Jazz sous les Pommiers 2025
18.06.2025
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6 au 9 juin 2024.
Toujours excitant et gratuit, notre rendez-vous annuel nous a aiguillonnés vers des découvertes (surtout grâce aux accords bilatéraux de la ville avec l’état du Mississippi) et des favoris sans qui le blues de Chicago ne se perpétuerait pas, mis en valeur dans ses variations stylistiques gospel-soul-folk Sud profond.
Mais le plaisir réside peut-être dans le respect mutuel et l’autorégulation des milliers de visiteurs journaliers qui naviguent dans le Millenium Park entre les trois scènes, les stands, font les files nécessaires, piqueniquent à l’ombre des bosquets ou sont tout simplement attentifs aux artistes. Horaires respectés, distributions permanentes du programme informatif (24 pages !) par des dizaines de volontaires, bref, un sentiment de plénitude assurée. La machine organisationnelle de la ville tourne à plein régime. Nouveauté : le jeudi soir, le festival débutait au théâtre Renova, réouvert et aux normes, situé dans le Southside proche, avec Ronnie Baker Brooks et Shemekia Copeland. Comme au même moment, Delmark proposait sa revue annuelle des blues women qui comptent, surtout pour le label, et ce au Harris Theatre, vos super héros de Soul Bag ont alors fait preuve d’ubiquité : notre excellente collègue Brigitte Charvolin se rendait au premier tandis que la team Hobus assistait au show du second.
Red Hot & Blues Women. Sous la direction académique et lue de Lynne Jordan, MC de la soirée, se sont succédé pour deux titres chacune : Carlisle Guy (avec à la guitare Mark Maddox, du Nu Blu band) mollement applaudie par un public peu nombreux. Melody Angel, flamboyante et militante, mais trop rock pour moi. Sharon Lewis dans un genre “ne joue pas avec moi, mon gars” rejointe par Jordan et Guy sur le même mode. Juteux. Demetria Taylor (une des filles d’Eddie) se la joue plus classique. Joanna Connor, la “Highway child” plus blues que jamais les accompagnait toutes, y compris à la slide : à son tour de chanter avec conviction. Enfin, Sheryl Youngblood, en batteuse de choc dès le début du show nous revient en body étincelant pour le final et emballe ! À juste titre, c’est l’étoile montante de Delmark. Aux fûts à sa place : Pooky Styx (ex-Lil’ Ed). Autre blueswoman incontournable : Sherri Weathersby (fille de Carl) à la basse. Les claviers étant assurés par l’incontournable Roosevelt Purifoy. Du beau monde. Place maintenant au festival officiel.
Vendredi 7 juin
Soul Bag aussi va naviguer entre la scène Mississippi, celle du Rosa’s et le pavillon Pritzker (signé Frank Gehry) avec son immense espace, ses sièges permanents, sa pelouse et son écran géant. Prêts ?
Nora Jean Wallace : soul blues classieux Chicago lisse et confortable comme chaque année.
Lil’ Jimmy Reed : bonne surprise en live alors que ses disques sonnent monotones.
Le Nick Moss Band et Ben Levin (piano) retrouvent l’ambiance Vee-Jay qui leur manque. J’ai apprécié.
Ivy Ford : humeur fun, goût de l’autodérision, culture et technique blues en font la plus sympathique entertainer de Chicago. Un plaisir partagé, jeu de scène renversé compris.
Keith Johnson & The Big Muddy Band : ex-guitariste de Grady Champion, il apporte sa voix gospel à son blues mississippien. Entre Muddy Waters et Mr. Sipp.
J’Cenae : la chanteuse personnifie ce style soul blues hérité de Malaco/Ecko, synthés compris. Je ne suis pas trop convaincu malgré sa sincérité qui plaît.
Luke Pytel Band feat. Laretha Weathersby : elle fait preuve d’un punch mordant sans imiter Koko Taylor. Son set la valorise bien mieux que ses prestations réduites dans une revue.
Sheryl Youngblood : ah oui ! Batteuse-chanteuse dynamique, elle sait se transformer en leader scintillante dans son body de vedette. Chaque année, elle imprime davantage. Elle sera la vedette de la prochaine tournée Chicago Blues Fest et ce à juste titre.
Big A & The All Stars : c’est Anthony Sherrod en version Mr. Sipp. Je l’ai entendu en plus rural façon Big Jack Johnson au Ground Zero.
Carlos Johnson : le vétéran semble dans un bon jour, avec solos mélodieux mesurés. Alors, il est bon et en accord avec ses tonalités vocales.
Corey Harris : folk blues americana intello perdu sur la grande scène. J’attends la suite.
Mr. Sipp : le volume est assourdissant. Il réussit cependant à transformer tout le Pritzker en congrégation gospellisante et participative avec traversée de la mer de spectateurs. Des femmes veulent le toucher tel un nouveau messie. Ses duos avec Dexter Allen rockent et impressionnent.
Tribute to Jimmy Rogers : final en Chicago blues traditionnel. Kenny “Blues Boss” Wayne (plus Memphis Slim qu’Otis Spann) est placé trop en retrait (dommage), Bob Margolin et Kim Wilson sont parfaits dans leur rôle. Jimmy D. Lane, le vieux fiston, n’est qu’un faire-valoir. Et dire que je l’ai photographié en jeune pousse mince et fringante !
