Charley Crockett & The Blue Drifters, Café de la Danse, Paris
21.09.2023
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Deuxième partie du voyage d'André Hobus qui en octobre dernier a sillonné le sud des États-Unis.
Tunica. Le centre culturel en fausse cabane ouvre la route. Son hall d’entrée tout en peintures naïves et enfantines évoque des bluesmen célèbres (James Cotton, Dr. Ross…) et la vie des champs. Même la porte des toilettes est typée : Memphis Minnie et Fred McDowell ! Le petit musée adjacent (et payant) propose des vitrines aux guitares vintage.
La plantation décatie Abbay & Leatherman constitue à elle seule le symbole d’un État en quête de lui-même. Robert Johnson et sa famille y vécurent. De l’autre côté de la route, quelques champs de coton et leurs balles assemblées, un nuage de poussière d’un véhicule circulant, des machines usées au pied d’un grand panneau publicitaire pour un casino. Un mirage, donc. Justement, le Horseshoe a fait du blues sa thématique principale. Qui aurait imaginé un jour les visages stylisés de Johnny Shines, Howlin’ Wolf, Koko Taylor et autres titillant la chance ? Je suis “ironique” parce que ces dalles décorent le mur extérieur de la salle de concert. C’est un hommage malgré tout. Je n’écrirai rien sur ce ridicule Crossroads. Par contre, pour l’authenticité depuis 1924, Abe’s BBQ est votre menu.
Casino Horsehoe
Abe’s BBQ
Helena, Arkansas. Dernier jour du King Biscuit Festival. Ah, franchir le fleuve par un de ces ponts métalliques inspirés de l’œuvre de Gustave Eiffel me ravit encore, comme le disque dans sa pochette. Le centre historique autour de Cherry street est sinistré : les bannières colorées, les stands de soul food et les nombreux visiteurs le font revivre le temps d’un week-end.
Guitar Mac
Divers musiciens de rue tentent de se faire remarquer – Guitar Mac (vo, g) occupe une entrée de magasin, le Dick James band vous reprend tout le répertoire… mais c’est la programmation des podiums adjacents, aux noms évocateurs (scènes Dr. Ross, Robert Lockwood Jr, Stackhouse stage, A little bit’o’blues) qu’il faut interroger, ainsi que celle adjacente et intérieure (l’annexe Miller) au Delta Cultural Center. Passage obligé et bien sympathique : le DJ Sonny Payne, icône de la station KFFA qui décèdera quelques mois plus tard à l’âge de 92 ans, interviewe les personnalités de passage (Barbara Newman, présidente de la Blues Foundation, Nikki Hill… même notre guide-chauffeur) et passe du blues, entre deux annonces et pré-enregistrements. Le musée favorise visuellement l’apport des bluesmen de et associés à l’Arkansas. Bravo ! Qui le visite ?
Sonny Payne, avec notamment Matt et Nikki Hill
Plus “terroir”, le Bubba’s Corner Record Shop, sorte de foire-bazar aux disques. C’est l’accent épais des deux tenanciers rondouillards qui en fait le parfum local. Au détour des rues : Rip Lee Pryor joue l’homme-orchestre devant son camping-car. Son style ancien passe bien dans le décor meurtri.
Rip Lee Pryor
Tyrannosaurus Chicken, déjà remarqué à Chicago, ou le retour néo-racinien des musiques “gigues et lampe à huile”. Duo one man band emmené par Rachel Ammons (chant, guitare, banjo, et fiddle – d’une pièce grâce aux bandes adhésives). Ils formeront le noyau central du Ben Miller Band (vo, cigar box, banjo…), un autre spécialiste du style “bûcheron / chaussures à clous / coupe Mohawk” qui chante aussi dans un téléphone (!). Il va sans dire que le bassiste joue de la corde à linge sur balai. Mais ça marche et ils déménagent !
Tyrannosaurus Chicken
Ben Miller, Rachel Ammons
Direction l’annexe. Charlotte Taylor (vo, hca) & Gypsy Rain passent bien, malgré leur non-répertoire. Willie Cobbs (vo, hca). Créateur du classique You don’t love me (pensez Mayall/Yardbirds époque Clapton). Voix authentiquement Howlin’ Wolf dans un groupe trop large qu’il ne maîtrise pas et qui part dans tous les sens mais c’est goûteux. La bonhommie l’emporte et tout le monde transpire dans la bonne humeur, danseurs improvisés compris. Pas de clim.
Charlotte Taylor & Gypsy Rain
Willie Cobbs
Kenny Smith Band. Appelons-les plutôt The Chicago Blues All Stars. Qui voilà ? Bob Stroger (b, vo), le gentil Kenny (batterie, il devrait s’abstenir de chanter ou de pianoter), Billy Flynn (hca ou… batterie. Batterie ? Une seule tentative, heureusement), Piano Willie et les magnifiques Bob Margolin (g, vo) et Tom Holland (g, vo). Ils parviendront encore à élever la température dans une pièce surchauffée !
Bob Stroger, Tom Holland, Bob Margolin, Kenny Smith, Billy Flynn
Je déambule jusqu’à la fin active de Cherry Street. L’immeuble lourd du tribunal semble me fermer le passage. Proches, des boutiques survivent ou sont placardées. Des parkings s’improvisent dans des terrains vacants.
Le petit cinéma Malco semble calme. Je pousse les portes : le délire ! À croire que s’y déroule un concours pour découvrir les nouveaux Jackson Five, version gospel. Brûlant les planches, une famille entière (?) se déchaîne dans des appels-chants/contre-chants aussi frénétiques que leurs pas de danse ! Le batteur doit avoir 9 ans (?) pendant que sa mère (?) pompe à la basse et que la fratrie (?) – les filles en tête, chemisiers fleuris et sandales compensées – s’époumone devant des spectateurs tout aussi participatifs. Mon Lumix pocket est techniquement incapable de figer une attitude. Je reste fasciné par ce mélange de show business et de communication “sanctifiée”. De par mes origines et ma culture, je ne serai jamais que spectateur.
Je sors du cinéma désorienté dans l’air chaud du soir. La baffe finale arrive… Sur le dernier podium : Fillmore Slim & His West Coast Blues Revue. Traduisez : le mac chantant et son orchestre, Strait Outta Oakland en référence au film sur le groupe de gangsta rap NWA. Look inouï : toute leur tenue de scène est bicolore rouge et blanc, depuis les petits chapeaux étoilés ridicules à la Madonna, des montures de lunettes inutiles, les costards blancs sur chemise rouge pétante, genre rayonne, des pompes outrageuses… et les bagouzes et breloques dorées de rigueur. C’est parti !
Fillmore Slim
Qu’est-ce qu’ils déménagent ! Les cuivres graissent, le guitariste soliste découpe. Ils sont chauds ! Non, hot dès les premières notes ! Nous sommes en plein air, tout le monde transpire et les deux pauvres ventilateurs ne ventilent pas, ou peu. Quant à Filmore Slim, c’est fitness et voix déclamatoire malgré un âge avancé. L’aboyeur de service relance l’orchestre, style James Brown de quartier. J’en prends plein la figure même s’ils ne jouent pas mon genre préféré. Mais live… De nouveau, je mesure mon fossé culturel.
Texte et photos : André Hobus
Prochain chapitre : Clarksdale, Holly Springs, Tupelo…