Big Joe Louis & Friends, The Blues Kitchen, London-Shoreditch, 2024
31.10.2024
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12 au 17 juillet 2022.
Tout commence le mardi 12 juillet avec le Mississippi Blues Trail Challenge qui met aux prises huit formation et un jury international d’organisateurs de festival avec de nombreux prix à la clé. Louis Mezzasoma ouvre le concours en duo guitare-voix et batterie. Pas aidé par l’heure (il est 14h30), un public encore clairsemé et une qualité sonore en rodage, il aura du mal à accrocher malgré une évidente sincérité. Les Jake Walkers s’en sortent mieux, leur blues sautillant et leur présence scénique génère un début de participation du public, même si le son de guitare pourrait être plus poussé. La chanson en français (« je bois du rouge et je chante le blues ») est bienvenue.
Le blues rock de Blues Fever, sans l’harmoniciste Diabolo touché par le Covid, est bien fait mais sans ce petit plus qui ferait ressortir le groupe de la mêlée du genre. Two Roots, duo voix et guitare, bénéficie du charisme et de la bonne voix de la chanteuse Sophia et de la guitare sèche et nerveuse de Pierrick, qui font bien passer un répertoire pourtant composé de reprises (très) classiques.
Les Yellbows jouent la carte de la formation cuivrée, du look rétro et d’une musique oscillant entre le jazz classique de La Nouvelle-Orléans et des nuances rock. Le public s’anime. Little Big 6ster a aussi un look qui retient l’attention et un blues rock très bien mené par la chanteuse guitariste Marguerite dont on apprécie les cris utilisés pour rythmer et relancer ses compères qui ne demandent que ça. L’apparition du didgeridoo fait toujours son effet.
Avec Thomas Doucet & the G-Lights, c’est la grande soul sudiste qui est convoquée sur scène, mais à travers des compositions personnelles fortes, emmenées par un leader toujours aussi habité. Le Slim Paul Trio clôture l’après-midi avec un blues rock en trio, puissant musicalement et vocalement, même pendant le premier morceau, pourtant a cappella, mais la voix grondante est sans équivoque.
Après délibération, le jury invite Two Roots, Little Big 6ster, Thomas Doucet & the G-Lights et Slim Paul Trio à la finale qui aura lieu le jour suivant sur la grande scène.
Pour ce mardi, ce n’est pas fini puisque la soirée est rythmée par Le Blues Dans La Ville avec une dizaine de formations jouant à des horaires variables dans divers endroits de la ville. Pour ma part, j’irai écouter Louis Mezzasoma, The Jake Walkers, The Freedrinks Band, je passerai plus de temps avec le rock ‘n’ roll des Hot Chickens porté par la fougue d’Hervé Loison au chant et à la contrebasse et la belle guitare de Christophe Gillet, avant de terminer avec le rock de Marlow Riders.
Le mercredi 13 juillet commence sur la petite scène avec Jerry T and the Black Alligators et Freddy Miller and the Blue Steelers. C’est du blues costaud, les deux groupes ont leur univers, leur personnalité, leurs points forts et sont courageux sous la chaleur. Tout comme le public qui apprécie comme il faut : quand ça joue bien, on oublie le reste !
En ouverture de soirée, La finale du Mississippi Blues Trail Challenge confirme le talent des quatre prétendants, Two Roots Duo, Thomas Doucet & the G-Lights, Slim Paul Trio et Little Big 6ster. Tous feront une bonne moisson dans le champ des prix proposés :
-Prix Châteaurenard Blues Rock Festival (Avignon) : Slim Paul
-Prix Leman Blues Festival (Annemasse) : Slim Paul
-Prix Benicassim Blues Festival (Espagne) : Thomas Doucet & the G-Lights
-Prix Thrill Blues Festival (Croatie) : Two Roots Duo
-Prix Salaise Blues Festival (Isère) : Little Big6Ster
-Prix Augusti Blues Festival (Estonie) : Slim Paul
-Prix Vully Blues Festival (Suisse) : Little Big6Ster
-Prix France Blues : Two Roots Duo
-Prix Bluestracje Festival (Pologne) : Thomas Doucet
-Prix Cahors Blues Festival : Slim Paul
On est chaud pour passer à Thorbjørn Risager & the Black Tornado. On a beau connaître par cœur, on reçoit une claque à chaque concert. Thorbjørn est un leader bienveillant, sa voix caractéristique porte un répertoire savamment agencé entre tension et détente. Le nouveau guitariste Joachim Svensmark tient bien sa place, Hans Nybo et Peter Kehl sont au taquet au saxophone et à la trompette, et assurent le spectacle avec ces petites chorégraphies dont ils ont l’habitude, et Emil Balsgaard a la main gauche plongée dans le boogie-woogie. Une des meilleures formations européennes à la réussite garantie !
