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Brèves / 28.09.2014

Chronologie des musiques afro-américaines, 1914

Comme prévu, voici un premier extrait du tome 1 du livre De Christophe Colomb à Barack Obama – Une Chronologie des musiques afro-américaines (de Jean-Paul Levet avec la participation de Daniel Léon). Nous avons choisi de publier l’intégralité de l’année 1914 pour marquer le centenaire par rapport à 2014. Pour la structure de l’ouvrage et notamment la description des rubriques, merci de vous reporter à cette information détaillée publiée la semaine dernière.

Nota. Les auteurs recherchent une personne maîtrisant les fichiers ePub et le logiciel d’édition en ligne Sigil. Merci de vous manifester à cette adresse.

1914

Seems like murder here
– 55 Noirs sont lynchés.
 – ca. Les parents de Champion Jack Dupree périssent brûlés ; le futur pianiste est placé dans le même orphelinat que Louis Armstrong (Colored Waifs Home) à La Nouvelle-Orléans.

Condition des Noirs
Marcus Garvey crée en Jamaïque la Universal Negro Improvement Association (UNIA) avec constitution d'une police paramilitaire. Il prêche la haine du Blanc et le retour de ses frères en Afrique. Il quittera la Jamaïque en 1916 et s’installera à New York ; son mouvement essaime très vite, notamment dans les ghettos des villes du Nord, et le nombre de ses membres dépasse le million au milieu des années 1920. Il fondera également The Negro World (cf. 1918).

When I get back to this great land, you better watch me, Harvey
‘cause I’m gwina be a great big man, like my friend Marcus Garvey.
West Indies Blues (Clara Smith, 1924)

Économie & démographie
– Inauguration du canal de Panama dont les travaux, commencés en 1904, ont mobilisé plus de 40 000 personnes et provoqué la mort de plus de 6 000 ouvriers ; le canal est vital pour l’économie américaine : il réduit de près de près de 12 000 kilomètres le trajet entre les côtes est et ouest.
– Henry Ford provoque la stupéfaction des milieux économiques : il double le salaire horaire de ses ouvriers ; c'est la Wage Motive (la motivation par le salaire). Ensuite, il va progressivement faire passer le temps de travail quotidien de neuf à huit heures, puis la durée hebdomadaire à quarante heures (instauration d'un nouveau jour de repos le samedi). Cette politique va s'avérer très rentable, attirant les meilleurs techniciens et ouvriers tout en augmentant notablement la productivité.
– Dodge, qui fabrique des pièces détachées depuis 1900, réalise sa première voiture à Détroit ; la marque sera rachetée par Chrysler en 1928.

I’m Black and I’m Proud


© : Library of Congress


 La NAACP crée la médaille Spingarn, qui récompensera chaque année à partir de 1915 un Afro-Américain s’étant distingué dans un secteur (art, culture, science, économie, politique, enseignement…) ; au fil des années, elle va notamment honorer W. E. B. DuBois (1920), George W. Carver (1923), Roland Hayes (1924), James Weldon Johnson (1925), Mary McLeod Bethune (1935), Marian Anderson (1939, notre photo), Richard Wright (1941), Asa Philip Randolph (1942), Paul Robeson (1945),  Jackie Robinson (1956), Martin Luther King (1957), Duke Ellington (1959), Langston Hughes (1960), Medgar Evers (1963), Sammy Davis, Jr. (1968), Gordon Parks (1972), Alexander Haley (1977), Rosa Parks (1979), Jesse Jackson (1989), Maya Angelou (1994) et Ruby Dee (2008).

