Porretta Soul Festival 2025
21.08.2025
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Samedi 19 octobre
« Voir Broadway et le fuir », avait prévenu Éric Heintz, collaborateur à Soul Bag ! Il s’agit pourtant de la première image (ou presque) que nous aurons de Nashville alias Music City. Une longue artère bruyante et grouillante qui charrie des contingents de touristes plus ou moins éméchés sur les pedal taverns, sorte de grosses rosalies avec débit de boisson intégré ! Mais, en poussant la porte du Robert’s Western World, célèbre club de l’infernale avenue, le voyageur s’offre un bol d’authenticité et découvre l’ambiance incomparable d’un des plus fameux honky tonks de la ville. Il est 16h30 et Paul Kramer, chanteur-guitariste-violoniste, officie au sein d’un quartet qui reprend avec talent et conviction Johnny Cash, Buck Owens, Merle Haggard et autres grands noms du genre. Nous y entendons notamment ce qui sera l’un des titres les plus joués durant notre séjour, à savoir le Guitars, Cadillacs de Dwight Yoakam. Un passage par Swaggie Records permet d’amorcer les premiers achats de vinyles du séjour. Point de shopping en revanche chez Carter Vintage Guitars, mais les yeux qui brillent à la vue des guitares et amplis d’exception !
Dimanche 20 octobre
Après un passage dans la matinée par le Gibson Garage où quantité de Les Paul, ES335, Firebird et autres SG défilent en continu accrochées à un rail (!), l’opération vinyles se poursuit le dimanche après-midi. Direction The Great Escape au sud de la ville et ses bacs généreusement achalandés puis retour au Robert’s pour y écouter cette fois Chris Casello, un artiste vu en 2010 lors de son passage à La Traverse de Cléon (Seine-Maritime). Cet habitué des lieux (il y a notamment enregistré un live il y a quelques années) est un véritable virtuose de la guitare et du lap steel qu’il alterne parfois au sein même d’un morceau avec une aisance déconcertante. Rockabilly et country sont au programme et le concert se conclut sur un dernier titre hilarant.
Lundi 21 octobre
Une journée d’une incroyable densité ! Possibilité nous est donnée de visiter dans l’après-midi le showroom Fender de Nashville. Un bâtiment des plus discrets au cœur du quartier branché de East Nashville qui accueille régulièrement des pointures comme Jack White, Chris Stapleton ou Jason Isbell. Ben Blanc-Dumont, Français installé depuis une petite dizaine d’années dans la capitale du Tennessee, est chargé des relations entre la célèbre marque californienne et les artistes. Il nous fait découvrir les lieux, de nouveaux modèles signatures et nous donne même l’opportunité de rencontrer le très affable Tim Shaw, ingénieur spécialisé dans l’élaboration et le développement des micros qui équipent les Stratocaster, Telecaster ou Jazzmaster.
Il y a peu de distance à parcourir pour gagner l’un des clubs les plus excitants de la ville, à savoir le 5 Spot. S’y produisent The Tiger Beats, quartet au sein duquel on retrouve le chanteur-guitariste McKinley James et Jason Smay, son batteur de père. Si les deux impressionnent par la complicité, l’énergie et le charisme qu’ils dégagent, la découverte du chanteur-guitariste Patrick Sweany est une vraie révélation. Doté d’une voix remarquable, il interprète avec talent et conviction Little Milton, Muddy Waters, Buddy Guy et Howlin’ Wolf. À peine le temps d’échanger avec Jason Smay sur sa venue prochaine en France qu’il faut rejoindre Downtown et le 3rd And Lindsley pour assister au concert de The Time Jumpers. Composé de musiciens de très haut calibre (mentions spéciales aux violonistes Joe Spivey et Justin Barnum ainsi qu’à Eddy Dunlap à la pedalsteel), le groupe se produit dans ce club classieux tous les lundis et propose durant 1h30 à un public nombreux et enthousiaste un savoureux répertoire western swing. Immanquable !
Mardi 22 octobre
La cérémonie d’intronisation de James Burton, John Anderson et Toby Keith le dimanche nous a obligés à repousser notre visite du Country Music Hall Of Fame deux jours plus tard. Mythique et incontournable, ce musée ouvert en 1961 retrace magistralement l’histoire de la country des origines à nos jours et multiplie les pièces d’exception : guitares de Jimmie Rodgers, Maybelle Carter ou Chet Atkins, violon de Bob Wills, costumes de Hank Williams, délirante Pontiac Bonneville de Webb Pierce… Tout au long de cette passionnante déambulation, le visiteur se nourrit de titres emblématiques et découvre de nombreuses images d’archives. Notre billet nous donne également accès au Historic RCA Studio B situé dans Music Row, l’épicentre de la country à Nashville, ce quartier abritant les labels discographiques, les stations de radio et les studios d’enregistrement. Pénétrer dans le studio qui donna naissance au Nashville Sound, c’est prendre rendez-vous avec l’histoire : Waylon Jennings, Dolly Parton, Roy Orbison, les Everly Brothers, entre autres, y ont enregistré. Sans oublier, bien sûr, Elvis Presley. Le Steinway de 1942 qui y trône encore a même la réputation d’avoir été le favori du King. Il est ensuite temps de prendre la route : direction Memphis !
