;
Live reports / 19.11.2021

Cimafunk, New Morning, Paris

10 novembre 2021

Le New Morning qu’on connaît si bien et depuis si longtemps se trouve un peu changé ce soir-là. La déco et l’aménagement n’ont pas bougé, je vous rassure. Ce n’est pas non plus les caméras qu’on voit plantées de part et d’autre de la fosse. Si le New Morning a l’air différent, s’il semble avoir fait un peeling ce soir-là et avoir mis ses plus beaux atours, c’est à cause du public. Un peu plus jeune que d’habitude, un peu plus frémissant. La musique d’avant concert est un peu plus forte, un peu plus club. On comprend en s’apercevant qu’elle vient d’un DJ à gauche de la scène. Il y a du monde et il fait froid dehors et quelques dizaines de minutes avant l’arrivée du groupe cubain, on sent déjà que la sauce monte. Ça s’agite partout autour de moi. Quelqu’un sort de l’arrière-cuisine pour faire signe que c’est prêt. La musique ralentie, « Alleeeez » dit le public, dans ce qui sera une de ses dernières manifestations purement parisiennes de la soirée. 

Les Cubains débarquent. La présence d’un DJ, l’écoute répétée d’“El Alimento” et la considération du coût que représente le transport d’un groupe complet par-delà les océans nous faisaient craindre une formation resserrée, assistée de quelque programme. Grosse erreur. Y a du monde sur scène. L’artiste qui donne son nom au spectacle paraît presque petit face à toute cette bande. Ils sont neuf en tout sur scène. Deux percussionnistes, un batteur, clavier, guitare, basse, une saxophoniste et une tromboniste qui sont également choristes. Tout est frais, fait maison, en direct, devant nos yeux ébahis. On savait que les embargos avaient contraint le peuple cubain de préserver en état de marche de vieilles bagnoles qui ravissent les amateurs. On ignorait que Cuba préservait aussi en parfait état de marche des machines de guerre parfaitement huilées qui nous font entrevoir la splendeur des JB’s à la grande époque. En vérité, je n’en sais rien, je n’ai jamais vu les JB’s sur scène pas plus que je n’ai conduit de Chevy Bel Air de 57 à Cuba ou ailleurs. 

La musique de Cimafunk est malgré tout quelque peu éloignée de ce que trimbale habituellement la besace d’âmes d’où sortent ces lignes. Mais quand même. Le jeu de scène entre Cimafunk et ses facétieuses choristes Ilarivis García Despaigne et Katerine Ferrer Llerena fait furieusement penser à ce qu’on peut voir encore aujourd’hui chez Bobby Rush. Et l’énergie permanente de Miguel E. Piquero Villavicencio, sur le devant de l’estrade, n’hésitant pas à improviser un numéro de chippendale le temps de changer une corde de guitare, évoque quelque chose du dévouement de Bobby Byrd. Mais ces échos d’un passé fantasmé ne préoccupent pas le public du New Morning, qui se déhanche sur une musique qui est autant funk que cubaine, et surtout, qui explosent tellement plus fort sur scène que sur disque. Les percussions partent dans tous les sens, les chœurs sont puissants. 

Au milieu de tout ça, Cimafunk joue davantage le rôle d’un chef d’orchestre que celui d’un leader. Mis à part sa prestation d’ouverture sur la ballade soul Salvaje, il se met relativement peu en avant. Pourtant il est en permanence agité de tressautements, sa bouche délivrant un courant continu d’improvisations mélodiques et de scats rythmiques à la limite du hoquet rockabilly. Les membres du groupe jouent véritablement ensemble, et s’ils ne s’amusent pas autant que nous, ils font drôlement bien semblant. Le public n’est pas dans son état habituel. Il saute, il hurle, des jeunes font trembler leurs fessiers façon gelly pendant que les plus vieux ressortent leurs moves de funk de derrière les fagots. Un de ceux-là se fait choper par le groupe et monter sur scène. On pense au taureau de Cabrel qui attrape son torero et son chapeau pour les faire tourner comme un soleil. Notre derviche parisien se défend pas mal, mais il finit par avoir du mal à suivre. Les rythmes sont trop saccadés, il se laisse surprendre par des breaks inattendus. On craint qu’il ne s’écroule d’épuisement. Finalement c’est une petite dizaine de membres du public qui finit par monter sur scène pour ce qui commence à ressembler dangereusement à une bacchanale. 

Décidément, ce public est étrange : il arrive un peu trop bien à se coordonner, il a l’air d’assez bonne humeur. Quand il arrive sous les instructions du groupe à tenir quelques minutes un rythme de clave, on se demande ce que Cimafunk arrive à faire à nos bons vieux Parisiens incapables habituellement de suivre un rythme binaire sans se ramasser au bout de vingt-cinq secondes. C’est en les écoutant appeler Cimafunk pendant les deux rappels qu’on réalise finalement ce qui se passe ce soir-là. Le public ne crie pas « Une autre ! » mais « Otra ! ». Ces gens qui dansent et qui s’amusent sincèrement ne sont pas seulement des Parisiens : nous sommes tombés dans une réunion de parigots cubains. Que ceux qui pensaient vivre longtemps après le crépuscule des grands groupes festifs se débouchent les oreilles, courent voir Cimafunk et se prennent une torgnole de jouvence. 

Texte : Benoit Gautier
Photos © Wilfried-Antoine Desveaux