copenhague est une ville douce, verte et bleue. La douceur d’y vivre ou de s’y promener passe notamment par les vélos, bien plus nombreux que les autos. Le bleu, c’est l’eau des canaux et de la mer, omniprésente et bien mise en valeur à travers le volet “Jazz by the sea” du festival (avec cette année les excellents José James et Cory Henry & The Funk Apostles). Le vert, ce sont les parcs de la ville, innombrables, calmes et élégants. Chaleureusement recommandé par l’équipe du festival, un arrêt dans le Jardin du Roi (Kongens Have) s’impose : parce que c’est le plus ancien et le plus grand de la ville ; et parce que, durant les après-midis du festival, on peut y assister à des concerts gratuits de haut niveau. Exemple avec celui de Marilyn Mazur, vendredi 12 juillet. Pour le festival, la percussionniste danoise s’entoure de dix musiciennes scandinaves réunies dans un ensemble baptisé Shamania. Un moment inspiré et inspirant. 

Toujours plus fort. La venue de Gladys Knight à Copenhague est l’un des événements de cette 41e édition du festival. Programmée à deux reprises, le vendredi 12 et le samedi 13 juillet, la chanteuse d’Atlanta attire une bonne partie de l’intelligentsia danoise dans l’impressionnant auditorium de la radio publique du pays, le DR Koncerthuset. Je n’avais jamais vu un tel endroit : 1 800 places assises aménagées tout en verticalité et tout autour d’une (petite) scène centrale. Vers l’extérieur, du verre ; à l’intérieur, du bois et du métal : dix ans après son inauguration, la salle symphonique de Copenhague offre un confort d’écoute exceptionnel. Ça tombe bien : Gladys Knight a des choses à nous dire. Entourée d’un groupe étoffé mais discret, la diva aux sept Grammy Awards se fait quelque peu attendre avant d’entrer en scène : on le sait tant ses apparitions sont rares de ce côté-ci de l’Atlantique, c’est le début d’un moment rare et précieux.

Impossible de ne pas être aux anges en l’entendant alterner tubes personnels du temps des Pips (The best thing that ever happened to me) et classiques de la grande musique afro-américaine. Vocalement, c’est du grand art : depuis la disparition d’Aretha Franklin, Gladys Knight est sans conteste la plus grande interprète de musique soul en activité. Bravo et merci pour ce sublime (You make me feel like) A natural woman ; idem pour ce délicat medley jazz (Stormy weather / The man I love et je ne sais plus). Ovations pour Licence to kill, BO d’un James Bond ; frissons à l’écoute de citations de Luther Vandross (Never too much) ou de James Ingram ; émotion sans bornes lors d’un final incontournable (Midnight train to Georgia). On aurait aimé partager ici quelques photos de ces deux soirées d’anthologie, mais aucune ne semble disponible. Et si c’était comme ça que les rêves se conservaient le mieux ? 

Même les meilleures choses ont une fin. Le jour du 14 juillet, au lieu de rester dans son lit douillet, comme le chantait Georges Brassens, le festivalier a encore l’embarras du choix. Alors direction les Balders Plads, agréable place d’un quartier nord de la ville. C’est là, à l’ombre des tilleuls et de hauts immeubles, que se sont produits gratuitement cette année Jon Cleary, Delgres ou encore Judith Hill. Ce dimanche, les joyeux membres de Trypical Cumbia ont la charge de clore les festivités. En cette fin d’après-midi, les rythmes latino-américains sont made in Copenhagen. On devine que certains spectateurs sont venus en voisins ; l’ambiance, familiale, est toujours aussi bonne : même les abus de boisson ne conduisent à aucune agressivité mais à de sympathiques rapprochements. On repart comme on est venu, à vélo, le cœur léger, d’autant que Marcus Miller nous attend à son tour au DR Koncerthuset. Accompagné de jeunes musiciens brillants et appliqués, le grand bassiste enchaîne les extraits de “Laid Black”, son dernier album en date. 

C’est inspiré et puissant. Naturellement, Marcus parle un peu de Miles et revisite encore une fois son célèbre Tutu. Un rappel, quelques signes d’affection fraternelle et le rideau peut tomber sur un beau festival vraiment en nord. 

Texte : Julien Crué
Photos © JBL Music

Copenhagen Jazz FestivalfestivalGladys KnightGregory BoydHot 8 Brass BandJamison RossJulien CruéMarcus Miller