Mercredi 23 octobre
Rendez-vous avec l’histoire, bis repetita ! Elvis est plus que jamais au cœur de la matinée avec la visite de l’iconique Sun Studio. Après un passage par le petit musée à l’étage, nous accédons à la salle d’enregistrement où le gamin de Tupelo grava pour l’éternité le That’s all right d’Arthur Crudup dans la soirée du 5 juillet 1954. Le guide, dynamique et passionnant, sait y faire pour rendre son propos vivant et nourrit le visiteur de nombreuses anecdotes sur Johnny Cash, Charlie Rich, Jerry Lee Lewis ou Sam Phillips.
Un détour par The Four Way Grill, un incontournable de la soul food où nous dégustons fried catfish et fried green tomatoes et nous stationnons notre voiture sur la McLemore Avenue face au Stax Museum of American Soul Music. Même s’il ne s’agit pas du bâtiment original mais d’une reconstitution de l’ancien studio de la firme fondée par Jimmy Stewart et Estelle Axton, le lieu impressionne avec sa reproduction fidèle du Studio A, ses objets précieux, ses extraits musicaux, ses vitrines consacrées à Rufus Thomas, Little Milton, Booker T. & The MG’s, Isaac Hayes, sans oublier son mur de pochettes de 33 et 45-tours du label.
À peine remis de nos émotions, nous retrouvons John Németh pour un dîner au Gus’s World Famous Fried Chicken en plein cœur de la ville. Les discussions tournent immanquablement autour de la musique mais l’histoire, les racines européennes de John sont également au programme. De là, nous rejoignons Beale Street et le B.B. King’s Blues Club où se produit la Memphis Soul Factory. On y reconnaît le guitariste Joe Restivo, vu et entendu notamment aux côtés de John dans l’excellent Love Light Orchestra. Un répertoire des plus convenus (Georgia on my mind, Never make a move too soon, Ain’t no sunshine…), un groupe qui éblouit avant tout par son professionnalisme et, par conséquent, bien peu de chances là de pouvoir s’offrir de véritables émotions.
Jeudi 24 octobre
Successivement capitale du blues, du rock ’n’ roll et de la soul par le passé, Memphis est une ville vis-à-vis de laquelle il ne faut manifestement plus avoir d’attentes démesurées d’un point de vue musical. Peuplée massivement de groupes souvent insipides qui débitent des standards éculés sans conviction, Beale Street n’est plus que l’ombre d’elle-même. Le mélomane en recherche d’authenticité lui tourne bien vite le dos et, une fois les illusions passées, se rassure en constatant que la ville a finalement d’autres choses à proposer, au niveau muséal notamment. Ainsi en est-il de l’incontournable National Civil Rights Museum. Bâti autour du Lorraine Motel où fut assassiné Martin Luther King le 4 avril 1968, le musée retrace toutes les étapes du long chemin vers l’acquisition des droits civiques, des premiers temps de l’esclavage à aujourd’hui. Dense, immersive, riche en reconstitutions et en documents rares, la visite s’achève par le passage devant la chambre n°306 occupée par King et que l’on voit à travers une vitre. Prenant.
L’après-midi étant consacré à une déambulation dans Memphis par près de 30 degrés et sous un soleil radieux, un passage par Arcade s’impose pour reprendre des forces. Si la table fréquentée en son temps par le King échoit à d’autres que nous, le moment passé sur les banquettes bicolores d’un des plus vieux diners de Memphis est des plus agréables. Nous voilà prêts à partir à l’assaut de l’une des artères les plus emblématiques de la métropole : Main Street. Ce qui frappe au gré des déplacements dans la ville, c’est le calme qui y règne. Peu de monde dans les rues, tout semble tourner au ralenti, y compris le magasin River City Records où l’on met toutefois la main sur un Marty Robbins et un Mickey Gilley.
