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Live reports / 28.07.2010

COGNAC BLUES PASSIONS 2010


Johnnie Bassett © Brigitte Charvolin

Depuis quelques années, l’affiche de Cognac Blues Passions laisse un peu circonspects ceux qui ont connu les premières éditions dédiées aux musiques bleues telles qu’ils les conçoivent (style “pures et dures”, quoi !). Et si on comprend le désir d’ouverture des organisateurs, force est de constater qu’à force d’emprunter des chemins parfois inattendus, le festival de Cognac n’apparaît plus aussi incontournable. Mais commençons par le commencement, avec nos impressions sur les principaux concerts.

 28 juillet

EDEN BLUES
Cognac accueille pour la première fois la formation du Danois Thorbjorn Risager, qui fait pas mal parler de lui depuis quelque temps. On se laisse d’emblée emporter par la belle voix tout en intensité du leader (lecture assez originale de Baby please don’t go, implication sur la ballade Stand beside me) et le groove impeccable des accompagnateurs (I’m tired). Il faut toutefois attendre le dernier titre (Let the good times roll) pour que tout ce beau monde se lâche réellement, notamment le guitariste Svein Erik Martinsen… Car si tout est exécuté avec application, c’est également un peu prévisible, et il manque ce tout petit rien indéfinissable qui fait pourtant toute la différence dans le blues : l’émotion. Mais on passe un bon moment.


Thorbjorn Risager © Brigitte Charvolin

BLUES PARADISE
Pour un public venu essentiellement pour Seal, pas simple d’entrer dans l’univers très personnel de Gil Scott-Heron, surtout qu’en début de concert son phrasé vocal semble encore se ressentir des effets d’un repas visiblement bien arrosé… Mais cela se met progressivement en place. Pas simple non plus pour les non-anglophones d’apprécier à leur juste valeur les textes superbes de Scott-Heron, témoignages lucides des dérives de la société nord-américaine contemporaine (Winter in America). Mais il faut savoir se plonger dans cette ambiance faussement feutrée, marquée par la scansion hypnotique (phrases semi-parlées, pour beaucoup à l’origine du rap) qui appuie encore davantage le sens des messages. A Blue collar, titre désabusé puis optimiste sur la vie dans les grandes villes, succède ainsi un If you believe in peace sur lequel il apparaît possédé. Enfin, aux côtés du piano économique du leader, il faut souligner la qualité des musiciens, dont Carl Cornwell, tout en sensibilité à la flûte (I’ll take care of you) mais également capable d’envolées très free jazz (The other side). Il a certes les ailes un peu rayées, mais Scott-Heron reste capable de générer des instants de vraie ferveur.
Ce dont Seal
sera bien incapable. Il nous sert un concert encore plus indigent qu’a Vienne l’an dernier : chanteur franchement limité, il s’entoure de pantins mécaniques et fantomatiques plantés dans un décor dominé par des bandes présonorisées et des images à la gloire d’Apple sur les écrans géants de la scène. Vous avez dit imposture ?


Gil Scott-Heron © Brigitte Charvolin


Seal © Brigitte Charvolin

 29 juillet

GROOVE AU CHÂTEAU
Travis “Moonchild” Haddix a l’habitude de se produire entouré d’un groupe étoffé comprenant notamment quatre cuivres. Il se trouve donc à l’étroit sous la voûte épaisse du château François Ier, et sa prestation s’en ressent un peu. Seulement accompagné de Gil Zachary au piano et Ed Lemmers à la basse, l’élégant septuagénaire (il est né le 26 novembre 1938) masque ses hésitations derrière un perpétuel sourire et un zeste de cabotinage. Mais progressivement, les vertus de l’artiste se font jour. Superbe chanteur (étonnant mimétisme avec le timbre de Little Milton, mais ce n’est pas un imitateur, c’est bien SA voix à lui !), jeu de guitare rappelant souvent (un peu trop) B. B. King, il se révèle surtout en compositeur avisé (Winners never quit, l’amusant Don’t get too comfortable, Blues from Staghorn Street et Caught in the middle, qui est également le titre de ses mémoires…). Une prestation honorable, mais on demande à le revoir le lendemain sur la grande scène, sur laquelle il devra donner toute sa mesure.


