Malted Milk, New Morning, Paris, 2023
29.09.2023
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Vasti Jackson
Qui choisir ? Sur quels critères ? Saluer de vieilles connaissances, retrouver des favoris, découvrir de “nouveaux” bluesmen… L’offre est généreuse et la météo splendide incite à la déambulation de scène en scène, en passant par les fontaines publiques et la fraîcheur des frondaisons ; seules ombres au tableau : la suppression des réceptions, l’absence d’un gros sponsor-vendeur de disques et quelques stands en moins. Allez, au rapport !
(Sauf mention, photos © Brigitte Charvolin.)
Vendredi 8 juin
Panel de souvenirs concernant Lightin’ Hopkins par son biographe, Alan Govenar ; le vétéran Chris Strachwitz (Arhoolie) qui le re-découvrit et l’enregistra ; le duo Roger Wood – James Fraher (co-auteurs de Down in Houston) et Bruce Iglauer (Alligator) dans le public, à l’écoute (c’est en découvrant un LP de Fred McDowell sur le Arhoolie qu’il fut touché par le blues).
Chris Strachwitz, Alan Govenar, Roger Wood © André Hobus
Bruce Iglauer et Chris Strachwitz © André Hobus
Quintus McCormick (vo, g) : que lui trouve-t-on ? Sa prestation soul-blues, à l’accompagnement trop électrique, ne me convainc pas plus que ses CD.
Zora Young (vo) : son Chicago blues balance, bien chanté avec nuances et convictions. Hollywood Scott (g) assure sans défaut et met en valeur quand il faut.
Quintus McCormick
Zora Young
Hollywood Scott
Joe Louis Walker (vo, g) : c’est clairement une vedette, entouré de solides accompagnateurs soudés. Son set sonne plus blues que le CD sur Alligator. Il aurait mérité la grande scène.
Vasti Jackson (vo, g) : l’élégant chanteur-guitariste du Mississippi est toujours un régal de punch, d’excitation et de maîtrise, assumant le spectacle et transformant chaque morceau en un feu d’artifice de notes colorées qui fusent en bouquets gracieux (sauf quand il charge à la Jimi Hendrix).
Joe Louis Walker
Vasti Jackson
Big James & The Chicago Playboys : belle machine soul blues qui tourne très rond avec son trombone bien vocal. Un sound différent qui fait plaisir.
The Cash Box Kings : qui sera à bord de ces néo-revivalistes du style Chicago ? Les excellents Joel Paterson (Modern Sounds) et Billy Flynn (g) ; une section rythmique impeccable (Alex Hall, contrebasse ; Kenny Smith, dm) et Oscar Wilson (vo) à l’élégance contestable, dans son répertoire à la Muddy Waters. Joe Nosek (hca), le leader, assure correctement. Un bon moment.
Big James © André Hobus
Reverend KM Williams (vo, g) : que venait-il faire dans ce soit-disant hommage à Lightnin’ Hopkins ? Il interprète une sorte de Mississippi Hill country blues assez primaire et monotone après quinze minutes.
Milton Hopkins & Jewel Brown (g, vo) : les deux vétérans de Houston, un parcours jazzy, offrent du bon vieux R&B 60’s, façon Bill Doggett, qui aurait mérité davantage de répétitions. Et Jewel Brown doit se référer à des partitions (je l’imagine mal agir ainsi chez Louis Armstrong, dont elle fut la chanteuse pendant dix ans). Heureusement, leur bonhomie et leur vigueur finissent par triompher et le public a pris du bon temps.
Reverend KM Williams © André Hobus
Milton Hopkins
Jewel Brown
Texas Johnny Brown (vo, g) : quelle verdeur étonnante chez cet autre octogénaire ! Quelle précision, quel sens du solo ! Et de regretter que ses disques ne proposent que des arrangements “modernisés” que son claviériste, heureusement peu audible, ne tente pas de reproduire.
Texas Johnny Brown
Samedi 9 juin
Billy Branch (vo, hca) : archétype du chanteur-harmoniciste de style Chicago, il ne déçoit jamais, même à répétition. Surprise, il laisse place à des invités inattendus : un trio de choc, Jamiah “On Fire” & The Red Machine, des gamins doués qui, comme leur nom l’indique, enflamment la scène. À suivre ! Après tout, le groupe de Billy Branch ne s’intitule-t-il pas les Sons of Blues ?
Terry “Big T” Williams (vo, g) : bonne synthèse de Mississippi blues urbanisé, chanté avec une autorité encore down home, à la Howlin’ Wolf. Très crédible.
Billy Branch
Jamiah “On Fire” & The Red Machine © André Hobus
Terry “Big T” Williams
Sam Lay Blues Band (vo, g) : reconverti en chanteur-guitariste de country blues, l’ex-batteur historique se fait toujours bien accompagné par les “suspects habituels”, Bob Corritore (hca), Billy Flynn (g), Bob Riedy (p), Bob Stroger (b), Kenny Smith (dm) et un ou deux impétrants. Ils sont partout dès qu’il s’agit d’interpréter (avec compétence) du Chicago blues. Les mêmes (sans Lay) s’adjoignent Bob Margolin (vo, g), Eddie Shaw (s, vo), Dave Specter (g) et l’ex-pianiste de Junior Wells, Johnny Iguana, pour divers hommages. Ceux-ci sont d’ailleurs interchangeables (cette année Hubert Sumlin et Honeyboy Edwards) ou consacrent Mud Morganfield (vo) comme illusion parfaite de Muddy Waters. Le répertoire, classique ou “personnalisé” demeure impeccable. Tiens, revoilà Billy Branch, qui vient faire coucou à l’harmonica.
