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Live reports / 09.09.2025

Boogie Woogie La Roquebrou 2025

6 au10 août 2025

Le Piton de la Fournaise réunionnais s’était-il invité au milieu des volcans éteints du Cantal ? Les températures extrêmes et l’incandescence de certaines prestations le laissaient à penser. Au milieu de ce nulle part magnifique, néanmoins encore desservi par la SNCF, le village de Laroquebrou, lieu de naissance de feu Jean-Paul Amouroux, un des pionniers du boogie-woogie en France et fondateur du festival, aujourd’hui repris courageusement par l’Alsacien Sébastien Troendlé, voit affluer chaque année pianistes et amateurs de tous bords prêts à se mesurer aux invités programmés lors des joutes informelles “off” au café Le Joker dès l’après-midi. Ambiance conviviale garantie. Le festival officiel “in” se tient dans le gymnase réaménagé du collège local : 1250 places assises, non remplies, hélas, malgré les nombreux soutiens publicitaires, sponsors et volontaires en appui. Sans voiture, le lancement dans la commune voisine de Maurs à une cinquantaine de kilomètres de là est inaccessible.

Jeudi 7

Invité par son ami Julien Bruneteaud, Frank Muschalle (Allemagne) joue un clavier précis, mélodieux, sophistiqué et quelque peu aventureux hors boogie, plus proche d’un Lloyd Glenn (hommage à Teddy Wilson, une ballade de Cecil Gant…) que des tradis. Peut-être eut-il fallu le programmer plus au centre de l’action qu’en son ouverture. Mais les duos sont complices et inventifs. Quant au Marseillais d’adoption, la fraîcheur de son style, varié qui plus est, se double à l’occasion d’un orgue électrique joué simultanément, chanté avec aplomb et un accent crédible, une section rythmique très swing (découverte d’Ophélie Luminati, batterie, et du son bien rond de Bruno Rousselet, impeccable contrebassiste), un apport de deux choristes et de Kévin Doublé (harmonica, guitare). Un répertoire de choix, de Robert Lockwood à Professor Longhair en passant par Ida Cox/Eric Clapton, emporte l’adhésion du public.

Frank Muschalle
Julien Brunetaud
Drew Davies, Kévin Doublé, Faby Médina, Céline Languedoc

Barcelona Big Blues Band (Espagne). Enfin un big band dépoussiéré des clichés Glenn Miller/armée américaine et arrangements ellingtoniens d’un répertoire convenu ! Place au punch cuivré et claquant du R&B ’50s sous la direction dynamique d’un contrebassiste de rockabilly aux mèches rebelles (Ivan Kovacevic) : commencer avec le décoiffant Run chicken run de Link Wray donne le ton. Il y a du Brian Setzer Big Band dans l’air ! Surpris, de nombreux “passéistes” font la moue. Éternelle dispute entre anciens et modernes. Et encore :  ici, par manque de place, les musiciens restèrent assis derrière leur pupitre ; si vous les aviez vus comme moi, en uniforme et occupant la grande scène de l’auditorium des Asturies à Torremolinos, là, ils déménageaient en chorégraphies jive !

Barcelona Big Blues Band
Ivan Kovacevic, Drew Davies
Ivan Kovacevic
Julien Brunetaud, Sébastien Troendlé

Vendredi 8

Le “in” invite le “off”. Idée originale que de valoriser les praticiens “historiques” et des découvertes européennes venus jammer au café Le Joker. À un titre chacun, ce carrousel ponctuel a ainsi exposé : Jean-Marc “Chapeau” Monnez (France), spécialiste ragtime-stride. Patrick Smet (Belgique) au vigoureux boogie authentique des “saloons”. Lasse Jensen (Danemark) ou le retour toujours en forme d’un ex-prodige. Les Britanniques Albert Roberts – du rock ’n’ roll – et Jared Nandra, lequel aura droit à un mini-set de 4 titres, des classiques du répertoire bien tournés. Eeco Rijken Rapp (Pays-Bas), au déroulé tranquille et nuancé. Ben Toury (France) en rock ’n’ roll avec une touche d’harmonica. Lukas Koeninger (Autriche) dans un Hadacol boogie impeccable (son Great balls of fire l’est moins) ou Bruno Duyé (France), au clavier boogie classique. Tous se retrouveront en duos, trios… en général endiablés.

