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Live reports / 07.11.2017

Blues Station

Institution du sud-ouest organisée par Christian Boncour, l’événement Blues Station a ceci de particulier qu’il conjugue stage de musique et concert. Pendant cinq jours, les stagiaires suivent l’enseignement de musiciens recrutés spécialement, avant que tout ce monde, stagiaires, professeurs, musiciens vedettes, se retrouve sur scène le samedi soir pour le concert de clôture.

Cette année, les professeurs sont : Abdell B Bop Bouyousfi pour la basse et la contrebasse, Sax Gordon Beadle pour le saxophone, Michel Foizon et Tonky de la Peña pour la guitare, Paul San Martin pour le piano, Denis Agenet pour la batterie, Nico Wayne Toussaint et Marcos Coll pour l’harmonica et Gladys Amoros pour le chant. Comme ça, c’est déjà très bien. Mais en plus, Christian Boncour a recruté Sugar Ray et les Bluetones qui vont eux aussi officier pendant le stage et jouer en vedettes au concert final. Les stagiaires vont donc bénéficier de l’enseignement de Sugar Ray Norcia, harmonica et chant, Little Charlie Baty, guitare, Mike “Mudcat” Ward, contrebasse et basse, et Neil Gouvin, batterie ! Le stage se déroule dans les locaux du lycée l’Oustal à Villeneuve-sur-Lot et le concert final a lieu dans la superbe salle de l’Abescat, ancienne résidence des évêques d’Agen et église paroissiale, à Tournon d’Agenais.

 


Sax Gordon

 

Arrivé sur place le vendredi pour donner une conférence sur le blues et les flux migratoires, je peux assister au filage de répétition pour le lendemain soir. Le niveau musical est élevé, l’implication est maximale, il y a de la tension, de la fatigue, mais la cohésion d’ensemble, la volonté de bien faire, la solidarité, sont impressionnantes.

Les festivités du samedi commencent à 19 heures. La salle de l’Abescat est arrangée avec des petites tables rondes et des chaises, un bar à champagne et pâtisseries à l’entrée, et un bar généraliste, boissons et repas, en milieu de salle, seul espace possible pour ceux qui n’ont pas accès aux tables.

Le concert de clôture du stage consiste en une douzaine de morceaux, au cours desquels tous les stagiaires, plusieurs dizaines, vont intervenir une ou plusieurs fois. Ils sont jeunes, plus âgés, débutants ou expérimentés, femmes et hommes, les premières étant majoritaires dans la catégorie chant, et présentes au piano, au saxophone et à la guitare, mais absentes à la rythmique et à l’harmonica. Certains ont le trac, d’autres sont à l’aise sur scène, tous se donnent à fond, tout en restant dans le cadre musical fixé, sans jamais trop en faire, encore une fois la solidarité et le respect entre musiciens sont remarquables.

 

 

 

Depuis le bar, on ne voit bien que le devant de la scène, les stagiaires étant souvent nombreux pour un même titre, beaucoup resteront cachés à notre regard. Parmi tous les talents naissants entrevus, on peut retenir Murielle Mascheretti au chant sur I don’t need a doctor, Cécile Hélin et Claire Ramos au même poste sur Bring it on home, et les performances de Isabelle Bazin à la guitare et Maëlys Baey au saxophone. On peut aussi noter la présence sympathique de musiciens de la scène blues française, venus là pour continuer leur perfectionnement, j’ai même cru au début qu’ils étaient aussi professeurs !

Le final avec tout le monde sur scène pour Mama don’t allow est joyeux et émouvant à la fois, avec ce sentiment palpable de libération après une semaine de travail intense.

