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Brèves / 21.01.2015

Bo Dollis est parti

Pratique aussi sociale que musicale – sinon plus -, la tradition des Indiens du Mardi Gras n’a jamais vraiment dépassé les frontières de La Nouvelle-Orléans, faute de disques facilement disponibles et de tournées européennes, même si la série Treme et le personnage du Big Chief  Albert Lambreaux lui ont apporté une certaine visibilité ces dernières années. Bo Dollis, qui vient de mourir le 20 janvier 2015, était la plus célèbre incarnation de cette tradition. Né le 14 janvier 1944 à la Nouvelle Orléans, Theodore Emile « Bo » Dollis se fait vite remarquer, à l’église et en dehors, pour ses talents vocaux. Contrairement à nombre de figures du milieu des Indiens, son intérêt pour le mouvement ne vient pas d’un membre de sa famille, mais d’un voisin. Au contraire même, sa famille s’oppose à ce qu’il rejoigne une des différentes « sociétés secrètes », en raison de la violence qui marque à l’époque ce milieu. C’est donc clandestinement qu’il coud lui-même son propre costume et participe à sa première parade de Mardi Gras avec les Golden Arrows dès l’âge de treize ans. Il rejoint ensuite les Wild Magnolias, où ses capacités vocales exceptionnelles – on peut le comparer à une version moins sophistiquée de Bobby Bland – lui permettent vite de graver les échelons, passant rapidement du statut de Flag Boy à celui de Big Chief.


Avec les Wild Magnolias au Jazz Fest en 1995. © : Jacques Périn

Dans ce rôle prestigieux, il sera, avec quelques autres parmi lesquels son ami d’enfance Monk Boudreaux des Golden Eagles, à l’origine d’une double révolution permettant à la tradition des Indiens d’entrer dans la modernité. La première révolution porte sur les rituels des différentes tribus. Si Dollis tient à préserver les textes traditionnels, il s’attache à faire disparaître, en la rendant symbolique, la violence des relations entre les différentes tribus. Sous son influence, les affrontements physiques laissent place à un esprit de compétition portant sur les costumes réalisés par chaque membre. Il est probable que cette nouvelle orientation a permis la survie de la tradition, les différentes tribus ayant longtemps fait l’objet d’une vigilance importante des autorités du fait d’incidents violents. La deuxième révolution porte sur la musique des Indiens. L’année 1970 marque, à l’initiative de Dollis, les premières tentatives d’ouverture au monde de la tradition, avec l’organisation (toujours avec Monk Boudreaux) d’une parade à l’occasion de la première édition du New Orleans Jazz and Heritage Festival, ainsi que la parution d’un 45-tours, Handa Wanda (part 1 and 2), produit par Quint Davis (le patron du festival) chez Crescent City. Dans les années suivantes, les Wild Magnolias font progressivement évoluer leur son, en ajoutant notamment à leurs performances le clavier de Willie Tee.


Avec Monk Boudreaux (à droite) aux Banlieues Bleues en 2009. © : Nicolas Teurnier

En 1974, la formation grave son premier album, « Wild Magnolias », pour le label français Barclay à l’initiative du producteur Philipe Rault. Le groupe y est accompagné par quelques-uns des meilleurs musiciens de la ville, parmi lesquels, outre le fidèle Willie Tee qui assure également les arrangements, on trouve le guitariste Snooks Eaglin et le percussionniste Alfred « Uganda » Roberts. Le disque est suivi l’année d’après par un deuxième dans le même esprit, « They Call Us Wild ». Les prestations incendiaires du groupe attirent un public croissant, et leur Smoke my peace pipe atteint même la soixante-quatorzième place du classement R&B de Billboard. Hélas, le groupe ne parvient pas à capitaliser sur cette soudaine notoriété, et il se retrouve vite de retour sur la scène locale de La Nouvelle-Orléans. Il faut attendre la fin des années 1980 pour qu’il retrouve le chemin des studios grâce à l’album « I'm Back… At Carnival Time » qui paraît sur Rounder en 1988. Ensuite, Dollis collabore à des disques de Robbie Robertson et de Champion Jack Dupree, ainsi qu’aux séances louisianaises de Willy DeVille. Dans la foulée, les Wild Magnolias participent, aux côtés de Dr. John, Johnny Adams, et Zachary Richard, à la New Orleans Revue montée par celui-ci, qui se produit notamment en Europe. Il faut néanmoins attendre 1996 pour que le groupe produise un nouvel album, « 1313 Hoodoo Street » pour la marque australienne AIM, suivi en 1999 par « Life Is A Carnival » pour Metro Blu. Un album anniversaire, « 30 Years & Still Wild », avec six nouveaux titres, a également été publié en 2002.


Avec les Wild Magnolias au Jazz Fest en 1995. © : Jacques Périn

La santé déclinante de Dollis entraîne ensuite une réduction progressive de son activité, d’autant que l’ouragan Katrina lui impose de s’installer en Floride. S’il transmet la direction des Wild Magnolias à son fils en 2010, il continue néanmoins à se produire occasionnellement avec le groupe, notamment au Jazz Fest, où sa dernière prestation (publiée en CD) a lieu en 2013. En 2009, le festival Banlieue Bleue lui avait permis de se produire, avec son vieux complice Monk Boudreaux, à Bobigny pour un concert très réussi. Une bonne partie des disques du groupe sont assez facilement disponibles en CD. Si aucun de leurs albums ne permet de restituer l’ambiance de leurs prestations scéniques, tous méritent l’intérêt. Les deux disques Barclay, en particulier, constituent probablement la meilleure introduction possible au son unique des Mardi Gras Indians tel qu’il a été porté pendant plus de quarante ans par Bo Dollis.
Frédéric Adrian