Bruno Duyé, Lasse Jensen
Ben Toury, Eeco Rijken Rapp
Jean-Pierre Bertrand, Ben Toury
Patrick Smet
Lukas Koeninger

Anita Fabiani (France-Argentine) ne joue clairement pas dans la même division et les danseurs de concours qu’elle était censée impulser après son set doivent improviser des pas et des rythmes pour essayer d’être synchrones. Heureusement l’après-entracte va cartonner : Henri Herbert (Grande-Bretagne-France), tout feu tout flamme, nous fait autant transpirer à grosses gouttes que lui-même dans des rock ’n’ rolls bien sentis, parfois même un peu trop longs de par ses retours vers le public. Mais il le tient comme en Belgique où il passait au sein de la Jim Jones Revue et des Cadillac Kings. Aujourd’hui, il rend hommage en disque à Gene Taylor derrière Carolyn Wonderland (sur Alligator). Du solide !

Henri Herbert

Samedi 9

Philippe Nicolas dit Zébulon (France). Un seul long morceau de 13 minutes au clavier haché menu, aussi déconstruit que son veston.

Katharina Albert (Autriche). Du boogie blues de bonne facture classique et aux vocaux honorables. Cependant, elle devrait exercer plus de discernement dans le choix de son répertoire : Two fisted mama (Katie Webster) demande du punch, tandis que Honest I do (Jimmy Reed) implique du sentiment dans ses hautes tonalités. Le rocking Ding dong daddy (Eddie Bond) surprend tout de même.

Richie Loidl (Autriche). Vieil habitué des festivals, l’Autrichien varie par trop son approche entertainer, passant de Chicago breakdown à du Paolo Conte via un racoleur Let the good time roll. Faut-il courtiser le public à ce point ?

Nouveau groupe de danseurs, cette fois libérés. Merci Jean-Pierre Bertrand à la manœuvre. Dommage que cet historique de l’époque Amouroux doive se disperser dans des prestations éparses : il est programmé dans le “off”.

Philippe Nicolas
Katharina Albert, Claude Braud
Richie Loidl

Nirek Mokar & The Boogie Messengers. Sur scène, et non en studio, l’ex-enfant prodige a tendance à verser dans un répertoire souvent éculé et une technique frénétique et répétitive (n’est pas Jerry Lee Lewis/Little Richard qui veut), mais son boogie est bien enlevé quand il s’applique. Et puis son groupe soudé roule comme une formule un : le duo rythmique Guillaume Nouaux/Pierre-Jean Méric est imbattable (solos chaleureusement applaudis), Stan Noubard-Pacha (guitare) est présent sans s’imposer et enfin les ténors Claude Braud et Sax Gordon manifestent une complicité de fusion nucléaire. Ce sont eux les vedettes qui élèvent un set qu’un Henri Herbert aurait dominé.

Claud Brau, Guillaume Nouaux, Sax Gordon, Pierre-Jean Méric
Nirek Mokar

L’édition 2025 se termine en un joyeux chaos comme il se doit, avec tous les participants se lâchant. Les plus adrénalinisés termineront la nuit au Joker. 

Le dimanche 10, non chroniqué, était consacré principalement à un apéro avec R. Loidl, bien dans son rôle, une grande parade, deux sets de gospel à l’église et un bal de clôture.

Texte : André Hobus
Photos © André et Liliane Hobus

Claude Braud, Sax Gordon, Stan Noubard-Pacha