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Live reports / 26.07.2022

Chicago Blues Festival 2022

Plusieurs facteurs d’incidence ont obéré le choix tardif de la municipalité quant au retour du festival annuel de blues : la remontée inquiétante de la pandémie, taux de vaccination très variables au sein d’une population souvent exposée, frais en hausse contre recettes en baisse et fréquentation touristique instable alors qu’il fallait convaincre les sponsors. Quand la décision politique et budgétaire fût prise, le comité de sélection artistique vit ses choix restreints du fait des préemptions et contrats déjà signés par des vedettes attractives.

J’estime cependant qu’il ne s’en est pas mal tiré avec une restriction de la voilure, des bluesmen locaux, des duos animant un segment de la rivière et décentralisation de deux scènes-satellites à l’intention de groupes sociaux afro-américains du Southside (Bronzeville) et du Westside (Soul City) qui ne se déplacent que trop peu au centre-ville, une manière aussi de les reconnecter avec le blues “traditionnel”. Il semble que celle du Westside ait rencontré son succès. Inversement, quels visiteurs du Millenium Park allaient-ils s’y rendre, votre serviteur compris, sachant que les endroits choisis étaient peu attractifs ? Fonctionnant simultanément à celles du site central, quels spectateurs auraient quitté leur zone de confort du Jay Pritzker Pavilion, reprendre leur voiture au parking, perdre du temps dans quelques embouteillages pour revoir, une fois de plus, Li’l Ed qui, de son propre aveu, ne s’était pas produit dans le Westside depuis plus de trente ans, Tail Dragger, Mud Morganfield et les suspects habituels ?

La municipalité avait donc clairement fait le choix, dans son plan global de revitalisation de certains quartiers, de communautariser sa culture musicale. Je comprends très bien, sauf que le programme officiel, largement distribué, ne mentionnait même pas cette décentralisation, ce qui, à mes yeux, constitue une erreur pédagogique. Autre variation significative : en l’absence de la scène moyenne située au sud de la promenade, celle du club Rosa’s est montée en puissance, occupant un double espace bien sonorisé, constituant ainsi une sorte de “off” souvent intéressant, mais sans publication de programme, même sur place, nécessitant alors de la part de votre chroniqueur de nombreux aller-retour. Un conseil aux visiteurs débutants : soyez en bonne forme physique, il y en a pour 4 jours, de midi à 21 h ! Compte-rendu en larges sélections, le Pavilion d’abord.

Jeudi 9 juin

Erwin Helfer & His Boogie Woogie Ensemble. Après un début laborieux, le vétéran pianiste, un peu perdu sur cette immense scène va retrouver petit à petit ses marques boogie jazz à l’aide de ses amis de toujours (John Brumbach, saxophone, Katherine Davis, chant, et l’ex-Blues Brothers Lou Marini, saxophone).

Jamiah Rogers (chant, guitare). Sélection « jeune en devenir » dans un déferlement de guitare, malgré un sax ténor.

Joanna Connor (chant, guitare). Que de chemin parcouru depuis les ’70s, quand elle accompagnait Dion Payton. Le style est maintenant monumental et boursoufflé, même à la slide Southern rock. Bouchons nécessaires.

Toronzo Cannon (chant, guitare). Au fil du temps, il s’est imposé comme “Mr. Chicago Blues” contemporain. Et comme le disait Bruce Iglauer (Alligator) à l’ingénieur du son lors de la balance : « La grosse caisse n’est pas le leader. »

Shemekia Copeland (chant). J’en fais l’impasse parce que je dois me rendre au Reggie’s et que je la verrai à Aurora, au festival Blues On The Fox.

Erwin Helfer © André Hobus
Jamiah Rogers
Shemekia Copeland © Brigitte Charvolin
Shemekia Copeland et son fils © Brigitte Charvolin

Mississippi stage

Linsey Alexander (chant). Trop affaibli par la maladie, il chante depuis sa chaise roulante tandis que son fils Nick assure les solos de guitare. Je quitte.

Robert Kimbrough Sr. (chant, guitare). Soul blues mississippien churchy plaît beaucoup aux Afro-Américains.

The Keeshea Pratt Band (chant). Là, ça groove soul blues graisseux “à l’ancienne”. Présence et voix, cuivres et feeling. À ses côtés un jeune guitariste fin et cultivé, déjà remarqué : Mathias Lattin.

Eddie Cotton (chant, guitare). Un autre favori des Afro-Américains, façon Little Milton-B.B. King et son orchestre. Succès !

Linsey Alexander © Brigitte Charvolin
Keeshea Pratt © Brigitte Charvolin
© Brigitte Charvolin
Mathias Lattin, Keeshea Pratt © André Hobus
Eddie Cotton © Brigitte Charvolin

Vendredi 10 juin

Tribute to Bob Stroger (chant, basse). Ses amis sont perdus dans cet auditorium ouvert conçu par Frank Gehry mais balancent comme prévu : Billy Flynn (guitare), Kenny Smith (batterie), Sam Burckhardt (saxophone) et deux autres accompagnateurs peu vus auparavant : Eddie Neese (guitare) au look country rock et Willie Schackford (piano) qui disparaît dans son immense barbe.