Vendredi 25 octobre
Sise aux confins du Tennessee, Memphis est limitrophe avec les États de l’Arkansas et du Mississippi. Pas question de laisser passer l’occasion, nous nous engageons plein sud sur la Highway 61 avec comme bande-son le Travelin’ riverside blues de Robert Johnson. Direction Clarksdale où nous retrouvons Charlie Musselwhite. Interviewé pour le compte de Soul Bag en avril 2022 dans le cadre de la parution de son dernier album (“Mississippi Son”), le tout récent octogénaire nous a donné rendez-vous au Rest Haven (sa cantine ni plus ni moins !), restaurant tenu par la joviale Paula. Les échanges, agréables et amicaux, tournent notamment autour des riches souvenirs de Charlie. Le repas fini, à notre grande surprise, il se propose de nous faire découvrir la ville et quelques-unes de ses boutiques les plus emblématiques comme le magasin de musique Bluestown Music, la librairie Cat Head Delta Blues & Folk Art et l’incroyable Deak’s Mississippi Saxophones and Blues Emporium, véritable temple de l’harmonica. Le temps est venu de prendre congé de notre illustre hôte qui nous recommande de ne pas quitter la ville sans avoir vu le Delta Blues Museum. Bien qu’un peu chaotique dans son organisation, le lieu est chargé d’histoire et recèle de belles sections consacrées à Robert Johnson, John Lee Hooker, Muddy Waters et consorts. Le musée abrite justement les vestiges de la cabane initialement située sur la Stovall Plantation et devant laquelle le roi du Chicago Blues enregistra pour Alan Lomax en août 1941.
Le retour vers Memphis nous donne l’occasion de découvrir la torpeur qui règne à Friars Point, bourgade chantée en son temps par Robert Nighthawk (Friar’s Point blues) et les rives du Mississippi, paisible et majestueux. La journée se conclut par la découverte du toit du luxueux hôtel Peabody de Memphis après un passage, sur les recommandations de Charlie, par la boutique du célèbre tailleur Lansky qui habilla quantité de musiciens de la ville, Elvis en tête.
Samedi 26 octobre et dimanche 27 octobre
Un détour par Shangri-La, l’un des disquaires les plus réputés de la ville, s’impose avant de réaliser les 3h30 de route qui nous séparent de Nashville, le coffre lesté de quelques pépites signées Merle Haggard, Lou Rawls Junior Parker, Duane Allman, Jack McDuff ou Jimmy McCraklin. Le contraste entre le calme de Memphis et la ferveur de Music City est tout simplement saisissant ! D’ordinaire déjà bien agitée, Broadway est en ébullition le samedi venu. Tous les soirs à 18h30 du mercredi au samedi, dans un Robert’s Western World chauffé à blanc, la scène est investie par Kelley’s Heroes, un trio qui perpétue le répertoire et l’esprit du chanteur-guitariste Don Kelley. Retiré des affaires depuis 2020, ce pilier a été tout au long de sa longue carrière un formidable découvreur de talents puisque sont notamment passés dans son groupe Guthrie Trapp, JD Simo, Brent Mason et le nouveau prodige de la six-cordes sur Nashville, Luke McQueary. Après la retraite de son patron, ce dernier a fondé en compagnie du contrebassiste Joe Fick et du batteur Billy Van Vleet cette formation qui impressionne véritablement par son énergie et sa virtuosité. Du haut de ses 24 ans, McQueary fait preuve d’une maîtrise ahurissante et semble n’avoir quasiment aucune limite dans sa pratique instrumentale. Bien que ne brillant pas particulièrement par son originalité, le répertoire pioche chez Merle Haggard, Roy Orbison, Johnny Cash, The Band, Waylon Jennings ou Marshall Tucker dont les titres sont interprétés avec fougue et maestria. Rien de tel qu’un peu de repos le dimanche pour se remettre des émotions déjà accumulées en quelques jours ! Un peu de temps est tout de même consacré à compléter la collection de vinyles avec un passage par Grimey’s, l’un des disquaires de référence sur Nashville.
Lundi 28 octobre
Soirée fathers & sons puisque nous retournons au 5 Spot écouter McKinley James et Jason Smay au sein de The Tiger Beats avant d’enchaîner par le Blue Monday du Bluebird Cafe animé par Yates et Kevin McKendree. Accoudé au comptoir, anonyme et décontracté, se tient Dan Auerbach qui travailla régulièrement en tant que guitariste et producteur aux côtés de Patrick Sweany au début des années 2000. Le fondateur des Black Keys et du label Easy Eye Sound est manifestement un habitué des lieux et ne cache pas, durant le bref échange que nous avons, son admiration pour le jeune McKinley James. Ne voulant pas laisser passer notre chance, nous rejoignons sans perdre de temps le 4104 Hillsboro Pike Road au sud-ouest de la ville. En effet, la règle est simple au Bluebird Cafe le lundi soir : “Premier arrivé, premier servi !” D’ordinaire plutôt dédié aux songwriters, ce club met à l’honneur chaque lundi les McKendree, père et fils, accompagnés par une impeccable section rythmique composée de Steve Mackey à la basse et de Patrick O’Connor à la batterie. Durant 1h30, le quartet va enchanter les quelque 70 spectateurs présents par son interprétation d’un répertoire de haute volée dans lequel on retrouve des originaux issus de “Buchanan Lane”, l’excellent album de Yates paru en 2022 et des emprunts à B.B. King (She’s my baby), Otis Rush (It takes time) ou Hound Dog Taylor (Give me back my wig). Guitariste véloce et inspiré, le jeune McKendree se révèle aussi être un chanteur des plus convaincants et un authentique fan de Soul Bag ! Cerise sur le gâteau de cette soirée à nulle autre pareille, l’excellent batteur Jay Bellerose présent dans l’assistance est invité sur deux titres qui permettent d’apprécier son redoutable sens du swing et de la nuance.
