Maxwell, Grand Rex, Paris, 2025
25.07.2025
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Du 6 au 8 juin à Chicago (Illinois)
Seul le « village blues » et son podium patronné par le club Rosa’s se tient sous chapiteau : la plupart des stands attractifs sont tenus par des familles historiques de Chicago comme les Willie Dixon, Howlin’Wolf, Jimmy Reed, Muddy Waters et Eddie Taylor ; le label Delmark…Belle ambiance décontractée malgré la densité de la foule du weekend : en tant que festivalier, vous passez et repassez devant la « Porte Des Nuages » surnommée prosaïquement le « Haricot » l’œuvre iconique d’Anish Kapoor où les nouveaux mariés, leurs noces et les diplômés en toge se font photographier tout sourire pendant que transpirant, vous slalomez entre les feuillages ombragés et les innombrables bancs collectifs installés pour l’occasion, coupant ainsi les files disciplinées attendant leur barbecue-boisson. Je suis toujours épaté par la civilité du public.
Enfin, ce grand raout populaire journalier se termine devant l’immense auditorium design érigé par l’architecte Frank Gehry, avec écran géant, sound balancé et prairie confortable. Ouverture à 15h45 tous debout pour l’hymne national. Impressionnant. Enfin un podium excentré spécialement érigé dans ce qui fut le quartier de Maxwell st tente de l’animer : Omar Coleman, Harmonica Hinds…Mais en cette fin d’après-midi du 5 juin, rejoignons le kitsch rénové du théâtre Ramova pour le lancement du festival. Au programme : les fondateurs du magazine Living Blues dont Bruce Iglauer et Jim O’Neal, racontant leurs souvenirs, suivis par Bobby Rush en conteur savoureux, ne serait-ce que concernant sa date de naissance. Le show ? Billy Branch & The Sons Of The Blues en forme swing (Giles Corey,gtr) enrichis d’un trio vocal féminin issu du West Side et des adolescent.e.s, choristes dansant d’une académie. Enfin, Bobby Rush revient en full show avec ses deux vénus callipyges et son funk égrillard mais pas trop : c’est un spectacle familial. Succès et selfies en nombres.
Vendredi 06. Coups d’oeil et d’oreilles à la scène Crossroads- Mississippi
Vick Allen & The Velvet Soul Band. Ce jeune chanteur à la voix veloutée et sexy se concentre sur ce qui constitue tout de même le cœur du métier : le message vocal issu du gospel à la Sam Cooke.
Johnny Rawls Soul Review. Chaque année, je me pose la même question : en quoi est-il emblématique ? D’autant plus que sa fille puise dans un répertoire trop entendu. Est-ce une adaptation pour Chicago ?
Eddie Cotton. En revanche, chaque prestation est goûteuse, sa guitare post B B King vibrante et un groupe cuivré « dans la poche ». Rien de neuf mais quel groove !
Rosa’s Lounge. Je zappe leur programmation sauf Sheryl Yougblood qui excelle en soul blues baptiste dynamique.
Jay Pritzker Pavilion
D.K.Harrell ouvre en rouge et affirme de plus en plus son identité post B.B.King. Le public s’est afro-américanisé. Pas mal pour un bluesman qui, il y a trois ans, vivait dans sa voiture (dixit Bruce Iglauer)
Dawn Tyler Watson. La chanteuse anglo-canadienne s’est affranchie et aborde un répertoire dynamique perso, entre soul blues un peu rock et Nina Simone. C’est réussi.
John Primer & Steve Bell. Duo- entremet de blues classique-héritage. Ils semblent un peu perdus et coupés du public sur cette trop grande scène pour leur style « porche ».
B.B.King Centennial Tribute, avec les guitaristes-chanteurs Christone « Kingfish » Ingram (excellent), D.K. Harrell (on ne peut plus dans son élément), le vétéran discret mais mélodieux Jesse Robinson et Jonathan Ellison, plus flashy et au jeu davantage poli pour les casinos du sud. Faites mijoter au big band et vous savourez un répertoire de choix couvrant les périodes et les succès du maitre.
Samedi 07. Mississippi Crossroads. Nous en avons retenu :
Jesse Robinson. Vétéran des groupes de B.Guy-Jr. Wells, Little Milton et Bobby Rush, il nous revient depuis Jackson avec un soul blues jazzy -classy et nuancé. Découverte tardive pour nous.
Vicky Baker, The V Souls &The Groove Crew. Influencée par le « double entendre » de Denise LaSalle et le style Malaco elle s’impose, déjà physiquement. Gros public afro-américain appréciatif. L’orchestre en est très représentatif.
