;
Live reports / 05.09.2018

CHICAGO BLUES FESTIVAL 2018 (Part. 1)

Comme le Big Mac, dont c’est la ville d’origine, le riche festival de Chicago se dévore à belles dents, combine les ingrédients goûteux du blues… et se révèle addictif. En supplément non commandé, la ville vous offre une météo tourmentée et capricieuse. Cette année, les festivaliers en ont eu pour leur argent malgré la gratuité de l’événement. Quelques heureux réaménagements du nouveau site dans le Millenium Park ont ouvert davantage la manifestation sur son esplanade et ainsi fluidifié la circulation des milliers de visiteurs, notamment en décentrant la scène indépendante du club Rosa’s. Va-et-vient personnels entre découvertes, styles, confirmations et favoris. Le menu est tellement copieux que j’en délaisserai certains.

 


Willie Buck © André Hobus

 

Mention spéciale à la grande tente sponsorisée par l’action culturelle de l’État du Mississippi. Grâce à ses liens bilatéraux et historiques avec Chicago, terminus de la “Grande Migration”, des soulmen spécifiques montent sur leur scène identitaire, pour le plus grand plaisir de très nombreux spectateurs noirs venus apprécier leurs “pays” même si, à mon avis, certains artistes y tempèrent quelque peu leurs morceaux et leurs attitudes devant ce public familial.

Ms. Jody (vo) par exemple, semblait en deçà de son répertoire sulfureux. Ce qui n’obère en rien sa conviction vocale, sa présence et les qualités funky de son orchestre.

 


Ms. Jody

 

Le jeune et beau L.J. Echols (vo), tout moulé de blanc, déclenche des réactions de midinettes chez des dames respectables, surtout quand il fait mine de faire plus que de s’assoir sur leurs genoux : débordements feints ou réels garantis mais on reste dans la suggestion frivole. Ambiance donc, que les bluesmen “traditionnels” ne suscitent presque plus. J’aime cet entre-soi communautaire où je ne suis qu’un spectateur invité. 

 


L.J. Echols

 


L.J. Echols © André Hobus

 

Le vétéran Mickey Rogers (vo, g) et son band personnifie le soul blues dansant du samedi soir dans quelque juke joint perdu.

Mr. Sipp (vo, g) domine avec l’aisance et le punch que nous lui connaissons. Notes chantantes à la B.B. King, vocaux gospélisant et dynamiques en font un favori tout public.

 


Mickey Rogers 

 


Mr. Sipp

 

Enfin, le batteur Kenny “Beedy Eyes” Smith animait la jam session pour le bonheur de certains enfants musiciens précoces.

 


Kenny Smith

 

Le vendredi 8 fut consacré aux 65 ans d’existence du label Delmark, récemment racheté à son fondateur Bob Koester, honoré pour l’occasion.

Zora Young et Sharon Lewis. Les deux chanteuses incarnent ce Chicago soul blues un peu léché que les touristes découvrent dans le Northside. La première a ma préférence pour ses tonalités plus chaleureuses.

 


Zora Young

 


Sharon Lewis

 

Linsey Alexander (vo, g). Malgré son côté plus goûteux, il abuse de la gaudriole, sa marque de fabrique, et son jeune soliste peine alors à se réinventer.

L’âge n’a aucune prise sur Jimmy Johnson (vo, g) et, dès les premières notes, le sound et la technique-signature sont posés, immuables et intemporels. Et pourtant, qui s’en réclame ?

 


Linsey Alexander

 


Jimmy Johnson

 

Je suis fan de la cool attitude de Joel Paterson (g) et de son adaptabilité stylistique. En simple duo avec Oscar Wilson (vo), ils recréent naturellement du Delta blues électrique alors que leurs origines divergentes les opposent. C’est magique.

 


Joel Paterson, Oscar Wilson

 

Place à la grande scène à l’acoustique impeccable et parée d’un écran géant. Hommage à Delmark et à son père fondateur, Bob Koester, fragile à 86 ans, détestant les honneurs. Ni plaque commémorative ni cérémonie officielle. L’œuvre avant tout. Invité à dire quelques mots, le “roi des Grognons” fait alors la promo de son nouveau magasin, de son stock et termine par un laconique« vous avez des questions ? » Place à la programmation.

 


Bob Koester, Tom Marker

 

Impressionnant Corey Dennison (vo, gc). Physique et présence à la Freddie King, jeu Mighty Joe Young et voix soul blues shouter, formée à l’église et chez Carl Weathersby. Qu’est-ce qu’il est content d’assumer une telle visibilité, de présenter son répertoire personnel à la tête d’un groupe soudé (Gerry Hundt, vo, g, hca). Sans doute la révélation de ces deux dernières années. Ses deux CD pour le label sont en-deçà de sa dynamique scénique.

 


Corey Dennison

 


©
André Hobus

 

Mississippi Heat. Oui à leur prestation exceptionnelle qui sort le grand jeu, tels qu’on ne peut les voir en tournées : une deuxième chanteuse, des choristes, un clavier et des cuivres. Un band de onze musiciens (!) emmenés bien sûr par Pierre Lacocque, en maître harmoniciste, Inetta Visor (vo), magnifiée, Billy FlynnGiles Corey et le fidèle Michael Dotson (g). Superbe !

