Jazz Celebration 2024, Théâtre du Châtelet, Paris
09.10.2024
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Hasard du calendrier, deux des voix les plus marquantes du jazz actuel, habituées des scènes françaises, étaient programmées à Paris à dix jours d’intervalle en cette fin du mois d’avril. Et pas dans n’importe quelle salle. Cécile McLorin Salvant foulait à nouveau la scène de la Cité de la Musique, accompagnée de ses habituels comparses, dont le pianiste Sullivan Fortner, et de l’Orchestre national d’Île-de-France sous la direction de Bastien Stil, tandis que Samara Joy, elle, avait pour la première fois l’honneur d’être à l’affiche de l’Olympia.
Souvent présentées comme les héritières de Sarah Vaughan, la Franco-Américaine McLorin Salvant et la New-Yorkaise Joy se démarquent pourtant singulièrement l’une de l’autre. « Si elles ont aujourd’hui une reconnaissance publique et critique à la hauteur de leur talent, leur approche est cependant radicalement différente », confirme notre collègue Frédéric Adrian, qui ne cache pas son faible évident pour McLorin Salvant, Leur prestation parisienne ce printemps l’a confirmé.
Honneur à la jeune génération. Quand nous l’avions vu pour la première fois sur scène dans une petite commune des Yvelines à l’occasion du festival Jazz à Toute Heure en 2022, il semblait évident que Samara Joy était promise à un avenir radieux. Mais deux ans plus tard, la jeune Américaine a fait plus que confirmer. Joy est une météorite comme on en voit rarement. À seulement 24 ans, elle s’est déjà installée parmi les plus grandes, glanant plusieurs Grammys et se voyant adoubée par le public et le courant le plus conservateur du jazz. Mais, parce qu’il faut bien un mais, la lauréate du concours international de jazz vocal Sarah Vaughan 2019 n’a visiblement pas encore donné sa pleine mesure ni donné à voir toute l’étendue de son registre, se contentant de reprendre les grands classiques pour les sublimer avec sa voix lancinante et « une justesse pas loin d’être absolue » dixit Frédéric Adrian. Car outre son élégance naturelle, c’est bien son aisance vocale qui subjugue autant et qui soulève l’admiration, comme elle l’a encore prouvé à l’Olympia où chacune de ses envolées dans le registre alto qu’elle affectionne avec ses graves sublimes laissaient pantois l’assistance.
On attend désormais de Samara Joy, qui n’en finit plus de tourner qu’elle se pose pour réaliser un album de son cru, voire qu’elle surprenne en s’aventurant sur des registres gospel qu’elle chante régulièrement en famille voire RnB qu’elle semble maîtriser comme elle l’a déjà démontré dans certaines émissions américaines.
Il y a longtemps déjà en revanche que Cécile McLorin Salvant ne reste pas sur ses seuls acquis. La Franco-Américaine fait preuve de plus de nuances et surtout d’éclectisme que sa cadette. Elle n’hésite pas à prendre des risques à l’image de cette mini tournée avec l’orchestre national d’Île-de-France où elle a interprété un programme inédit de ballades arrangées par le compositeur Darcy James Argue.
Une formule pas tout à fait convaincante du moins lors de ce premier concert sous cette forme tant la Floridienne semblait plus s’appuyer sur Sullivan Fortner et ses fidèles compagnons de route (David Wong à la contrebasse et Kush Abadey à la batterie) que sur les musiciens franciliens. Sa réinterprétation de Devant le garage des parapluies de Cherbourg, si elle n’a pas convaincu tout l’auditoire, illustre son goût de l’exploration et de l’expérimentation, alors que sa reprise de Being alive de Stephen Sondheim a mis tout le monde d’accord, y compris ceux qui lui reprochent parfois une justesse relative.
Texte et photos : Frédéric Ragot