Ça vient de sortir [8 décembre 2023] : ExpéKa, Hawaiian Pistoleros, Shrizz N Maze, Jake Isaac…
08.12.2023
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Arrivé trop tard pour être chroniqué dans notre numéro qui paraît vendredi, il aurait été dommage de ne pas évoquer dans le détail ce somptueux coffret qui trouvera sa place sous le sapin !
C'est le 12 août 1997 que la trajectoire de Luther Allison a été stoppée brutalement, alors qu'un nouvel horizon s'ouvrait devant lui. Un méchant cancer, diagnostiqué quelques semaines auparavant, avait eu raison de ce conquérant qui donnait une image tellement positive du blues. Comme B.B. King, il avait l'humilité des grands, une haute considération de sa musique, et cultivait le respect de son public. Plus une énergie incroyable !
Ce coffret entend rendre hommage à cette personnalité si irradiante. Un hommage voulu par Thomas Ruf, son agent en Allemagne depuis 1986, puis son manager exclusif, avant qu'il ne créée un label pour l'enregistrer et le mener à la reconquête de cette Amérique qu'il avait abandonnée en 1978 pour s'établir en France. Les débuts sur Delmark et Gordy sont seulement évoqués par le texte, le premier disque s'attache à son premier contact avec l'Europe, lors du Montreux Jazz Festival de 1976. L'influence du Chicago blues et de B.B. est évidente, mais ses qualités propres aussi : puissance, engagement, longs développements. On oublie quelques live et les premiers pas en studios français pour redécouvrir l'ambitieux “Life Is A Bitch” (1984) avec de belles compos qui le suivront toujours (la chanson titre, Backtrack, Serious…) et une ballade à la Redding, Just memories. On néglige “Here I Come” et “Rich Man” pour arriver au live à Berlin de 89, “Let's Try It Again”. Son fils Bernard l'a rejoint et se distingue sur Bad news is coming, mais Luther donne toute sa mesure, comme toujours en public. Ses reprises de ses propres compos sont développées, enrichies, renouvelées. Le mot “routine” ne fait pas partie de son vocabulaire. En 1992, il s'offre une récréation acoustique avec “Hand Me Down My Moonshine”, enregistrée à la maison avec Zox à la contrebasse, et le renfort ponctuel de Patrick Verbeke et de Bernard. L'album n'a rien d'anecdotique pour autant, avec dix titres originaux forts et la révélation de sa maîtrise du style traditionnel.
L'album suivant marque un tournant. Il a composé de nouveaux morceaux avec son copain guitariste James Solberg et va les enregistrer à Memphis, sous la houlette de producteur Jim Gaines, grâce à l'indéfectible soutien de Thomas Ruf. Le résultat est bluffant ! Jamais sa présence n'a été aussi bien exploitée en studio. Des titres comme Bad love, Soul fixin' man accrochent, tout comme la guitare slide de Nobody but you ou les choristes soul de She was born that way. Le très engagé Freedom fait peau neuve grâce à Kpe Lee. Titré “Bad Love” sur Ruf, le CD devient “Soul Fixin' Man” sur Alligator aux États-Unis. Le public américain le découvre enfin et semble décidé à rattraper le temps perdu en lui décernant cinq Handy Awards en 1994. La voie est enfin tracée et les deux albums qui vont suivre, “Blue Streak” et “Reckless” vont creuser le sillon, avec quasiment les mêmes équipes. La réussite artistique s'accompagne de nouvelles moissons aux Handy Awards et d'une reconnaissance commerciale.
Disponible en version vinyle ou CD, c'est visiblement la première qui a été privilégiée pour ce coffret, ce qui explique sans doute l'absence de “bonus”, incompatibles avec la durée des vinyles. Il est aussi accompagné de quatre DVD, quatre concerts qui permettent d'apprécier une fois encore l'incroyable présence de Luther Allison sur scène, son implication totale, sa générosité. On le voit avec son “Paris Band” (Michel Carras, Frank Rabasté, Zox, Vincent Daune, Sulaiman Hakim) à Berlin Est en 87 dans une captation qui met en exergue sa beauté physique (si, si). Il fait véritablement corps avec sa musique. Une heure quarante de show intégral avec un I'm ready d'un quart d'heure, sans une minute inutile. On le retrouve quatre ans plus tard pour l'émission allemande Ohne Filter avec Bernard à la guitare. Bien mais court – une petite heure ! Il se rattrape en 97 à La Réunion avec un nouvel orchestre (Boney Fields à la trompette) pour 155 minutes de concert. Plus court, mais meilleur encore à mon goût est le concert (inédit) donné en mai 97 au Zoo Bar, l'ancien fief de Magic Slim. James Solberg le seconde à la guitare et Willie Hayes à la batterie fait la différence. Là encore, Luther subjugue et emporte tout. Difficile d'imaginer que le vilain crabe a commencé son sale boulot.
Au format 32 x 32 cm, le coffret cultive une ressemblance non fortuite avec les productions Bear Family. Outre un 33-tours 17 cm avec un inédit (Night live), les 7 disques et 4 DVD, le boîtier contient un beau livre de 88 pages abondamment illustré (beaucoup de photos amateur “en compagnie de” toutefois), comprenant une disco (perfectible) et, surtout, les témoignages de ceux qui l'ont accompagné et soutenu dans sa carrière, au premier rang desquels Rocky Brown (émouvante), Thomas Ruf, le fils Bernard, James Solberg, Jim Gaines. Et aussi Didier Tricard, Bruce Iglauer, etc. (En revanche, pas d'échos de Patrick Verbeke ou de Michel Carras.)
Sans prétendre à l'exhaustivité, ce remarquable labor of love est à la hauteur de celui qui, durant les quatorze années de son séjour chez nous, a su nous communiquer sa passion et son talent, avec un esprit d'ouverture que résume si bien son ultime message : « Leave your ego, play the music, love the people. »
Jacques Périn
• Luther Allison : A Legend Never Dies – Essential Recordings 1976-1997
Coffret 7 CD/LP + 4 DVD + livre
Edition numérotée et limitée à 1 500 exemplaires
Ruf Records / rufrecords.de