La scène est bouillante pour accueillir la sensation Christone “Kingfish” Ingram. Celui-ci va livrer peu ou prou le même show qu’à Jazz à Vienne une semaine plus tôt et sans doute à Cognac entretemps, c’est la rançon des tournées avec beaucoup de dates rapprochées. Tout est centré sur lui, sa voix et surtout sa guitare. Répertoire puisé dans ses deux disques, descente dans le public avec enchaînement titre rapide-titre lent, passage acoustique, tout y est. Le seul changement est l’accueil du jeune Valentin VBlues avec qui il a déjà joué lors du séjour aux États-Unis organisé par France Blues. C’était la première grosse dose de guitare du festival.
Le jeudi 14 juillet est écrasé de chaleur et je fais l’impasse sur l’après-midi avec la Toulouse Blues Society qui donne carte blanche à des musiciens et chanteurs en devenir parmi lesquels Aurore Haudebault, Justine Blues, Orphée Plaisance et Claire Arbelenc.
La journée débute donc avec celui dont j’avais fait mon objectif du festival : Barrence Whitfield & the Savages. Je ne l’avais encore jamais vu sur scène et je n’ai pas été déçu. À fond au début, plus vite au milieu, une vague pause avec I’m sad about it, puis sprint jusqu’à la fin. Barrence a une voix exceptionnelle, que les années qui passent ne semblent pas influencer. Elle lui permet de faire passer sans micro et sans peine la petite panne de courant qui prive momentanément le groupe de ses moyens. Ses complices historiques sont hyper efficaces et carrés, avec des allures burinées, qui font la même impression que celle ressentie face aux Red Devils reformés. C’est du rockin’ R&B intemporel du plus haut niveau et on passe un « Happy Bastille Day », comme Barrence le dit plusieurs fois. Deuxième claque du festival !
Retour sur terre avec Popa Chubby dont l’installation sur scène, les premières paroles et les premières notes ne me disent rien qui vaille. Le lancement de Hey Joe avec force pédales à effet me fait fuir pour éviter une surdose de guitare. On me dira le lendemain que j’ai eu tort, que l’apparition de Jimmy Carpenter au saxophone, en tant qu’artiste fil rouge du festival, a généré un set nuancé. Tant pis pour moi.
Le vendredi 15 juillet débute avec La Bédoune dont le blues en duo en anglais et en français, le beau son, la voix expressive de Cécile qui attire, la guitare de Greg qui marque, les compositions solides, l’image, le contact, les sourires, font mouche, déclenchant un agréable petit souffle qui vient tempérer la chaleur.
The Money Makers ont ensuite emporté le public avec leur rockin’ R&B débridé, joyeux, dansant, emmené par l’excellent leader Damien Daigneau. Que ce soit au piano ou au chant, Damien établit un contact fort avec le public et ses trois compères sont à l’avenant. Reprises de Fats Domino, Lloyd Price, Big Joe Turner, Albert Collins, Freddie Cannon, Little Richard, compositions dans le ton, c’est entraînant, ça met du sourire plein la tête et les yeux. Bravo !
La grande scène est ouverte par Same Player Shoot Again qui honore ici le prix du festival reçu en 2019. Deux “King” sont mis en lumière par le groupe, Albert et Freddie, et c’est très bien fait grâce à un excellent chant, une magnifique guitare, une pratique maîtrisée de la tension-détente, des saxophones et claviers en appui avisé et un swing sous-jacent permanent qui fait du bien au moral.
Ils cèdent la place à Kirk Fletcher à la tête de ce qu’on peut appeler la Kirk Fletcher All Star Blues Revue. Kirk commence par convaincre tout le monde d’acquérir son nouveau disque, tant les compositions sont attachantes, puis il invite tour à tour Guy King et Nick Moss, on croit rêver ! Kirk se met au service de ses invités qui n’ont besoin que de trois morceaux, chacun dans son style, pour emballer le public. Jimmy Carpenter est là aussi pour mettre du saxophone dans ce monde de guitares. C’est la troisième dose de guitare du festival mais elle est nuancée et variée. Une vraie revue comporte toujours un numéro burlesque, c’est le cas ici avec l’apparition de Bette Smith en tenue de l’espace sur des standards très très standards et une grande liberté rythmique et musicale, loin de sa bonne prestation dans ce même festival en 2018.
