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Brèves / 01.07.2014

Bobby Womack, 4 mars 1944 – 27 juin 2014

Même lui meurt. Même les survivants s'éteignent. Lui, the Last Soul Man. The Poet I, II et III. The bravest man in the universe. The Preacher. Bobby Womack est décédé vendredi 27 juin, à l'âge de 70 ans. Il devait notamment se produire le 30 juillet prochain à l'Olympia.  En France, le patronyme « Womack » a été avant tout popularisé par le succès du duo Womack & Womack formé dans les années 1980 par un frère et une belle-fille de Bobby. En Grande-Bretagne, la scène pop-rock s'est de longue date entichée de ses talents de compositeur et d'interprète. L'histoire d'amour commence en 1964 quand les Rolling Stones cartonnent avec une reprise de It's all over now, morceau écrit par Bobby avec sa belle-sœur Shirley. Et elle se termine avec la récente collaboration de Bobby avec Damon Albarn, ancien de Blur et de Gorillaz. Mais c'est naturellement dans son pays, aux États-Unis, que Bobby Womack a réalisé l'essentiel de sa carrière.


© : DR / Collection Gilles Pétard

Archétype du soulman flamboyant et puissant, Bobby Womack voit le jour dans une famille pauvre, nombreuse et religieuse de Cleveland, Ohio. Poussés par leur père, les cinq frères Womack font leurs débuts en chantant du gospel, gravent un premier 45-tours dès 1954 et s'engagent sur la route de la fortune quand ils commencent à tourner avec les célèbres Soul Stirrers. Quand le leader de ces derniers, Sam Cooke, entame une carrière solo, les Womack Brothers le suivent à Los Angeles puis se convertissent au rhythm & blues sous le nom de Valentinos. Incroyable comme le talent de Bobby, qui n'a pas 18 ans, est déjà éclatant sur ces premières faces profanes publiées sur le label Sar. La mort de Sam Cooke en décembre 1964 ne met pas immédiatement un terme à l'aventure Valentinos, mais ceux-ci peinent à trouver une maison de disques stable et finissent par se séparer. Aussi bon compositeur et guitariste que chanteur, Bobby Womack contribue alors aux heures de gloire, entre autres, d'Aretha Franklin et Wilson Pickett. La première lui doit en partie la réussite de « Lady Soul » (Atlantic, 1968) ; le second inscrit alors près de vingt chansons de Womack à son répertoire. Aussi à l'aise dans les studios de Memphis ou de Muscle Shoals que sur la côte ouest, Womack fraternise également avec Sly Stone pour « There's A Riot Goin' On », quitte à commencer à se brûler les ailes en quête de paradis artificiels.


© : DR / Collection Gilles Pétard

Publiée par Minit, Liberty et enfin United Artists entre 1968 et 1976, la dizaine d'albums en solo de Bobby Womack révèle tout le talent d'un interprète qui prêche autant qu'il chante, et qui ne saurait jouer une partie de guitare dépourvue de blues. Ses intros parlées justifient son statut de légende de la soul music. Champion des titres lents et longs (That's the way I feel about cha, I'm through trying to prove my love to you), Bobby Womack possède la plus belle voix écorchée qui soit et un sens consommé du rythme saccadé. Sans doute un peu dilettante, Womack ne prend alors pas la peine de réaliser LE grand album du niveau de « What's Goin' On ». Mais sa série de singles classés dans le top 10 compense cette relative faiblesse.  D'autant que le début de la décennie suivante le voit se réinventer en un poet soul qui, chez Beverly Glen, s'adapte on ne peut mieux aux nouvelles sonorités du moment. Cris, récitations, caresses : la voix de Womack atteint le niveau de celles de Teddy Pendergrass et Luther Vandross. Et avec Patti LaBelle (Love has finally come at last), il inaugure une série de collaborations qui vont jalonner la troisième et dernière partie de sa carrière. Citons Shirley Brown, Ronald Isley et quelques Rolling Stones. Avant que Damon Albarn ne le mette une fois de plus au goût du jour.  Faute de le voir sur scène cet été, on peut visionner le DVD « The Jazz Channel Presents Bobby Womack » et ainsi se donner une idée de l'extraordinaire aisance du chanteur devant un public attentif.
Julien Crué