Travis "Moonchild" Haddix © Brigitte Charvolin

EDEN BLUES
Le concert de Joe Louis Walker
nous offre d’abord l’occasion de découvrir Murali Coryell (oui, le fils de Larry, pionnier du jazz-rock dans les années 1970), efficace à la guitare et plus que convaincant avec sa voix grainée (Bright lights, big city, Please, please baby, In the room with Jimi). Quant à Joe, au chant comme à la guitare, il démontre que son exceptionnel talent ne pouvait s’absenter que le temps d’une éclipse, et encore, cela vaut-il avant tout sur scène en 2009 : sa pénible prestation blues rock d’Écaussinnes (Belgique) est définitivement derrière lui… I’m not messin’ around, Checking up on my baby (avec la jeune harmoniciste française Rachelle Plas qui s’offre un dialogue plus spectaculaire que technique avec le maître, mais quelle fougue !), Slow down GTO et sa slide brûlante des plus beaux jours, One time around avec une intervention de Watermelon Slim, Joe seul en rappel pour le churchy Where Jesus leads, le blues a rendez-vous avec la fête et le plaisir. Un show parfaitement dans l’esprit d’un festival d’été, le meilleur que nous ayons vu jusque-là, et surtout la confirmation du retour de Joe au tout premier plan.


Joe Louis Walker © Brigitte Charvolin

BLUES PARADISE
Contrairement à Seal, et bien qu’il soit difficile de l’associer à la tradition, Barbara Hendricks
nous gratifie pour sa part d’un show supérieur à celui qu’elle avait fourni à Vienne en 2009. On ne reviendra pas sur les qualités d’une telle vocaliste, mais elle profite ici d’un changement dans son quartet suédois, le guitariste Staffan Astner remplaçant le saxophoniste et clarinettiste Magnus Lindgren. L’interprétation est ainsi plus bluesy et l’ambiance plus détendue, la diva se laissant même aller à un dialogue improvisé avec la slide d’Astner, a son avantage en plusieurs occasions (Don’t explain, Downhearted blues)… Rien d’étonnant toutefois, Astner ayant déjà collaboré avec des bluesmen, en particulier Eric Bibb. Il faut également souligner le jeu étourdissant du pianiste Mathias Algotsson, dont les interventions font mieux passer les envolées lyriques de la cantatrice qui monte toujours trop sur les titres lents (Trouble in mind, God bless the child), constat déjà fait à Vienne. Et comme à Vienne, on suit davantage sur les tempos plus soutenus comme You’ve been a good old wagon et Blues everywhere I go (curieusement interprété deux fois, la version en fin de concert étant plus enlevée). Et si pour finir ses lectures de Summertime et des Feuilles mortes apparaissent plus anecdotiques car un peu trop “attendues” et appliquées, disons que la cantatrice s’en sort honorablement.


Barbara Hendricks © Brigitte Charvolin

Pour clore la soirée, difficile de se faire une idée juste des Victory Travelers, la sonorisation totalement déséquilibrée empêchant d’entendre les cinq chanteurs, un gâchis pour du gospel que cette bouillie sonore ! Maigre consolation, la même formation donnera un trop court aperçu de son talent le surlendemain, le temps d’un rappel avec Eli “Paperboy” Reed. Dommage pour le seul groupe de gospel au programme de cette édition…


Victory Travelers © Brigitte Charvolin


Victory Travelers et Eli "Paperboy" Reed © Brigitte Charvolin

 30 juillet

EDEN BLUES
Révélé l'année dernière par le festival MNOP (à Périgueux), 19th Street Red
a beaucoup bourlingué comme musicien des rues, et dernièrement à La Nouvelle-Orléans. Ici bien accompagné par Talk That Talk, ce chanteur au timbre fortement malté et inspiré par Howlin’ Wolf connaît bien ses standards (You gonna wreck my life, First time I met the blues, Ramblin’ on my mind, Mama talk to your daughter avec un solo incisif d’Hervé Fernandez), tout en sachant s’en accaparer certains comme la ballade Tell me something, revisitée à la Tom Waits… Limité mais plutôt expressif à la guitare, 19th Street Red improvise et laisse libre cours à son imagination pour distiller un blues souvent lancinant (19th Street Red blues). Ce n’est pas la prestation de l’année, mais le festival a besoin de ces artistes de terrain qui ne trichent pas et incarnent dès lors une certaine authenticité. On ne s’en plaindra surtout pas.


19th Street Red © Brigitte Charvolin

Présenté comme le successeur potentiel de Raphael Saadiq, auteur d’un tabac en 2009 sur la grande scène, le jeune Jesse Dee devra toutefois faire ses preuves. Entouré d’une formation sans surprise (trompette, saxophone, guitare, basse et batterie), Jesse ne manque pas d’énergie, sa voix est honnête et les cuivres présents (I won’t forget about you, Shame, shame, shame, Slow down, What’s on your mind, Gotta give it up). Sans être désagréable, l’ensemble a peu d’étoffe, le leader semblant en outre manquer de sens de la scène, attendant trop du public. Et on finit par décrocher.