Joey J. Saye (chant, guitare). Entre folk blues et Mississippi plus spécifique, ce jeune bluesman acoustique se rapproche davantage des praticiens à la Eric Bibb et leur maître Taj Mahal.

Thornetta Davis (chant). La classe pour cette diva de Detroit. Soul blues rétro impeccable et sensuel, huit musiciens et choristes. Nous les reverrons en club le soir même avec plaisir.

Mike Wheeler Band (chant, guitare). L’un des groupes les plus populaires de Chicago. Blues contemporain bien enlevé.

Billy Branch & The Sons of Blues (chant, harmonica). Magnifique prestation impensable chez nous : une section de cuivres et trois choristes en sus. Little Walter s’en trouve rehaussé.

Sam Burckhardt, One Take Willie, Bob Stroger, Rockin’ Eddie © Brigitte Charvolin
Bob Stroger, Billy Flynn © André Hobus
© André Hobus
Kenny Smith © Brigitte Charvolin
Joey J Saye © Brigitte Charvolin
Thornetta Davis © Brigitte Charvolin
Mike Wheeler © Brigitte Charvolin
Billy Branch © Brigitte Charvolin

Mississippi stage

Lucius Spiller (chant, guitare). Curieux répertoire parfois inattendu puisant de manière erratique à diverses sources mais toujours traitées down home. Sa jeune batteuse est superbe de dynamisme et parvient à suivre et à nuancer ses errements rythmiques. Quel talent !

Grady Champion (chant, guitare, harmonica). Autre prétendant à la couronne de Little Milton mais sans son ascendance. Trop démonstratif et quelque peu brouillon.

Ms Jody (chant). Elle marche – dans les travées aussi – sur les traces graveleuses de Denise LaSalle. Son double entendre soul blues fait de l’effet.

Lucious Spiller © Brigitte Charvolin
Grady Champion © Brigitte Charvolin
Ms. Jody © Brigitte Charvolin

Samedi 11 juin

Chicago Soul Tribute to Gene Barge. Deux chaises roulantes s’avancent et saluent : le sax-arrangeur de R&B Gene Barge et le chanteur Cicero Blake. Moi-même cafardeux ce jour-là, ces deux figures handicapées me renvoient à ma propre perception de notre étrange époque post covid. Trois ans de “mise au frigo” alors que nous n’avons pas cessé de nous dégrader : ils saluent maintenant sous oxygène. L’orchestre de fond de Willie Henderson (sax baryton) est impeccable en soul blues ’60s, le temps d’un long set parsemé d’invités rétros : le retour (?) de Ruby Andrews (chant) dans Casanova (Your playing days are over enregistré à Détroit avec des musiciens de Motown échappant à la surveillance de Berry Gordy. Sorry pour Samota Acklin, Theresa Davis… Je pars voir ailleurs. Je reviendrai pour Joe Barr (chant), en bonne forme Little Milton, dont il reprend We’re gonna make it et Grits ain’t groceries. Willie White (chant) duettise.

Le programme de la Mississippi Stage ne m’enthousiasme pas tellement. Dexter Allen (chant, guitare) mélange vocaux churchy, funky blues et longs solos.

Keith Johnson & The Big Muddy Band (chant, guitare) propose la même thématique Southern soul, en plus cuivré. Les deux formations visent le sound Malaco-Ichiban à synthé. Ce n’est pas trop mon feeling et je quitte. Je m’en vais me déformer devant le Cloud Gate, dit “Le Haricot”, la sculpture la plus populaire de Chicago, dont la surface polie joue le rôle des labyrinthes à miroirs dans les foires. Et de surprendre Willie Buck, encore plus isolé que moi, face à son portable éteint. Le Telephone blues ne répond plus.

Je délaisse aussi assez rapidement Cedric Burnside (chant, guitare) – trop lancinant à mon goût – et The Rising Stars Fife & Drum Band (Sharde Thomas, fille de Othar, à la flûte), trop ethniques.

Samota Acklin © Brigitte Charvolin
Ruby Andrews © Brigitte Charvolin
Cicero Blake © Brigitte Charvolin
Dexter Allen © Brigitte Charvolin
Keith Johnson © Brigitte Charvolin
Sharde Thomas © Brigitte Charvolin

Retour à l’auditorium. Nick Alexander (chant, guitare), fils de Linsey, coche toutes les mauvaises cases : solos verbeux interminables, déplacements démagogiques et répertoire passe-partout.

Melody Angel (chant, guitare). Je reste perplexe. Présentée comme la blueswoman de demain au look militant Angela Davis, ses textes abrasifs sont prolongés de solos incisifs, tendance Prince-Jimi Hendrix. Et là, c’est trop. Sa boss de mère officie au tambourin.