 


Pierre LacocqueInetta Visor

 


Michael Dotson

 


Giles Corey

 


Billy Flynn

 

Tribute to Delmark. Ce qui paraissait être une bonne idée sur papier – dérouler des duos de bluesmen actuels de la marque recréant des styles et des fondateurs qui en firent sa renommée – puis, présenter un second volet plus contemporain, va se révéler contre-productif dans la pratique, avec un maître de cérémonie trop pédagogique, donc long, et trop de changements de matériel, d’autant plus que chaque participant ne jouait qu’un seul morceau. Se sont succédés :

Gerry Hundt & Corey Dennison (g ac, vo) en Sleepy John Estes (ils ne passent pas).

Jimmy Burns (vo, g) incarnant Big Joe Williams (pas sa pratique).

 


Jimmy Burns

 

Ken Saydak (vo, p) pour Roosevelt Sykes. Shirley Johnson (vo) en Bonnie Lee (était-ce nécessaire ?).

Guy King (vo, g) pour Willie Kent (trop éloigné vocalement).

Billy Flynn & Linsey Alexander (vo, g) en Jimmy Dawkins (pas comparable).

Dave Weld & Lil' Ed (vo, g) pour J.B. Hutto (une réussite).

 



Guy King, Shirley Johnson

 


Lil' Ed

 

Demetria Taylor & Tomiko Dixon (vo) en Big Time Sarah (inutile).

Mike Wheeler (vo, g) pour Otis Rush (oui).

 


Demetria Taylor, Tomiko Dixon 

 


Mike Wheeler

 

Stevie (hca) & Lurrie Bell (vco, g) pour papa Carey (réussi).

Dave Specter & Jimmy Johnson (vo, g) en Magic Sam (seul le titre était au rendez-vous).

 


Lurrie Bell

 


Steve Bell

 


Jimmy Johnson, Dave Specter

 

Omar Coleman (vo, hca) pour Junior Wells (idem).

Et un joyeux fourre-tout comme finale.

 


Billy Flynn, Melvin Smith, Demetria Taylor

 


Jimmy Johnson, Corey Dennison, Dave Specter

 

Samedi 9

Les Chicago Blues Kings célèbrent un ténor-arrangeur-chanteur de chez Chess, période R&B-soul, Gene Barge, leader dynamique de feu Big Twist & The Mellow Fellows. Sa signature : un sound urbain de velours.

Sonny Landreth (vo, g). Le bottleneck master de Louisiane est impressionnant de technique mais son répertoire ne me touche pas.

 


Gene Barge

 


Sonny Landreth © André Hobus

 

The Keeshea Pratt Band (vo). Les vainqueurs cuivrés de la compétition internationale de Memphis offrent une prestation punch sous la tente surchauffée du Mississippi. Leur chanteuse-leader a de l’abattage.

Eddie Cotton Jr. (vo, g). Toujours la classe sous-estimée. Jeu proche de B.B. King et voix gospel qu’il entretient au temple à Jackson, Mississippi. Ici à Chicago, le public noir apprécie.

 


The Keeshea Pratt Band 

 


Eddie Cotton Jr.

 

Jontavious Willis (vo, g). Effectivement, une révélation pour ce soliste acoustique (+ lap steel) country blues mississippien-racinien. Seule la météo pluvieuse et froide va en retarder ma perception.

Selwyn Birchwood (vo, g, lap steel). Certainement la plus originale des jeunes pousses, sans esbroufe, avec des textes attractifs, un sound approfondi par le sax baryton et un jeu de guitare sinueux. Il a su occuper la grande scène impressionnante.

 


Jontavious Willis

 


Selwyn Birchwood

 


© André Hobus

 

Willie Clayton (vo). Le soul bluesman macho par excellence, style Malaco. Et je te séduis droit dans les yeux et ma voix de papier de sable t’ensorcelle. Hélas, il a sans doute adapté son répertoire pour un public familial majoritairement blanc et ne nous a épargné aucun vieux canasson. Même Mustang Sally et Sittin’on the dock of the Bay. Dommage.

 


Willie Clayton © André Hobus

 


 

 

Tribute to Little Walter. Là, show très réussi où le comité organisateur évita de le transformer en prestation estampillée 100 % Billy Branch. Invités : Magic Dick (ex-J. Geils, chant peu assuré). Corky SiegelRick Estrin, certainement les plus doués, Sugar Blue (et ses inévitables cascades de notes répétitives). Sam Lay (ex-batteur historique) semble frêle mais d’aplomb et participe aux vocaux. À la guitare, Billy Flynn recrée le swing de Louis Myers. Bonne humeur générale pour le final en présence d’une descendante de Little Walter.

André Hobus
Photos © Brigitte Charvolin (sauf mention)

 


Magic Dick

 


Corky Siegel, Sam Lay

 


Rick Estrin

 


Corky Siegel, Marion Diaz (fille de Little Walter), Billy Branch, Sam Lay