Rosa’s Lounge.
Lynne Jordan & The Shivers. Répertoire de lounge, son public, avec des versions nuancées de « It’s a new day » (Nina Simone) ou « Chain gang » à la Cannonball Aderley. Belles variations.
Joe Barr & the Platinum Band. Un des rares soul singers 60’s à Chicago au sound gargarisé.
Jay Pritzker Pavilion.
Women In Blues Tribute To Denise Lasalle. Rassemblez 4 « mamas » hautes en couleurs et voix de matrones pour cet hommage punchy à celle que je pourrais qualifier de Bobby Rush au féminin et le show vous met KO : Nora Jean Wallace (premier jab), Mzz Reese (on ne badine pas), Nellie « The Tiger » Travis (2e jab) et Thornetta Davis (le dernier round). Le band de Jonathan Ellison (gtr) vous emporte groggy.
Joey J Saye, Stephen Hull et Harrell « Young Rell » Davenport. Retour à du country blues acoustique et dynamique par ce trio d’étoiles montantes. J’ai du mal à assurer le contraste.
Latimore. Lequel semble avoir figé son set dans la nostalgie de ses succès tout en langueur et thématique sensuelle accentuée par sa belle voix de baryton. « Let’s straighten it out » clôture avec un Billy Branch inspiré improvisant des envolées lyriques à l’harmonica.
Christone « Kingfish » Ingram. J’ai résisté une petite demi-heure quand ses solos rock flirtaient encore avec le blues. J’ai décroché ensuite, vaincu par la puissance du volume et la monotonie des guitares-héros.
Dimanche 08
Rosa’s Lounge
Harrell « Young Rell » Davenport. Chicago blues dynamique et bien vivant – quand vous avez Billy Flynn (gtr) ou Kenny Smith (dr) pour vous accompagner…- vous pouvez assurer à l’harmonica, guitare et chant. Très prometteur.
Mississippi-Crossroads.
Set complet de Nellie « The Tiger » Travis dans toute sa splendeur soul blues Chicago punché. La tigresse mord toujours.
Jay Pritzker Pavilion
La Willie Dixon’s Blues Heaven Fondation célèbre les 75 ans du label Chess dans un joyeux défiler de fils, de filles de et autres « alumni » associés de près ou de loin aux succès du label. Sam Chess (petit-fils de Phil) joue même du trombone pendant qu’apparaissent ou se produisent les filles (âgées)de Howlin’Wolf, celles chanteuses de Willie Dixon (2e ménage du coquin), Mud Morganfield, deux Charles Berry Jr pour « Johnny B.Goode », un légataire légitime de l’héritage…Louisiana Al (Alonzo Jones) interprète ses deux H.Wolf de service, Steve Bell est Little Walter, Melvin Taylor gomme tout l’âme d’un Otis Rush. Nous aurons évidement droit à l’énorme hit d’Etta James, « At last » chanté correctement par une certaine Mae Collins… Ce sympathique fourre-tout est dirigé (?) par Joe Pratt. Le volet religieux de la marque sera dignement représenté par l’authentique Mitty Collier qui nous expliquera comment son gospel originel s’était vu réécrit en soul. Nous aurons donc droit à « I had a talk with God last night » et non « with my man »
Est-ce une réaction biblique à cette transgression révélée ? De lourds nuages noirs se font menaçant, un éclair lointain jaillit, les portables grésillent, les hauts parleurs diffusent un avis de tempête et un ordre d’évacuation immédiate du parc vers des structures protectrices bétonnées. Tout le public s’exécute- Windy City oblige- et les nombreux volontaires se transforment en stewards. Résignés mais disciplinés nous suivons les consignes. Les équipes techniques ont eu le temps de recouvrir le matériel électrique de bâches ad-hoc. L’orage gronde et s’abat. Le show reprendra une heure plus tard, amputé de la prestation de C.J. Chenier, avec les excuses des organisateurs.
Lurrie Bell & Frank Catalano. Bon set de Chicago blues de la part de Lurrie mais suis tout de même déçu par le peu d’interactions générées avec le sax de son complice. La ville ne manque pas de ténors.
Mavis Staples. A 86 ans, l’enfant chérie de la démocrate Chicago incarne toujours la mémoire collective des luttes pour les Droits Civiques malgré quelques soucis de santé : voix rauque et souffle court, elle sirote son thé au cours des solos hyper précis du fidèle Rick Holstrom (gtr) ; son téléphone portable lui sert de prompteur mais sa présence est indomptable et elle assume son répertoire thématique et humaniste avec une conviction qui dépasse sa personne : « Soldier in the army of love », « Freedom highway », « Rider on the roll », « Train of love » et bien sûr les classiques « Respect yourself » et « Why am I treated so bad »…Ovation debout pour cette grande dame de convictions qui sa vie durant transmettra le message du Dr. Martin Luther King Jr. Cette fois, nous évacuons en paix.