Sam Lay
Eddie Shaw, Bob Corritore
Bob Margolin, Bob Stroger, Kenny Smith
Johnny Iguana
Mud Morganfield
Omar Coleman (vo, hca) : ce jeune chanteur-harmoniciste se pose d’ailleurs volontairement ou non, en successeur de Billy Branch. Son bon CD a été enregistré avec les mêmes “suspects”, on reste en famille.
Geneva Red’s Original Delta Fireballs : là, je m’arrête. À quand remonte votre écoute d’un “one man band” à la Doctor Ross sur Sun ? Ou Frank Frost ? Cette grande rousse au sound d’harmonica profond, dépouillé à la Snooky Pryor, façon corne de brume, fait sensation avec pour seul accompagnateur son compagnon Jackie 5 & Dime à la batterie (grosse caisse et charleston) et guitare basique dans les graves. Le béton du parking en vibre : nous aussi (nous sommes assis dessus). En milieu de set, elle invite un vétéran ténor, venu avec Big T Williams : leurs duos et complémentarité sont un régal ! Qui plus est, Geneva Red est une show woman, jouant sans les mains (à la Sonny Boy II / Rick Estrin) ou couchée à même le sol, battant la mesure de ses talons aériens. Dommage qu’elle ne soit pas douée d’un chant plus assuré (ne pas toucher à Magic Sam ou Otis Rush, même dans cette formule) et que son CD live semble avoir été enregistré dans une caverne. Mais quel plaisir de l’avoir enfin rencontrée et écoutée après tant d’années de présence… en disques (avec des pointures comme Jimmy Johnson, Floyd Murphy, Sam Carr…).
Omar Coleman
Geneva Red © André Hobus
© André Hobus
© André Hobus
Dimanche 10 juin
Le petit déj du Jazz Mart, avec les artistes-maison de chez Delmark au milieu des disques, fait partie des haltes obligatoires. Animent : Tail Dragger, Rockin’Johnny, Linsey Alexander, Grana Louise, Dave Weld, Mississippi Heat… Que du plaisir !
Tail Dragger © André Hobus
Eden Brent (p, vo) : grands rires sonores, voix vulgaire, profond décolleté, bonne descente de gosier et doigts agiles sur le clavier, tout déménage chez cette pianiste du Mississippi qui a fait son écolage dans tous les beuglants du Sud. Quel panache mais aussi quelle subtilité !
Lil’ Ed & The Blues Imperials (vo, g) : ce digne successeur de J.B. Hutto, aussi excitant que son oncle, déclenche toujours l’enthousiasme du public avec ses fez colorés et une slide énergique. Le groupe, lui, est soudé au corps ; ça déménage à chaque fois.
Eden Brent
Lil' Ed
Hommage à Koko Taylor : elles ont du cran et de la voix, dans des registres différents : Chick Rodgers, toute menue, n’en manifeste pas moins de présence que Deitra Farr (bonne chanteuse nuancée), Nora Jean Bruso et Jackie Scott. Cookie (la fille de Koko) et Mary Dixon (veuve de Willie) lui rendent hommage.
Vino Louden, Deitra Farr
Jackie Scott
Chick Rodgers
Nora Jean Bruso
Nora Jean Bruso, Deitra Farr, Jackie Scott, Cookie Taylor
Mavis Staples (vo) : grand moment de clôture du festival. Outre que le maire, Rahm Emanuel, nous annonce que la chanteuse a été promue au rang de Docteur des Arts et Lettres, elle nous gratifiera d’un commentaire socio-politique digne des classiques de la famille Staples. Ses prises de position pro-Obama et anti « retour au bon vieux temps » (« Je n’irai pas de nouveau m’asseoir à l’arrière du bus ») soulèveront l’enthousiasme du public, gagné à sa cause depuis longtemps. À l’accompagnement, sobres mais essentiels, juteux quand il le faut : Rick Holmstrom (g), Jeff Turmes (b), des choristes (dont sa sœur Yvonne)… Tous en écho à sa voix sourde et gospelisante. Oui, “elle nous y a amenés” (I’ll take you there).
André Hobus
Photos (sauf mention) © Brigitte Charvolin
Mavis Staples, Yvonne Staples
Rick Holmstrom
Mavis Staples, Jeff Turmes
Rahm Emanuel, maire de Chicago © André Hobus
Bonus
Chicago, un vendredi soir ordinaire. Sur foi de possibilités crédibles de concerts, Bruce Iglauer et moi parcourant le Southside désert, transformant notre quête de blues en un parcours d’anciens combattants (moi, depuis 1975), sauf que nos lieux mémoriels ont disparus sans laisser de trace. Là, ou était-ce ici, se trouvaient le Burning Spear, le Theresa’s, le Checkerboard… laissant place à de nouveaux condominiums, de petites maisons individuelles, des terrains vagues mais déjà clôturés : les promoteurs arrivent. Nos quatre ou cinq adresses sont effectivement des bars (“Chez Madge” par exemple), disposant parfois d’une mini scène… ou d’un karaoké. Même les fantômes ne se manifestent pas. Nous terminons ce triste tour au Lee’s Unleaded Blues reconnaissable depuis la chaussée par l’attroupement extérieur : c’est la pause. Eric “Guitar” Davis et un groupe soudé (claviers, saxes) interprète avec conviction du blues sensuel, des spectatrices participent joyeusement et il fait danser la clientèle au son de classiques de soul, voire de Prince. Espérons avoir plus de chance une prochaine fois.
A.H.