C’est ensuite au tour des professeurs de monter sur scène. Les premiers à se produire sont Abdell B Bop et Denis Agenet, avec Tonky de la Peña, qui prend le chant, et Paul San Martin. Ils sont rejoints par Marcos Coll pour Killing floor. Ensuite apparaissent Gordon Beadle et Michel Foizon, celui-ci prenant le chant pour I got to get to my baby et délivrant un superbe solo de guitare bien bluesy. Nico Wayne Toussaint chante et joue de l’harmonica sur Don’t start me to talking avec JP Legout au piano. Puis Gladys Amoros prend le micro sur Sitting on top of the world avant que Gordon Beadle soit en vedette sur un incroyable There is something on your mind. Marcos Coll réapparait pour lancer le groupe sur La cucaracha façon Walter Horton en conviant Maëlys Baey à rejoindre Gordon Beadle au saxophone. Le final débridé est dirigé par Denis Agenet au chant sur le titre des Bad Mules My girl across town et termine de mettre le public en ébullition.

 


Abdell B Bop

 


Denis Agenet, Marcos Coll, Abdel B Bop, Tonky de la Peña

 


Michel Foizon

 


Nico Wayne Toussaint

 


Gladys Amoros

 

Le temps de mijoter à cette température pendant la pause et place aux vedettes américaines, Sugar Ray Norcia & the Bluetones. Disons-le tout de suite, ça va être gigantesque. Bien que fatigués par la semaine de travail, chaque journée ayant été prolongée de veillée avec des concerts improvisés, Sugar Ray et ses compères vont se dépenser sans compter. Reprises blues en provenance de toutes les régions, Reconsider babyBlues stop knocking at my doorRainin’ in my heart, un superbe Five long years avec harmonica chromatiqueoriginaux qui démontrent le talent d’écriture de Sugar Ray, Rat trap, It ain’t funny, tout est fait pour communier avec le public qui rugit de plaisir à chaque prouesse vocale ou musicale. Car celles-ci sont nombreuses : Sugar Ray est un des meilleurs chanteurs en activité, avec une voix chaude, posée, bluesy, et un harmoniciste très efficace au son chaleureux ; Charlie Baty, qui n’est pas “Little” du tout, est monstrueux à la guitare, un instrument qu’il ne cesse de tendre vers le public comme pour l’attraper et lui faire une offrande à la fois ; Anthony Geraci est une force tranquille au piano, et la section rythmique de Mudcat Ward et Neil Gouvin fait partie de celles qu’on voudrait entendre tous les jours. Gordon Beadle rejoint la troupe à mi-parcours pour Someday someway. Sugar Ray sort de scène et laisse la place à Charly Baty qui démontre son immense talent en interprétant Minor swing de Django Reinhardt, en trio avec Mudcat Ward et Neil Gouvin. C’est ensuite Gordon Beadle qui est mis en avant avec Lester leaps in de Lester Young. Tout le monde revient sur scène et commence par admirer le jeu boogie d’Anthony Geraci qui se poursuit en I ain’t mad at you façon Gatemouth Moore. C’est alors que Sugar Ray lance un vibrant hommage à Fats Domino avec Blueberry hill et toute la salle ondule en rythme, frissonnant au son particulièrement chaud de l’harmonica.

 


Sugar Ray Norcia

 


Sugar Ray Norcia, Sax Gordon

 


Charlie Batty, Sax Gordon

 


Mudcat Ward

 


Anthony Geraci

 

Pour conclure, Sugar Ray rappelle tout le monde sur scène, « tous ceux qui ont envie de chanter ou jouer quelque chose », et lance un medley Big Joe Turner dans un joyeux et enthousiaste désordre, prolongé par une ovation énorme du public. Malgré l’obligation d’un avion très tôt le matin pour partir en Hollande, le groupe accepte un dernier rappel, très court, avec Mean old world de Little Walter. Pour le public, ça s’arrête là, mais pour les stagiaires et leurs professeurs, il suffit d’aller voir les billets mis en ligne sur les réseaux sociaux pour voir que ça ne s’est pas fini comme ça et que ça reste émouvant jusqu’au départ du bus pour l’aéroport. Ce Blues Station était une première pour moi, mais j’ai pris rendez-vous pour l’année prochaine.

Textes et photos : Christophe Mourot