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Live reports / 22.07.2009

COGNAC BLUES PASSIONS


B.B. King (derrière, Tony Coleman) © Brigitte Charvolin

« On a retrouvé le Cognac qu’on aimait ! » : cette phrase, souvent entendue dans les allées du parc François 1er et venant du public de la première heure, montre peut-être que Blue Passions est sur la bonne voie pour concilier fidélité à ses promesses d’origine et ouverture vers le « grand public ». Car à la fois Duffy et Charlie Winston ont su attirer en nombre leurs tribus respectives, et à la fois les amoureux des vraies musiques afro-américaines (au pluriel comme à la grande époque !) ont eu de quoi se rassasier jour après jour. « Chapeau ! », comme dirait un fan de Winston.

Blues Paradise

Autant commencer tout de suite par l’événement de ce festival : la prestation tant attendue de B.B. King. Quel autre artiste de blues est désiré avec autant d’excitation et d’impatience par une foule aussi nombreuse (plus de 7000 personnes) ? Et B.B. ne déçoit jamais, bien au contraire : même si son âge se fait légitimement sentir, il continue d’assurer de son mieux et se permet même quelques fins de morceaux en improvisation sur Lucille. Plus que sa guitare, c’est cependant sa voix et surtout sa présence scénique qui continuent de donner le frisson. Une prestation et un son impeccables. Les spectateurs sont repartis ravis, d’autant que le King a promis qu’il reviendrait. En tout cas on reverra sans doute Awek, qui ont donné le meilleur d’eux-mêmes en première partie.


B.B. King © Brigitte Charvolin


Stéphane Bertolino & Bernard Sellam (Awek) © Brigitte Charvolin

L’autre très grand moment de la scène Blues Paradise a été la prestation ahurissante de Raphael Saadiq : une entrée en scène fracassante, une voix à se pâmer, un jeu de scène remarquable, et surtout par-delà l’aspect très "pro" du show, un rare et réel plaisir de jouer et d’être là – voir entre autres son hommage sincère à Theodis Ealey et le jouissif bœuf improvisé qui s’ensuivit. Quelle énergie, quelle intensité ! Pour paraphraser l’hommage de l’artiste à Michael Jackson : « We love you Raphael »… Theodis Ealey, quant à lui, a livré un chouette concert, hélas pas très bien sonorisé, dosant avec équilibre blues, soul sudiste et même blues-rock, comme pour mieux répondre à l’opportunité qui lui était donnée de se produire devant un nouveau (et nombreux) public. Là encore, bon jeu de scène de la part d’un artiste qu’on aimerait bien revoir, pourquoi pas dans un répertoire plus canalisé.


Raphael Saadiq (derrière, Rob Bacon) © Brigitte Charvolin


Theodis Ealey © Brigitte Charvolin

Jackie Payne et Steve Edmonson ont également porté haut les couleurs de la soul sudiste, sans que le blues ne soit jamais loin : il y a du Bobby Bland chez Jackie, et du Freddie King chez Steve ! Enfin, Susan Tedeschi a livré un concert d’excellente facture, d’abord orienté blues (bonne version de Little by little), puis évoluant peu à peu vers le bon rock roots de son dernier album. Son jeu de guitare est parfois hésitant, mais heureusement il n’est jamais démonstratif et reste sobre ; c’est en outre une excellente chanteuse au timbre attachant. Sa musique respire, aidée en cela par un orgue et un sax. Bref, elle s’est enfin trouvée !


Jackie Payne & Steve Edmonson © Brigitte Charvolin

Blues au château

Je n’ai cette année assisté qu’à deux concerts, ayant raté le premier jour, celui paraît-il superbe de l’excellent Darrell Nulisch. Le set de Lou Pride fut d’une exceptionnelle chaleur : un grand concert de soul music à l’ancienne, avec un groupe en formation réduite (sans les cuivres), mais un chanteur charismatique complètement habité et à la ferveur communicative. Pride passa l’essentiel de son temps à chanter au milieu du public, le haranguant à la manière d’un prêcheur de gospel. Grandiose ! En revanche, sur le plan strictement musical j’ai moyennement apprécié la prestation en solo de Theodis Ealey, suivie de celle de son frêre aîné Bubba Ealey : la musique de Theodis n’est pas vraiment faite pour cela et Bubba, à 80 ans passés, a fait tant bien que mal quelques morceaux de Lil’ Son Jackson ou Lightnin’ Hopkins dans la veine des artistes Music Maker les plus fatigués. Mais les échanges complices et humoristiques entre les deux frères nous ont fait passer un bon moment.


Lou Pride © Brigitte Charvolin


Theodis Ealey & Bubba Ealey © Brigitte Charvolin

Autres scènes

A toute heure du jour et de la nuit, le festival fourmille toujours autant de scènes, chacune avec leur atmosphère particulière. Fillmore Slim a la classe dans son costume rouge. Son blues West Coast est mâtiné de funk et avec lui, on donne dans la "musique black" à plein. Accompagné par Chris Millar à la batterie, l’excellent A.C. Myles à la guitare et Jon Crossen à la basse, ça roule. The Soul of John Black : on préfère "JB" (John Bigham) entouré de son groupe plutôt qu’en solo. L’ensemble groove en effet avec délectation sur des ambiances funk ou rock entraînantes et inventives. Le blues et la soul sont bien là, aux racines de cette musique et dans le cœur de musiciens qui l’interprètent.


