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Live reports / 23.06.2022

Cedric Burnside + Théo Charaf, Pan Piper, Paris

23 mai 2022. 

Quand Théo Charaf se saisit de sa Martin et décoche quelques arabesques en mineur avant de déployer sa grande voix de velours, mon camarade se penche vers moi pour me confier qu’il vient de se mettre à douter de son hétérosexualité. Charaf n’est pas seulement venu chambouler l’identité sexuelle de ses spectateurs. Il est venu jouer quelques titres de son très bon album. Il arrive à générer un petit espace autour de lui, chaleureux, on a envie de s’approcher.

L’homme joue avec son micro et parvient à faire de jolis effets. Il tire de sa besace une guitare électrique et un bottleneck. Il produit une belle intro inspirée de Blind Willie Johnson. Entre les morceaux, l’artiste ironise sur l’ambiance cafardeuse qui se dégage de ses morceaux. Il nous parle du blues comme une forme de « résilience ». Ah. « Bon, ça c’est pour le moment Télérama », précise-t-il, avant de proposer une variante, et on retiendra plutôt cette belle définition de sa musique : « Transformer la merde en engrais. » 

Charaf prend son temps, occupe le silence, propose une très belle interprétation de son Vampire, chanson qui rend bien compte du charisme du jeune homme. Il finit son set en frappant sa poitrine du poing, ou du plat de la main, pour accompagner une interprétation a cappella de No more, my Lord, no more, piquée chez Lomax. Le spiritual débouche sur un tonnerre électrique menaçant, dans lequel on parvient à reconnaître Hard time killing floor blues de Skip James.

Théo Charaf

Changement d’ambiance avec Cedric Burnside, qui débarque comme d’habitude avec un sourire large comme un stade de foot. Comme à son habitude, il démarre le set en solo. Son jeu de guitare est toujours aussi bizarre. Il dessine des motifs cubistes, fait des incises rythmiques inattendues. Son Mellow peaches est paradoxalement squelettique, mais ça ne l’empêche pas de se déhancher.

On s’attendait à voir arriver Reed Watson, le complice de Single Lock pour s’installer derrière les futs, mais voilà que débarque un drôle de citoyen à la dégaine de capitaine pirate. Il s’agit d’Artemas LeSueur, from Holly Springs, Mississippi. « C’est presque mon oncle, j’ai grandi en regardant ce gars jouer », confie Cedric. Monsieur LeSueur est un méchant batteur. Il a accompagné notamment David Kimbrough Jr. Il aide à faire sortir du fond de sa coquille le bad Cedric, bien caché derrière des murs de gentillesse communicative. En quelques minutes, il met en place un jeu symbiotique, une interaction, et on se dit : mais oui, alors c’est çaaa ! 

Les deux hommes constituent un vrai groupe de juke-joint, ils savent tous les deux de quoi ils parlent. À partir de ce moment, mes notes deviennent confuses parce j’avais mieux à faire que griffonner mes impressions sur mon petit calepin : il fallait danser. Après avoir vu Cedric Burnside une paire de fois, il faut reconnaître que l’ajout de M. LeSueur dans l’équation vient ajouter quelque chose d’assez jouissif à un répertoire bien rodé. On se demande combien de talents de cette sorte restent encore cachés dans les collines du Nord-Mississippi. 

Texte : Benoit Gautier
Photos © Frédéric Ragot