Autour du Chicago Blues Festival 2025 : les clubs
Je constate une raréfaction et une banalisation de l’offre due notamment à des frais croissants et à un certain désintérêt pour le blues en tant que culture spécifique afro américaine. Les tavernes du South et West sides ne communiquent plus depuis des années sur leur éventuelle programmation- même un simple A4 collé à la fenêtre- le but premier est avant tout la danse via un dj.ou des groupes interprétant les derniers succès.
Dans le Northside ou en faubourgs, peu de clubs prennent encore des risques artistiques : SPACE (Evanston) dont le guitariste Dave Specter est co-propriétaire, en propose ponctuellement mais pas nécessairement en relation avec le festival. Fitzgerald’s (Berwyn) est actif mais s’oriente davantage vers des artistes « americana » même en extérieur. Le Kingston Mines est moribond, le BLUES toujours fermé mais l’espoir subsiste qu’il rouvre un jour tandis que le Nick’s dans North Milwaukee a tiré ses tentures et clôt sa porte. Même le Legends de Buddy Guy, certain de sa clientèle parce qu’entouré d’hôtels, ne fait pas d’efforts.
Il en va aussi du minuscule Blue Chicago. Pourtant nous le choisirons d’abord pour le Luke Peytel band (le dynamique Pookie Styx aux drums) – déjà vu au festival- accompagnant ensuite Ivy Ford (vc/gtr), toujours aussi pétulante. Nous les quitterons au 2e set quand le band abordera les titres de circonstances : « Hey Joe » « Got my mojo workin’ » et consort.
Le Reggie’s s’affirme comme un club rock (toutes tendances) mais durant le fest il propose des « after parties » blues dans ses 2 salles, dont sa spéciale « Harmonica » (Omar Coleman, Martin Lang, Rob Stone, Matthew Skoller et leurs invités) que nous avons délaissée cette année au profit du théâtre Ramova. Mais nous y sommes retournés pour leur « Super Session » du vendredi et la « Super Projam » du dimanche, toutes deux organisées par le guitariste Dave Katzman qui obligatoirement y fait figurer son épouse Amy Lowe (mmm…). Sinon, c’est toujours un plaisir d’entendre les « suspects habituels » : Billy Flynn, Bob Stroger, John Kattke (kbs), la raffinée Lee Kanehira des Cashbox Kings(piano), Johnny Burgin, Jimmy Burns et, cette fois, le vétéran ténor Rodney Brown.
Enfin, un seul club blues rallie tous les suffrages par sa programmation sans concession, son décor attractif et sa convivialité (on n’y mange pas mais accepte les pizzas du coin) : le Rosa’s. Décentré dans le West side blanc et difficile d’accès en transports publics, surtout la nuit et quoiqu’il en dise, il a capté les ex- du BLUES et son patron américanisé fait partie du comité artistique du festival. Alors un samedi soir avec John Primer et son Real Deal- dont l’excellent Steve Bell (hca)-, on se régale, d’autant plus que des piliers du Chicago blues y participent : Carlos Johnson, en forme, les éternels Mary Lane et Willie Buck… Super début de nuit dont je n’ai pas vu la fin.
Hors festival, le lundi, c’est Green Mill et Joel Paterson & friends : Alex Hall (dr), une saxo ténor-alto et un organiste Hammond B-3. C’est du haut de gamme en jazzy blues. Son 2e set est davantage tourné vers T-Bone et Pee Wee Crayton (à ma demande). Et il excelle aussi à la steel. Caractéristique de ce club baroque qui était un authentique speakeasy d’Al Capone : on n’y mange pas, les téléphones doivent être coupés et les conversations tenues à voix basse. Hourrah pour la musique !
Bien plus tard dans la semaine, nous retournerons au Rosa’s (sold out) à l’invitation du producteur-collectionneur Dick Shurman pour la venue spéciale de Toronzo Cannon, chanteur-conteur-charmeur à la guitare choc et incisive au service d’un répertoire original. Habitant maintenant dans les Twin Cities (Minnesota), cet ancien conducteur de bus municipal n’avait roulé que 7h (sic) pour venir s’y produire un soir avec son groupe. Comme le chantait Albert, King« That’s what the blues is all about ».
Textes : André Hobus
Photos : Liliane et André Hobus