Jesse Dee © Brigitte Charvolin

BLUES PARADISE
Troisième choix après les défections de Tre Williams puis Calvin Richardson, le couple malien composé d’Amadou et Mariam
représente l’Afrique sur la grande scène. Ça commence plutôt fort grâce notamment aux percussions avec Welcome to Mali (malgré un synthétiseur irritant qui viendra ponctuellement mais régulièrement gâcher notre plaisir durant le show…) puis Magossa, ce dernier dans une veine plus orthodoxe. En revanche, le couple ferait mieux de s’abstenir de chanter en français tant notre langue souligne l’extrême naïveté des paroles (« Moi je m’en fous, on chante, on danse, on bouge », ou encore « En Afrique, y a la canicule, y a la joie de vivre »…), sans compter madame qui ne cesse de déclarer sa flamme à monsieur en public ! Arrêtons-nous donc justement sur monsieur (entendez Amadou), bon chanteur et surtout remarquable guitariste : son phrasé syncopé et rythmé rappelle parfois la musique gnawa (Magossa), mais il est également capable de s’arracher sur des chorus pleins de feeling (Masiteladi, Coulibaly). Difficile de voir dans un tel spectacle l’exact reflet de la musique traditionnelle malienne, mais l’Afrique a bien sa place à Cognac, et souvenons-nous des morceaux chantés en bambara, du poids d’Amadou dans le groupe, et du final débridé avec un beau moment de folie qui voit les choristes transformées en danseuses se déchaîner sur fond de percussions.


Amadou & Mariam © Brigitte Charvolin

Comme prévu, après son passage au château, on retrouve Travis “Moonchild” Haddix. Et le président d’honneur du festival se fait attendre : à l’instrumental Jeff’s head succèdent un titre funky sur lequel le trompettiste Jeff Hager chante faux comme s’il s’était coincé les parties nobles en remontant le zip de son falzar, puis une distribution de pacotille aux indigènes (en l’occurrence un lancer de colliers dans la foule, comme on fait notamment à La Nouvelle-Orléans…). Ce préambule enfin achevé, Haddix rejoint sa formation notamment forte de quatre cuivres, à savoir une trompette et trois saxophones dont un baryton ! Ça commence bien et la voix séduit comme nous l’avons noté plus haut (Winners never quit, Tuesday morning, Two heads are better than one), mais très vite Haddix se met en retrait et ses interventions se font parcimonieuses. Le groupe qui devait tourner si rond ronronne gentiment, et contrairement à ce nous pensions après sa première prestation, Haddix subit peu à peu les événements et se comporte comme un matou trop dorloté. Et c’est le plus gênant, car il ne semble pas agir faute de talent (qu'on ne saurait lui discuter), mais par manque d’envie et peut-être par suffisance.


Travis "Moonchild" Haddix © Brigitte Charvolin

 31 juillet

EDEN BLUES
À bientôt 75 ans (il les aura le 9 octobre 2010), l’impeccable Johnnie Bassett
est un des derniers ambassadeurs du blues moderne. Soutenu par un combo garant d’un swing et d’un groove permanents (le saxophoniste Keith Kalinski, le pianiste Chris Codish qui assure également la basse, le batteur Skeeto Valdez d’une stupéfiante souplesse), le chanteur et guitariste peut s’exprimer, et très peu le font aussi bien, avec tact, élégance et classe. Ce qui n’empêche pas l’efficacité et le feeling, des notions d’ailleurs jamais en rapport avec le niveau des décibels : il suffit d’écouter Drinking muddy water et A woman’s got ways, sur lesquels il sonne haut et clair, son dialogue improvisé avec le clavier de Codish sur Keep your hands off my baby, son détachement et sa justesse sur Ain’t got nobody ou sur sa lecture très personnelle sur un tempo très ralenti de That’s alright… Incomparable. Si on devait décerner une palme d’or pour cette édition 2010, elle irait à Johnnie Bassett.


