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Hommages / 03.09.2021

Carol Fran (1933-2021)

Malgré une discographie attachante, Carol Fran n’a jamais décroché le tube ou le classique qui l’aurait fait connaître au grand public. Elle n’en a pas moins été, dans une carrière qui dépasse les six décennies, une figure importante de la scène soul et blues de Louisiane.

Née à Lafayette, Carol Anthony Martin suit très vite, à l’initiative de sa mère, des cours de piano et de danse classique, mais c’est le R&B de l’époque qui la séduit. À peine âgée de 15 ans, elle commence à se produire en tant que chanteuse avec un orchestre local, celui de Don Conway, puis, après avoir été repérée lors d’un concours de chant, avec celui du saxophoniste Joe Lutcher, où elle est également pianiste, ainsi que pour son frère Isaac “Bubba” Lutcher. Elle s’installe en 1951 à La Nouvelle-Orléans et épouse le saxophoniste Robert Francois. Rebaptisée Carol Fran, elle commence à se produire dans les clubs de Bourbon Street ainsi qu’au Drew Drop Inn, avant de déménager à Juarez, au Mexique en 1954. Située à la frontière, la ville a une vie nocturne dynamique, et Fran en devient vite une des vedettes, se produisant notamment au Lobby Supper Club.

Lasse de la distance, elle décide cependant de revenir dans sa ville natale quelques années plus tard. Par le biais du batteur Clarence “Jockey” Etienne, elle fait connaissance avec J.D. Miller, le patron du label Excello, et c’est pour celui-ci qu’elle enregistre en 1957 – avec Jockey Etienne et Guitar Gable – une de ses compositions, Emmitt Lee, qui devient son premier single. Le disque connaît un certain succès local, et Fran commence à tourner avec la revue de Guitar Slim, tout en se produisant régulièrement au Dew Drop Inn et dans d’autres clubs locaux. C’est à l’occasion d’un de ces concerts qu’elle croise la route en 1958 du guitariste Clarence Hollimon, alors membre du groupe de Charles Brown. Si le coup de foudre est immédiat, la réalité des tournées ne leur permet pas de développer leur relation, et les deux musiciens ne se reverront pas pendant 25 ans. 

Clarence Hollimon et Carol Fran. © DR / Collection Gilles Pétard
Clarence Hollimon et Carol Fran au Banana Peel, Ruiselede, Belgique, 21 février 1994. © Dominique Papin
Carol Fran, Clarence Hollimon et Trudy Lynn, août 1993. © Brian Smith

Après la mort de Guitar Slim, elle continue à se produire avec son orchestre et différents leaders ponctuels parmi lesquels Nappy Brown, Lee Dorsey et Joe Tex. Elle fréquente régulièrement le studio de J.D. Miller, où elle grave trois autres singles pour Excello, sans succès particulier, et accompagne ponctuellement, au chant et au piano, les autres artistes du label comme Lightnin’ Slim et Lazy Lester. Tout au long des années 1960, elle enregistre une série de 45-tours pour les labels Lyric, Port et Roulette. Parue en 1964 sur Port, sa version de Crying in the chapel semble partie pour décrocher, enfin, un tube… jusqu’à ce qu’un certain Elvis Presley sorte la même chanson – la légende veut qu’il s’en soit excusé auprès d’elle à l’occasion d’une rencontre fortuite à Las Vegas ! Une compilation parue en 1999, “Bluesoul Belles Vol. 1: The Complete Calla, Port, and Roulette Recordings” (partagée avec Bettye LaVette) documente cette partie de sa carrière discographique. 

Carol Fran se produit régulièrement au Dew Drop Inn ainsi qu’au Sugar Bowl de Thibodeaux, et tourne au sein de la revue de Joe Tex, se produisant même avec lui à l’Apollo. Au début des années 1970, elle s’installe à Miami, où elle chante dans les clubs locaux, puis, à la fin de la décennie, à Houston. C’est là qu’elle retrouve Clarence Hollimon. Les deux deviennent alors un couple (marié en 1983) et un duo, qui se taille vite une belle réputation locale. Sur la suggestion d’un autre vétéran, le saxophoniste Grady Gaines, ils signent avec le label Black Top et, après quelques faces sur des anthologies (“Gulf Coast Blues”, paru en 1989) et des apparitions sur les disques de collègues (The TriSAXual Soul Champs, Anson Funderburgh And The Rockets featuring Sam Myers…), publient leur premier album, “Soul Sensation”, en 1992. Le succès est immédiat, et le duo devient une figure familière sur le circuit festivalier américain, ainsi qu’en Europe.

Sur scène, le jeu élégant et inspiré de Hollimon s’harmonise naturellement avec la gouaille et l’abattage de Fran, comme l’illustre l’album live “Women In (E)motion Festival”, gravé en 1993 en Allemagne. À l’hiver 1993, Soul Bag publie dans son numéro 129 un entretien avec les deux musiciens. Un second album Black Top, “See There!”, sort en 1994, mais il faut attendre six ans pour le disque suivant, “It’s About Time”, qui sort chez JSP. Cette même année 2000 voit le décès de Clarence Hollimon, et le retour de Carol Fran dans sa ville natale. C’est sur un label local, Sound of New Orleans, qu’elle publie ensuite son premier album personnel, “Fran-tastic”, avec en particulier le guitariste Selwyn Cooper.

Si elle ne fréquente plus que ponctuellement les studios d’enregistrement ensuite (des apparitions avec Bob Corritore et Davell Crawford, une belle version piano-voix de son classique francophone Tou’ les jours c’est pas la même sur l’anthologie caritative “Our New Orleans 2005”…), Carol Fran continue à se produire régulièrement sur scène, malgré une attaque survenue en 2006 et de nouveaux problèmes de santé en 2018 : elle était même censée participer à l’édition (finalement annulée) du Jazz Fest prévue pour octobre prochain ! Sa dernière venue française  remonte à 2006, avec festivals (MNOP et Blues en Loire) et quelques soirées au Méridien. 

Les années 2010 l’avaient vu recevoir différentes distinctions, dont un prestigieux National Heritage Fellowship en 2013, et elle avait été un des sujets du documentaire canadien I Am the Blues en 2015, puis de son propre film, Carol Fran: Tous Les Jours C’est Pas La Même, Every Day Is Not The Same, sorti en 2020 (couleeproductions.com). Après près de vingt ans de quasi-silence discographique, un dernier album, “All Of My Life: The Saint Agnes Sessions”, produit avec la Jazz Foundation of America, est également sorti en 2020, mais ne semble bénéficier que d’une distribution locale. Ses titres Excello n’ont hélas jamais été regroupés sur un seul disque et sont dispersés sur différentes anthologies.

Texte : Frédéric Adrian

© James Fraher
Carol Fran, Pete Mayes, Clarence Hollimon. © James Fraher
Carol Fran, Utrecht, Pays-Bas, 23 novembre 1991. © André Hobus
Carol Fran, Périgueux, 2006. © Stéphane Colin
Carol FranClarence HollimonFrédéric Adrian