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Live reports / 13.03.2018

Chroniques du Deep South (Part. 1)

En octobre dernier, notre intrépide camarade André Hobus a sillonné le sud des États-Unis, du Tennessee à la Louisiane en passant par l'Arkansas et le Mississippi. Il a évidemment fait le plein de rencontres et d’images. Un reportage que nous vous proposons en plusieurs chapitres. Première escale à Memphis.

Voilà quelques années déjà que j’envisageais de réactualiser mes connaissances – elles dataient de 1990 – et de renouveler mes sensations de “terrain” dans ce Sud profond fertile en blues : la multiplicité des festivals, les liens privilégiés Chicago-Mississippi, la mise en valeur par celui-ci de son héritage musical, les nouveaux musées, les plaques commémoratives, la découverte de sous-genres régionaux… comment allais-je vivre ce changement ? À la suggestion d’un ami collectionneur intéressé, notre choix se porta sur Happy Trails, une agence hollandaise qui accepta d’organiser un tour de deux semaines presque personnalisé puisque à notre duo s’ajouta un unique participant et bien sûr notre chauffeur-guide, un connaisseur expérimenté. Bien documentés, prospectus, cartes et disques, nous pouvions donc aller à l’essentiel.

 

 

Memphis, Tennessee. Malgré quelques installations de multinationales, Memphis semble toujours alanguie et constitue un point de départ sûr. Le blues ? Ce sont déjà des gratte-ciels jadis de standing, aujourd’hui fermés et placardés mais de riches peintures murales trompent l’ennui : la municipalité encourage visuellement sa culture musicale racinienne. Si le premier soir, des bikers grondant animaient Beale street aux tavernes surfaites, au Handy Park, un certain Chris Pitt (vo, g) et son groupe cartonnaient avec de l’Albert King nerveux. Nous fûmes bien plus chanceux au deuxième : une dizaine d’établissements affichaient une programmation “spéciale”, en lien avec le prochain King Biscuit Festival. À l’achat d’un simple bracelet, nous avons choisi d’abord Bob Margolin (vo, g), Bob Corritore (hca), Heather Cross (b, vo) et son vigoureux batteur au Rum Boogie Cafe. Premier set d’1h15 de néo Muddy Waters tout en finesse et dynamique. Et l’occasion pour Corritore de découvrir la signature de Sonny Boy Williamson II sur un authentique programme de l’AFBF que lui tend mon ami. Accueil chaleureux et photo immédiate pour ses archives. 

 

 

 


Heather Cross

 


Bob Corritore, Bob Margolin

 

 

 

Au King’s Palace, nous découvrons le blues gospelisant du Reverend John Wilkins. Peu d’amateurs alors qu’il est prenant. Par contre, le Blues City Cafe est plein. En scène, Hillbilly Casino déménage du méchant rockabilly nerveux et tatoué. Enfin, au Jerry Lee Lewis’s, Jason D. Williams (vo, g, p) clôture son set, alternant piano rock’n’boogie comme son idole et de la guitare fluide à la Ventures.

 


Reverend John Wilkins

 


Hillbilly Casino

 


Jason D. Williams

 

Memphis valorise aussi son passé afro-américain au travers de lieux symboliques musicaux, certes, mais davantage politiques et sociaux à l’instar de Montgomery, Alabama qui se proclame maintenant “berceau des droits civiques”, dans un étonnant revirement de point de vue. Outre l’établissement de la Blues Foundation – statue assise de Little Milton très réussie (celle de Bobby Bland, un peu plus loin, est ratée et mal installée) –, ici et là des plaques commémoratrices et œuvres murales rappellent l’activisme des années 60 et 70, notamment à un bloc du chouette Centre pour le Folklore du Sud. Si Beale street est clairement un attrape-touristes, il ne faut pas négliger pour autant le magasin ancestral Schwab ou la galerie de photos d’Ernest C. Withers où on se replonge dans les années de ségrégation et de rhythm’n’blues.

 

 

 

 

La petite maison de bois, lieu de naissance du compositeur-chef d’orchestre W.C. Handy paraît bien anachronique à côté d’un parking mais le jeune homme en charge de son ouverture (aux heures aléatoires) nous conduira au cœur du secrétariat de la puissance organisation chrétienne COGIC qui gère le lieu afin que nous puissions leur transmettre un document-souvenir. Ils apprécient.

 

 

Les musées adoptent une perspective pluriculturelle : chez Stax, vous découvrez d’abord la reconstitution d’une église de campagne en rondins et les diverses influences afro-américaines pré-label Satellite. Au studio Sun historique, laissé en l’état “50s” – c'est-à-dire dont le recouvrement acoustique commence à se détacher des murs –, la visite passe d’abord en revue les premiers enregistreurs de Sam Phillips et des acétates exposés dans leur cadre de fonction originelle. La pièce en elle-même est étonnamment petite et décorée des portraits de ses stars populaires pour le plus grand plaisir des seniors ventripotents débarqués par cars entiers. Cependant, il faudra vous rendre au Rock’n’Roll Hall of Fame de Cleveland, Ohio, pour y découvrir une reconstitution fidèle du studio, y compris l’équipement technique de base, donné par Sam Phillips, qui servit à enregistrer Howlin’ Wolf.

 

 

Malgré la réputation du studio Royal et de Willie Mitchell, glorifié sur des murals, l’avenue qui porte son nom est négligée et aussi dégradée qu’une voirie de Detroit. Quant à la maison de naissance d’Aretha Franklin, un méchant grillage l’entoure et ses fenêtres sont placardées. La pauvreté du quartier est patente. Notre diner soul food en est l’illustration pondérale.

 

 

 

 

 

Retour au centre-ville et arrêt au Mason Temple où Martin Luther King prononça son dernier discours dans lequel il évoquait sa vision du sommet de la montagne. Géré par la COGIC, l’amphithéâtre de la Church of God in Christ est d’une sobre beauté majestueuse et les paroles prophétiques du pasteur King y résonnent encore. À l’inverse, le Full Gospel Tabernacle d’Al Green est familial, traditionnel et presque intime.

 


Reverend Al Green

 

Tiens, je ne vous parle pas d’Elvis Presley. Non, je ne participe pas à son culte tel qu’il est pratiqué aujourd’hui. La toute nouvelle billetterie a les allures extérieures et les couleurs d'un magasin Ikea. Par contre, la mise en scène du Lorraine Motel, qui vit l’assassinat de Luther King, mérite le respect (sauf la nuit, semble-t-il, quand un rayon laser rouge reproduit le tir) : la couronne de fleurs, les deux voitures vintage et les portraits muraux en face du musée. Cependant, la dernière descendante – activiste de ce qui fut un bloc d’habitations sociales dont les occupants légitimes furent chassés – rappelle inlassablement que nous sommes loin des idéaux de King. D’autres lieux emblématiques (le hall de l’hôtel Peabody, le théâtre Orpheum, le disquaire Shangri-La’s…) illustrent encore nos lectures de jeunesse et nos rêveries devant les couvertures de LP. Salut Dewey Phillips en l’hôtel Chisca !

Texte et photos : André Hobus

Prochain chapitre : Tunica et Helena pour le King Biscuit Festival.