Johnnie Bassett © Brigitte Charvolin

BLUES PARADISE
L’annulation en dernière minute du concert de la Nigériane Layori conduit les organisateurs à programmer Watermelon Slim
sur la scène principale. Le parcours du personnage est improbable : vétéran du Vietnam, puis camionneur ou plutôt « camionnier » comme il le dit lui-même en français, diplômé en journalisme et en histoire, on lui a trouvé en 1969 un QI de 142, ce qui le fait entrer dans un cercle très fermé ne concernant que 0,25 % de la population ! Mais il concède lui-même ne plus disposer aujourd’hui de telles facultés… En tout cas, génie ou non, Billy Homans alias “Slim la Pastèque” avait enflammé les scènes secondaires les jours précédents. On comprend mieux pourquoi. Il est complètement surexcité à l’harmonica et à la guitare lap-steel, et au bout d’un quart d’heure, seules quatre cordes tiennent encore le choc ! Après avoir traficoté son instrument sans résultat notable, il précise (toujours en français) : « Bien, ce n’est pas parfait, mais qui peut jouer le blues parfaitement ? » Chantant en outre d’une voix assez puissante agrémentée d’un défaut de prononciation comme s’il avait en permanence une patate brûlante dans le gosier, le bonhomme détonne dans tous les sens du terme. Mais derrière le pittoresque se cache un bluesman convaincant, attachant et sympathique avec son français châtié mais irrésistible. Artistiquement, sa lap-steel sonne plutôt comme une guitare slide venue du fond du Delta (Hard times, The wheel man, Smokestack lightning, Truck driving mama, Blue freightliner à la Rolling and tumbling) et son jeu d’harmonica favorise les aigus, voire les suraigus (I got a problem, Rattlesnake). Il sait également choisir ses textes quand il rend hommage à l’harmoniciste “Earring” George Mayweather (Tomorrow night) et aux victimes de l’ouragan Katrina sur sa composition Black water, s’essayant même avec bonheur à la country (Into the sunset). Le paroxysme s’installe le temps d’une interminable version de Long distance call, sur lequel il mime d’appeler Muddy Waters, son mobile lui servant ensuite de bottleneck. Peu après et pour la première fois durant cette édition, l’ensemble du public se lève… Une standing ovation suivie d’un They call me Watermelon Slim en rappel, ponctuation finale d’un show mémorable.


Watermelon Slim © Brigitte Charvolin

On a beau associer Eli “Paperboy” Reed à la soul, je le trouve en ce dernier jour de juillet particulièrement à l’aise dans plusieurs genres du R&B, dont on pourrait le qualifier de “revitaliseur” si le terme existait… Entouré de ses True Loves qui comptent notamment trois cuivres, il attaque plutôt en force vocalement (une tendance déjà soulignée dans notre chronique de son dernier CD “Come And Get It”, voir notre numéro 199) avec The satisfier, Name calling, Help me… La ballade d’Otis Redding I’ve been loving you permet de respirer un peu, puis tout repart de plus belle dans différents registres avec Stake your claim, Tell me what I wanna hear et même Twistin’ the night away. La complicité est au rendez-vous avec les musiciens sur Am I wasting my time et l’orgue inspiré de JB “30 Seconds” Flatt, et sur You can run on avec un Attis Jerrell “Lemon Lime” Clopton churchy aux percussions. D’ailleurs, après la ballade Time will tell et Come and get it, le chanteur démontre son intérêt à l’égard du gospel en invitant les Victory Travelers pour un rappel enflammé. La soirée la plus réussie du festival s’achève donc bien.


Eli "Paperboy" Reed © Brigitte Charvolin

1er août

EDEN BLUES et BLUES PARADISE
En cet après-midi du dernier jour, la conjugaison d’une pluie persistante et des sonorités absconses de Jef Lee Johnson
(qui rend hommage à Bob Dylan, dit le dossier de presse, ah bon ?) nous conduisent hors du site en attendant des heures meilleures. C’est donc sous un ciel assagi et devant une belle assemblée que nous retrouvons en début de soirée les Mountain Men, lauréats du prix Cognac Blues Passions en 2009 et invités sur la scène principale cette année. Est-il encore utile de présenter ce duo de la région grenobloise composé de Mr. Mat (chant et guitare) et de Barefoot Iano (harmonica) ? En quelque quatre ans et deux CD (le second, “Spring Time Coming”, vient de ressortir avec deux inédits), les deux compères ont atteint une notoriété considérable qui en fait un des groupes français les plus demandés du moment, y compris hors de nos frontières. Véritable marque de fabrique, la formule est redoutablement efficace : Mat emmène de sa voix surpuissante soulignée par sa guitare acoustique tout en assénant une rythmique métronomique et obsédante du pied, alors que Iano tisse des phrases tout en nuances à l’harmonica. Ces deux-là ont la clé du blues dans toute son urgence, et comme ils savent en outre cultiver l’humour, on se demande où réside la faiblesse… La mise en bouche est d’emblée consistante (Fishing blues, I make you lose, Blues before my time), puis le plat de résistance nous fait entrer dans une autre dimension : Rock me baby, Walking blues, Last fair deal gone down, Time is coming et autre She shines défrichent le blues sudiste avec un élan rare et hautement communicatif (et là encore, le public se lève). Magnanimes, les deux énergumènes daignent parfois nous laisser reprendre notre souffle (We shall overcome, She loves me so much avec Iano au chant et à la guitare acoustique, Mat à l’électrique), mais ça ne dure pas et ils nous achèvent avec une version démoniaque de Hellhole. Ces types n’ont peur de rien…