Le samedi 16 juillet est lancé par le Mike Greene Band avec notamment Lorenzo Sanchez à la guitare. Un concert de Mike Greene, c’est l’assurance d’un blues bien senti, sans esbrouffe mais avec malice, des reprises des Coasters, de Fats Domino, Bo Diddley, R.L. Burnside, Howlin’ Wolf, Canned Heat et des compositions pertinentes. Il fait chaud, Mike en souffre mais tient le coup, la musique est de haut niveau.
Comme la veille avec les Money Makers, Nirek Mokar & his Boogie Messengers vont apporter le souffle du swing et du boogie woogie. Titres instrumentaux ou chantés, ils dégoulinent d’entrain et de maîtrise. Nirek est excellent au piano, Claude Braud est déchaîné au saxophone, Guillaume Nouaux joue un solo de batterie à tomber par terre, et Stan Noubard Pacha… que dire de lui ? La classe, tout simplement.
La soirée est consacrée aux “femmes du blues”. Plutôt qu’une soirée dédiée, ce serait mieux qu’il y en ait tous les jours ! C’est Kyla Brox qui ouvre l’événement et, bien accompagnée, elle le fait superbement. Voix profonde avec de belles inflexions, présence scénique, répertoire, solos de flûte traversière, pertinence de Paul Farr à la guitare, son show a tout pour plaire.
Whitney Shay lui succède et ça va être la troisième claque du festival. Whitney chante, danse, saute, sourit, met ses accompagnateurs en valeur. Accompagnatrices plutôt puisque trois sur quatre sont des femmes. Laura Chavez est à l’attendu, c’est-à-dire exceptionnelle, Lea Worms est en joli contrepoint aux claviers et Amanda Dal est remarquable à la batterie, avec un joli et permanent sourire. Le final sur le Get down with it de Little Richard est dantesque. Jimmy Carpenter apparaît pour quelques morceaux avec son brio habituel. Ce qui fait plaisir est la joie visible des musiciens de jouer ensemble.
En clôture, Kaz Hawkins envoie du solide avec sa voix, son orchestre, sa présence et son envie de convaincre. Et j’avoue ne pas avoir été convaincu. Ses reprises d’Etta James et Otis Redding sont sympathiques mais pourraient être plus personnelles. Il y a plus d’originalité dans les compositions originales qu’elle propose au milieu du set, mais cela crée un changement d’univers et d’ambiance troublant. Je n’accroche pas non plus au jeu de guitare très rock. Le final attendu avec Kyla Brox, Whitney Shay et Jimmy Carpenter fait oublier tout ça par son côté festif et débridé.
Dernière journée le dimanche 17 où la chaleur me fait rater l’après-midi avec Grant Haua et Neal Black. C’est One Rusty Band qui ouvre la grande scène. Le duo formé par Greg et Léa impressionne à chaque fois avec son énergie, vocale, instrumentale et physique. Ils sont déchaînés, malgré la chaleur et on sent leur envie d’aller au-delà du spectaculaire, Léa concentrant les acrobaties sur une même chanson et participant plus au rythme via des percussions sur une caisse claire et une cymbale. Leur spectacle évolue donc et il faut aller le voir en vrai.
Le chanteur Leon Beal accompagné par le Luca Giordano Band prend la suite et ça va être la quatrième claque du festival. Leur soul blues sudiste produit un grand bien-être. Le chant de Leon est superbe, servi par une voix profonde, religieuse et bluesy à la fois, et une présence scénique sûre. L’orchestre de Luca Giordano est impeccable, avec l’objectif de compléter le chant, pas de l’ensevelir sous des solos à rallonge. La guitare de Luca est toute en maîtrise et tension-détente, saxophone, trompette et claviers sont à l’unisson, c’est le meilleur moment de la journée.
Fred Chapellier ne pouvant être présent, c’est Johnny Gallagher qui le remplace au pied levé. Ce sera la dernière dose de grosse guitare, dans un répertoire blues rock, richement orchestré, une deuxième guitare, deux claviers et des invités, le propre père de Johnny au chant sur des reprises de classiques du rhythm and blues, puis Neal Black et Kaz Hawkins pour le final. C’est généreux, presque trop.
C’est peut-être aussi vrai pour le festival au global dont les six journées sont très copieuses elles-aussi. Mais il est difficile de se plaindre tant la programmation aura proposé de bons moments sur les deux scènes. Il faudra aussi trouver des parades à la chaleur si jamais une canicule se reproduit.
Merci à l’organisation et rendez-vous en 2023.
Textes et photos : Christophe Mourot