Industrie du spectacle / Édition musicale
– Création de l’ASCAP, American Society of Composers, Authors and Publishers ; son objectif est de faire respecter les termes du Copyright Act de 1909 en gérant et redistribuant les droits générés.
– Dix-huit marques vendent annuellement cinq cent mille gramophones ; cinq ans plus tard, deux cent marques en vendront deux millions.
– Dépôt de St. Louis Blues et de Yellow Dog Blues par W. C. Handy ; le premier titre sera enregistré et popularisé en 1917 par la chanteuse blanche Sophie Tucker. « Il y a longtemps, j’ai écrit Yellow Dog Rag [Yellow Dog Bun]. Il s’est moyennement vendu et je l’ai vite oublié. Quand est venue la vogue du blues, j’ai ressorti ce vieux morceau et j’ai changé son titre en Yellow Dog Blues. Je n’ai rien changé d’autre que son titre. Aussi incroyable que cela puisse paraître, à peine le morceau sorti, j’ai gagné 7 500 dollars de royalties. » W. C. Handy, « The Heart of the Blues », dans The Etude  de mars 1940).


© : DR

I got the St. Louis Blues, and just as blues as I can be
My girl’s got a heart like a rock cast in the sea
That’s the reason why she goes so far from me.
St. Louis Blues (Jim Jackson, 1930)

 

Langage
Bien qu’originellement intitulé Yellow Dog Blues, ce titre est publié par W. C. Handy sous le titre Yellow Dog Rag, blues et rag étant des termes quasiment interchangeables à l’époque.

Musiciens


Pa & Ma Rainey. © : courtesy of Jas Obrecht.

 – Ma Rainey tourne avec son mari Will « Pa » Rainey sous le nom de Rainey and Rainey, mais également avec les Assassinators of the Blues et le Tolliver’s Circus and Musical Extravaganza.
– Bessie Smith tourne en duo (Smith & Burton) avec Wayne « Buzzin’ » Burton, puis apparaît dans la revue Park’s Big Revue au Dixie Theater d’Atlanta.
– Charlie Patton commence à jouer avec la famille Chatmon (les futurs Mississippi Sheiks) ; il livre également quelques-uns de ses secrets à Willie Brown tandis que Tommy Johnson commence à l’imiter.
– Blind Lemon Jefferson se produit dans les rues, les bordels, les parties, dansla région de Dallas, Galveston et Silver City.
– Le Rev. J.M. Gates devient le pasteur de la Mount Calvary Baptist Church à Rock Dale Park, Atlanta (GA). Il exercera là jusqu’à sa mort en 1945.

Élargissement de l'audience des musiques noires
– 
États-Unis. Le Victor Military Band (Victor) et le Prince’s Orchestra (Columbia) gravent des versions orchestrales du Memphis Blues de W. C. Handy tandis que, le 2 octobre, Morton Harvey en donne une version qui passe pour être le premier morceau chanté comportant blues dans son titre. Dans une lettre de 1954, il écrira à propos de cet enregistrement : « Les gars qui m’accompagnaient venaient d’un orchestre symphonique ; ce n’est pas leur faute s’ils n’ont pas insufflé cette touche "blues" dans l’enregistrement. Cette façon "blues" de jouer et de chanter qui deviendra si populaire plus tard était alors tout juste naissante. Même les versions enregistrées pour la danse étaient alors jouées comme des one-steps. Dans ma version, il y a pourtant quelques bons "dérapages" de trombone. »
– Irene et Vernon Castle publient Modern Dancing, un ouvrage dans lequel ils popularisent les danses noires, turkey trot en tête, en les édulcorant et en les débarrassant de leurs connotations sexuelles.
Océanie. Eva Taylor (cf. 1904 et 1906) effectue sa seconde tournée aux antipodes (Australie, Tasmanie, Nouvelle-Zélande) au sein du Josephine Gassman Phina & Company Show.

En librairie
– Henry E. Krehbiel : Afro-American Folksongs: A Study in Racial and National Music.
– John A. Wyeth : With Sabre and Scalpel: The Autobiography of a Soldier and Surgeon :
 « Il s’agissait d’une ancienne chanson appelée "Johnny Booker", que j’avais apprise très jeune auprès des nègres, et je pense qu’ils en étaient les auteurs. Elle avait un tempo swinguant et très rapide qui convenait au style de banjo joué par les nègres des plantations, c’est-à-dire en overhand [ndt : la main sur le manche joue à l’envers, comme sur le clavier d’un piano], et non à la manière d’une guitare comme on nous l’apprend aujourd’hui. »

I went down de back ob de fiel';
A black-snake cotch me by de heel
I cut my dus', I run my best;
Run my head in a hornet's nest
Oh! do, Mr. Booker, do, oh, do, Johnny Booker, do;
Oh do, Mr. Booker, Johnny Booker,
Mr. Booker, Mr. Booker, Johnny Booker, do!