Génial batteur de l’afro-beat aux côtés de Fela dès la fin des années 1960, le Nigérian Tony Allen, qui ferme cette édition 2010, n’a rien perdu de ses exceptionnelles qualités instrumentales. Que le tempo soit funky et enlevé (Too many prisoners), teinté de jazz (Busybody) ou simplement hypnotique (Crazy afrobeat), le maître du rythme semble imperturbable. Derrière sa voix monocorde relayée par celle plus sensuelle de sa chanteuse, derrière les trois cuivres emmenés par un beau saxophone ténor, Allen imprime un groove implacable dans le plus pur style “action-réaction”. Et la percussion africaine, originelle et perpétuelle, reprend ses droits.

 

À l’heure du bilan, il convient d’être honnête : au printemps dernier, en découvrant le programme de cette édition 2010, les volontaires estampillés Soul Bag ne se bousculaient pas pour faire le déplacement à Cognac… Pourtant, avec le recul qui suit l’événement, on ne peut regretter d’être venus, nous avons vu et entendu de belles choses, nos comptes-rendus ci-dessus en témoignent. Oui mais, ce n’est quand même plus “comme avant” : il ne suffit plus d’arriver sur le site en fin de journée pour avoir la garantie d’assister à des concerts d’artistes en adéquation avec notre spectre. Ce festival s’est construit autour du blues et de ceux qui le font. Aujourd’hui, ledit blues est de plus en plus relégué au second plan. Réduit au rôle de faire-valoir, il est condamné sur l’autel d’un marketing qui engraisse de bien tristes Seal. Car hormis Travis “Moonchild” Haddix, en outre moyennement convaincant, et Watermelon Slim, reprogrammé en urgence suite à une défection, aucun bluesman américain n’était prévu sur la scène principale ! Certains noteront qu’il y avait Gil Scott-Heron et Eli “Paperboy” Reed, mais ces artistes n’incarnent pas réellement le blues dans le sens strictement traditionnel du terme, et quant aux Victory Travelers, impossible d’en profiter compte tenu du son (voir plus haut)… Certes, les satisfactions existent, en premier lieu Joe Louis Walker et Johnnie Bassett : mais quelle disgrâce (pour ne pas écrire faute de goût) de voir ces artistes auteurs de performances remarquables à l’affiche sur une scène secondaire, qui plus est à deux pas d’une scène principale à laquelle ils pouvaient aspirer. D’ailleurs, comme un rappel à l’ordre, la soirée artistiquement la plus intéressante a réuni trois artistes plutôt rattachés à la tradition, Johnnie Bassett, Watermelon Slim et Eli “Paperboy” Reed. Si les programmations de Barbara Hendricks et Seal n’apparaissent pas autant hors sujet que d’autres dans un passé récent (Duffy, Massive Attack, Leningrad Cowboys, Status Quo), elles entretiennent néanmoins l’impression désagréable d’un traitement de défaveur à l’égard des musiques censées nourrir la vocation d’un festival qui s’appelle toujours bien Cognac Blues Passions. Alors, contraintes de rentabilité dans un secteur musical commercialement mineur ? Sans doute. Nécessité de programmer des “locomotives” pour élargir l’audience ? Indiscutablement. Mais dès lors, cette ouverture que l’on qualifiera de raisonnée trouverait plus de sens en s’orientant par exemple vers l’Afrique (Amadou et Mariam ou Tony Allen peuvent fournir des pistes) que vers de supposées stars qui sont probablement au-dessus des moyens d’un tel festival. Ce serait dommage que Cognac Blues Passions, aux fondations solides et au savoir-faire difficilement contestable, prenne un virage trop radical aboutissant à une impasse. Car notre paysage musical a énormément besoin de ce festival. Il ne saurait même s’en passer.
Daniel Léon