Rico McFarland (chant, guitare). Sa masse corporelle en impose autant que son style “bombardier au décollage”, punch épais, mais plus mélodieux que feu Magic Slim. C’est un vieux routier de Chicago qui épate toujours.

Ronnie Baker Brooks (chant, guitare). Il continue de s’affirmer, tant au chant qu’à la guitare. Il sait imposer des silences dans son jeu, revient à l’action-détente. Reste à soigner son répertoire qui, au moins, évite les clichés.

Theresa Davis, Diane Madison, Mae Koen © Brigitte Charvolin
Melody Angel © Brigitte Charvolin
Melody Angel © André Hobus
Rico McFarland © Brigitte Charvolin
Ronnie Baker Brooks © André Hobus
Ronnie Baker Brooks © Brigitte Charvolin

Samedi 12 juin

Une innovation artistique réussie proposée par Julia A. Miller, la co-propriétaire de Delmark : réunir leurs divas et associées en formules diverses. Maître de cérémonie : la chanteuse féministe Lynne Jordan. De l’avis général, c’est le trio Anne Harris (fiddle), Donna Herula (chant, guitare acoustique, steel) et Peaches Staten (chant, washboard) soutenu par une section rythmique légère qui offre les interprétations les plus rafraîchissantes dans l’esprit des Saffire-The Uppity Women chez Alligator. 

Les autres participantes (comme Sharon Lewis et Nora Jean Wallace) se situent davantage dans le style entertaining du club Blue Chicago : Sheryl Youngblood (chant, batterie), très chouette (mais je me passe bien volontiers de Wang dang doodle). Laretha Weathersby (fille de Carl), Demetria Taylor (fille d’Eddie), Shirley Johnson. Ivy Ford (guitare) vient en renfort ponctuel. Dame Mary Lane, comme diraient les Britanniques, clôture la revue vu son statut historique.

Anne Harris, Donna Herula, Sherri Weathersby © Brigitte Charvolin
Donna Herula, Anne Harris, Sherri Weathersby, Peaches Staten © André Hobus
Donna Herula © Brigitte Charvolin
Peaches Staten © Brigitte Charvolin
Sharon Lewis © Brigitte Charvolin
Laretha Weathersby © Brigitte Charvolin
Nora Jean Wallace © Brigitte Charvolin
Sheryl Youngblood © Brigitte Charvolin
Demetria Taylor © Brigitte Charvolin
Peaches Staten, Mary Lane © Brigitte Charvolin
© Brigitte Charvolin
Shirley Johnson © André Hobus
© André Hobus
© André Hobus
© André Hobus
Lynne Jordan © André Hobus
Mary Lane © Brigitte Charvolin
© Brigitte Charvolin

Ivy Ford (chant, guitare). Mini set dans la catégorie “artiste émergente”. Elle se cherche encore, entre Bo Diddley, Westside blues à la Magic Sam et une ballade dramatique. Ne manque qu’un producteur.

Annika Chambers (chant). Style shouter où tout est trop, sa tenue extravagante, son décolleté, ses provocations scéniques et un volume déferlant. Elle termine par Jealous kind (Delbert McClinton).

The Kinsey Report. Fragile, Donald Kinsey (chant, guitare) et sous oxygène, va tout donner, être inventif dans la première demi-heure qui semble l’épuiser. Un autre crève-cœur.

Eric Gales (chant, guitare). Proclame fièrement qu’il est clean depuis six ans. Autre déferlement de volume et de notes enchaînées à vous soûler. Son bassiste masqué entièrement, dit “Smoke face”, laisse échapper de la fumée dans ses accords grondants. Une clôture de festival très peu supportable.

Annika Chambers © Brigitte Charvolin
Paul Deslauriers, Annika Chambers © Brigitte Charvolin
Anne Harris, Annika Chambers © Brigitte Charvolin
Donald Kinsey © Brigitte Charvolin
Donald Kinsey, Toronzo Cannon © Brigitte Charvolin

Eric Gales © Brigitte Charvolin

J’ai fait l’impasse sur Lurrie Bell. Relégué au créneau d’ouverture de 12 à 13 h, ça n’est pas bon signe, même s’il avait un engagement ultérieur.

Johnny Rawls (chant). Bonne vieille école soul blues revue, avec harmonica et sa fille au chant. Le public afro-américain groove.

Mr. Sipp (chant, guitare). J’aimais mieux son personnage antérieur sautillant en uniforme scolaire britannique. Maintenant, c’est soul blues gospel du racoleur dans le public.

Nous aborderons le “off” présenté par le Rosa’s Lounge et les nocturnes dans les clubs dans un prochain chapitre.

Texte : André Hobus
Photos © Brigitte Charvolin et André Hobus
Photo d’ouverture : Ivy Ford, Sharon Lewis © Brigitte Charvolin

Lurrie Bell, Steve Bell © Brigitte Charvolin
Mr. Sipp © Brigitte Charvolin
Johnny Rawls © Brigitte Charvolin