Samedi 8 juin
Al Spears & The Hurricane Project : le vétéran du West Side semble diminué physiquement.
Vino Louden : formé par Mighty Joe Young et rescapé-handicapé du crash du van de Koko Taylor, le chanteur guitariste s’est petit à petit reconstruit dans un style mélodieux soul blues attachant. Je croyais ne pas m’attarder : je suis resté.
Mzz Reese & Reese’s Pieces : punch attractif et band compact. Ils déménagent soul blues Chicago en vrais pros. Je suis impressionné.
Melvin Taylor : Ses longs solos sinueux sont monotones, son visage marqué. Où est donc passé le jeune homme prometteur à la voix douce ?
Jamiah Rogers : trop pyrotechnique et inutilement fort, une fois de plus. Rappelez-vous le trio Jamiah On Fire.
Mike Wheeler : c’est toujours bien huilé, voire attaquant, mais le style reste par trop flexible.
Ra’Shad The Blues Kid : le band serré a du punch et du look. Lui semble marcher dans les pas de Kingfish Ingram. Deviendra-t-il plus rock ? Pour le moment, son soul blues reste mississippien.
Tribute to Dinah Washington : une pléiade de chanteuses-chanteurs très jazzy venus célébrer son centenaire en compagnie de sa famille élargie actuelle. En partie hors propos et que venait y faire Melody Angel ?
Vanessa Collier :oubliez ses disques “auberge espagnole”, le choc vint de… Laura Chavez ! Quand son élégante boss se lance dans ses tirades au saxophone, elle, sous sa casquette populo lui réplique avec une densité d’accords blues qui frappent où il faut et à l’instant précis. Leurs duos sont fabuleux ! Un tout grand moment de complicité comme j’en ai peu rencontré.
Southern Avenue : le groupe de Memphis formé autour de trois sœurs nous la joue et chante à la Tina Turner-Ikettes, comme réincarnées dans leur leader dansante (et non-stop) Tiernii Jackson. C’est bluffant, mais trop proche de leurs modèles, et à la guitare Ori Naftaly se voit en jeune Steve Cropper.
Dimanche 9 juin
Southern Komfort Brass Band : ambiance musicale New Orleans sous un soleil plombant.
Nate Manos Band feat. Alicia “Ya Yah” Townsend : soul blues OK. Elle se démène, mais ses 3 choristes à la Ikettes sont peu crédibles dans un tel festival.
Joey J. Saye Trio : il est partout et son country blues swing, harmonica en rack, passe bien.
Tant Jonathan Ellison (ex-Denise LaSalle) que Jaye Hammer et Anissa « Bigg Sexyy » Hampton et leurs accompagnateurs respectifs se situent dans cette mouvance baptiste Mississippi soul blues davantage gospellisant que par le passé et la cultivent avec dynamisme. C’est très identitaire afro-américain et touche son public à Chicago.
Omar Coleman : harmoniciste moyen et chanteur punchy, il retravaille avec succès les codes du soul blues. Son groupe, le bien nommé Westside Soul, est soudé et la scène du Rosa’s en tremble.
Melody Angel : même le programme officiel souligne son incontestable influence Prince/ Hendrix associée à des paroles civiques militantes. Je ne m’y fais pas, une fois de plus. Je passe aussi Stephen Hull, mais pas pour les mêmes raisons : il est visible ailleurs.
Tribute to Otis Spann : oui, ça c’est ma sensibilité ! Et le plateau est beau : vous prenez la meilleure section rythmique trad de Chicago – Kenny Smith, Bob Stroger (93 ans) – “le” guitariste culturel Billy Flynn, un chanteur blues old style Oscar “Mr 43rd Street” Wilson qui valorisent Johnny Iguana, Sumito “Ariyo” Ariyoshi, le mentor de l’excellente Rie “Miss Lee” Kanehira et Roosevelt Purifoy, et vous passez 1h15 de délices rétro en solos, duos et trios.
The Cashbox Kings : quelle programmation cohérente ! Vous prenez le noyau précédent (sauf Stroger), vous les faites diriger par Joe Nosek à l’harmonica profondément littlewalterien dans un répertoire original d’inspiration Muddy Waters et vous écoutez en live ce qui se jouait dans les tavernes historiques aujourd’hui disparues. Votre collaborateur aura droit à une ovation publique (merci Joe) pour son apport – et celui de Soul Bag – dans leur reconnaissance devenue internationale.
Buddy Guy : il dit terminer sa carrière ici à Chicago. À 88 ans, sa voix déclamatoire, son charisme et jeu de guitare restent à peu près intacts. Si son répertoire flamboyant est fondamental et attendu, il le surjoue en gadgets sonores, avec une baguette de batteur par exemple, et dans un interminable bain de foule où il invite un policier, un enfant et un homme en fauteuil à gratter une corde. Vivats nourris.
Le final sera grandiose : les frères Baker Brooks oints en quelque sorte par leur seigneur et Billy Branch, le maître harmoniciste reconnu de tous, et Shemekia Copeland qui reprit au mot le Rock me baby entamé par Buddy en se collant physiquement à lui, jambe entre les jambes. Tous deux partirent alors d’un grand éclat de rire et quittèrent la scène bras dessus bras dessous. C’est vrai que tout cela avait de la gueule ! Damn right I’ve got the blues quand les feux se sont éteints.
Texte : André Hobus
Photos © Brigitte Charvolin, André & Liliane Hobus