Mardi 29 octobre et mercredi 30 octobre
Deux soirs de suite sans arpenter les clubs de la ville, cela relève de l’impensable ! Et pourtant, le mardi et le mercredi sont consacrés à remplir des valises qui ne cessent de prendre du poids pour se rapprocher tranquillement de la barre fatidique des 23 kilos ! Déambulation et shopping dans le charmant quartier du 12 South, disquaires chez lesquels les emplettes s’avèrent fructueuses (The Groove) ou non (Vinyl Tap) sans oublier un indispensable détour par Gruhn Guitars où l’accueil est à la hauteur du spectacle qui s’offre à nos yeux : splendide ! L’essai d’une vénérable Gibson J-35 de 1941 restera dans les mémoires.
Jeudi 31 octobre et vendredi 1er novembre
Il pleut sur Nashville ! Raison de plus pour aller s’enfermer quelques heures dans le Musicians Hall Of Fame and Museum ! Et il y a de quoi faire avec ce musée consacré aux studios, labels, musiciens, songwriters et autres producteurs. RCA, Sun, Stax, Capitol, Muscle Shoals, Motown sont allégrement mis à l’honneur et de nombreux instruments ayant appartenu et été joués par B.B. King, Johnny Cash, Merle Haggard, Bob Dylan ou Glen Campbell ornent les vitrines généreusement garnies. Une visite palpitante de bout en bout. Avec La Nouvelle-Orléans, Nashville est sans doute l’une des seules villes au monde où vous pouvez voir de la musique live en plein après-midi ! Nous reprenons une dose de l’excellent guitariste et violoniste vu le premier jour de notre périple, à savoir Paul Kramer. C’est Halloween, les déguisements excentriques et loufoques déferlent dans le Robert’s Western Swing. La programmation annoncée du guitariste Jack Ruch en format organ trio est une invitation à se rendre à l’Underdog en début de soirée. Douche froide, le concert est annulé. Mais, à Nashville, les alternatives ne manquent pas ! La Gallatin Pike nous mène à Madison, une commune de la périphérie, qui abrite le Dee’s Country Cocktail Lounge où se produit ce qui va être une bien belle découverte : The Golden Barrell Band. Public jeune et chaleureux, talentueux quintet country rock inspiré par The Byrds, Gram Parsons, The Flying Burrito Brothers : le final idéal pour cette dernière soirée dans la capitale du Tennessee !
Le vendredi, en route pour le Centennial Park au cœur duquel fut édifiée en 1897 une réplique grandeur nature du Parthénon. Nos pas nous guident presque par hasard vers l’université Vanderbilt fondée en 1873 grâce aux subsides du magnat du chemin de fer et du transport maritime Cornelius Vanderbilt. Ses deux constructions valurent à la ville le nom flatteur d’Athènes du Sud. La cuisine familiale d’Arnold’s Country Kitchen est parfaite pour remplir les estomacs. Les savoureuses fried shrimps et mashed potatoes ingurgitées, nous ne résistons pas à l’envie de faire une ultime halte chez Carter Vintage Guitars situé de l’autre côté de la rue. Parmi les pièces notables, citons une Stratocaster Sunburst de 1966 qui fut jadis la propriété du Swamp Fox, Tony Joe White.
So long, Nashville, farewell Tennessee… Le temps qui file nous rappelle à la réalité des 9 heures de vol nécessaires pour rallier Londres où nous ferons escale avant de rejoindre l’Hexagone, les bagages et les têtes chargées de souvenirs !
Sincères remerciements à Charlie Musselwhite, John Németh, Ben Blanc-Dumont, Tim Shaw pour leur accueil et leur disponibilité, à Eric Heintz, Geoffrey Chaurand et Éric Doidy, pour leurs conseils sans oublier, évidemment, les excellents compagnons de route que furent Guillaume Feuillet, François Nicolleau et Sami Touré.
Texte : Nicolas Deshayes
Photos © Guillaume Feuillet