« Un autre chant populaire se référait à la "patrouille", que les nègres évoquaient sous le terme "patter-rollers" [ndt : aussi pattyrollers ou paddy rollers, membres d’une milice blanche chargée de la répression à l’égard des esclaves, notamment en fuite] :

Run, nigger, run; patter-roller catch you;
Run, nigger, run; it's almos' day;
Run, nigger, run; patter-roller catch you;
Run, nigger, run; you'd better git away.
Dis nigger run; he run his best;
Stuck his head in a hornet's nest.
Jump'd de fence and run frew de paster;
White man run, but nigger run faster. »

 

First Time I Met the Blues
 À propos du St. Louis Blues de W. C. Handy, Jelly Roll Morton dira dans une interview réalisée en 1938 : « M. Handy ne peut prouver qu’il a créé la moindre forme de musique. Il a certainement profité d’œuvres non protégées par des droits comme il en circule parfois. »

Sottisier 
« Dans les foyers chrétiens, où la pureté et la morale sont exaltées, le ragtime ne doit trouver aucune place. Supprimons cette pourriture. Purgeons l'Amérique et l'Art Divin de la Musique de cette nuisance polluante. » Leo Oehmler, Musical Observer.

Born to Be Blue

– Blues : Dudley Alexander, acn (New Iberia, LA) ; Eddie Boyd, p (Stovall, MS) ; Dink Brister, g (près de Tylertown, MS) ; Cassell Burrow, dm (Galloway, TX) ;  Connie Curtis « Pee Wee » Crayton, g (Rockdale, TX) ; Wilbert Thirkield « Big Chief » Ellis, p (Birmingham, AL) ; Andrew « Smokey » Hogg, g (Rusk County, TX) ; Coy « Hot Shot » Love, hca (Clarkendale, AR) ; ca. Rosetta Howard, voc (Chicago, IL) ; O. D. Jones, g (près de Tylertown, MS) ; Lawrence « Booker T. » Laury, p (Memphis, TN) ; « Mississippi » Matilda Powell, voc (Hattiesburg ?, MS) ; Eugene « Buddy » Moss, g (Jewell, GA) ??; Blind James Phillips, g (Birmingham, AL) ; Charley West, voc (Andalusia, AL) ;  Harmon Ray alias Peetie Wheatstraw's Buddy, voc (Indianapolis, IN) ; ca. Josh White, g (Greenville, SC) ; Robert Pete Williams, g (Zachary, LA) ; John Lee « Sonny Boy » Williamson, hca (près de Jackson, TN).
– Gospel : Claude Jeter (Montgomery, AL) ; Thermon Ruth (Pomaria, SC) ; ou 1915,  Roebuck « Pops » Staples, voc/g (Winona, MS) ; Madame Ernestine Washington (Little Rock, AR).
– R&B : Camille Howard, p (Galverston, TX) ; Ivory Joe Hunter, voc (Kirbyville, TX) ; Albinia Jones, voc (Errata, MS) ; Jack McVea, sax/clnt (Los Angeles, CA).
– Personnalités noires : l’écrivain Ralph Ellison et le boxeur Joseph Louis Barrow alias Joe Louis.

 

Now he’s a natural born fighter who like to fight them all
The bigger they come, he says the harder they fall (…)
Listen all you prizefighters, don’t play him to cheap
Take a tip from me, stay off Joe Louis’s beat.
Joe Louis Blues (Carl Martin,1935)

 

Death Bell Blues
Pré-blues : George W. Johnson (67 ans).