Fillmore Slim © Brigitte Charvolin


John Bigham (The Soul Of John Black) © Brigitte Charvolin

Cedric Burnside et Lightnin’ Malcolm : direction Mississippi Hill Country. L’héritage de "Big Daddy" R.L. Burnside (qui était venu à Cognac au tout début de l’histoire du festival) mâtiné d’une grosse dose de funk puissant. Le duo d’enfer n’a pas démérité ! On reste dans la même région avec Afrissippi, le groupe formé autour du sympathique Guelel Kumba avec d’anciens musiciens de Junior Kimbrough – hélas venus sans le formidable batteur Kinney Kimbrough, le propre fils de Junior (le remplaçant au pied levé s’en est toutefois bien tiré !). Eric Deaton est un grand guitariste, parfait héritier de Kimbrough incorporant sa propre patte. Le répertoire fut majoritairement composé de morceaux à orientation plus africaine, sans que le groove électrique s’en ressente, au contraire : l’alchimie avec les rythmes mississippiens est naturelle dans leur répertoire. Des concerts magiques, mes chouchous du festival !


Lightnin' Malcolm & Cedric Burnside © Brigitte Charvolin


Guelel Kumba (Afrissippi) © Brigitte Charvolin

Dwayne Dopsie & The Zydeco Hellraisers : quelle tornade ! Les représentants du zydeco cette année y sont allés fort : un flot soutenu, débordant de rock, de funk, de bruit et d’énergie… Trop éreintant pour moi, mais un succès indéniable. Ryan Shaw est quant à lui un très bon chanteur, entouré de musiciens pro, qui sait offrir ce qu’un public festivalier attend de lui. Le jeune homme a de la présence, sa soul est bien faite, à mi-chemin entre tradition et modernisme, mais peut-être un chouïa trop consensuelle pour moi (hommage à Michael Jackson plus convenu que celui de Saadiq, reprise de Let it be des Beatles…) : bien mais un peu léger. Alex Schultz a livré un set de grande qualité, quel guitariste tout de même !


Dwayne Dopsie © Brigitte Charvolin


Alex Schultz © Brigitte Charvolin

Cruelle déception avec Walter "Wolfman" Washington, pourtant venu avec l’organiste Joe Krown et le batteur Eric Bolivar (en remplacement de Russel Battiste Jr). Le trio commença son set un peu péniblement, avec une sonorisation manquant de relief, et le légendaire leader cherchait son groove sans le trouver. Au bout d’un petit moment il abdiqua, quittant la scène en annonçant un malaise. Heureusement, visiblement bien remis, il livrera le lendemain le concert dont il est capable. Malgré une sonorisation là encore imparfaite (l'orgue un peu trop en  avant), cet artiste atypique étonne toujours avec son blues délicatement mâtiné de funk et de jazz, qu'il agrémente de traits de guitare caractéristiques toujours aussi bien ciselés.
Quant à l’Australienne Dallas Frasca, dont le look m’évoque Yvette Horner, je suis resté hermétique à sa musique bruyante qui a pourtant semble-t-il remporté du succès. Au lieu d’innover, les jeunes tenants de ce genre de "punk-blues" me semblent plutôt se servir du blues comme d’un prétexte à se rendre intéressants. J’en regrette des Stevie Ray Vaughan ! A choisir, je préfère nettement Mélissa Laveaux, même si son folk mignon, là encore, très consensuel, a tendance à m’endormir (mais au moins on fait de beaux rêves).


Walter "Wolfman" Washington, Joe Krown, Eric Bolivar © Brigitte Charvolin

Et puis…

Le duo grenoblois Mountain Men a remporté le prix Cognac Blues Passions : on les reverra donc l’an prochain sur la grande scène, comme Awek cette année. Félicitations pour ces artistes entiers et parfaitement complémentaires (belle voix chargée d'émotion pour Mr. Mat, harmonica tout en nuances pour Barefoot Iano) qui savent également faire preuve d'humour, autant de qualités qui leur ont permis d'enflammer le public lors de leurs différents passages. Dans le festival "off", je suis tombé par hasard sur CadiJo venu avec Raoul Ficel : eux aussi mériteraient semblable reconnaissance, tant ils savent ce que blues veut dire. Tout comme Thierry Anquetil, programmé officiellement et en configuration A. Project, bouillonnant de feeling guitaristique : une de nos valeurs les plus sûres. Je n’ai pas surveillé d’assez près le reste de la programmation pour en faire un compte-rendu fidèle, et comme je n’ai pas le don d’ubiquité, j’ai loupé pas mal de groupes au sujet desquels j’ai eu de bons échos… Je tâcherai de me rattraper l’an prochain !
ED


Barefoot Iano & Mr. Mat (Mountain Men) © Brigitte Charvolin

Photo bonus :


Darrell Nulisch, Lou Pride, Tad Robinson (Severn Soul Revue) © Brigitte Charvolin