Big Blues Bender Night au Cahors Blues Festival
22.06.2023
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Je pense que mon premier souvenir de blues, honnêtement, c’est Johnny avec Toute la musique que j’aime à la radio. J’avais 10 ans, je trouvais sympa la guitare au début, mais ensuite j’ai compris que c’était pas ça le blues, que c’était une chanson qui parlait de blues mais que ce n’était pas un blues. Sinon, j’ai découvert cette musique-là par le biais du rock ‘n’ roll des années 1950 quand j’avais une douzaine d’années. Bill Halley, à Stop ou Encore ! La scène est gravée dans mon esprit, je me souviens du transistor, j’étais chez moi le midi, je déjeunais avec ma maman, je me souviens d’avoir entendu ça à la radio, ça a été une illumination. Et après en allant à la médiathèque, en écoutant des radios locales de l’époque, j’ai un peu plus découvert le rock ‘n’ roll, puis le blues. J’ai commencé à écouter des trucs évidents : Muddy Waters, John Lee Hooker, des trucs français comme Bill Deraime, et puis j’ai creusé. Je me suis très longtemps passionné pour le blues des années 1920-1930. Dans toutes les musiques que j’aime, parce que je n’aime pas que le blues, ce qui m’intéresse le plus c’est les origines, les premiers enregistrements. Je trouve qu’il y a une magie dans le son, une liberté formelle parce que tout est à inventer, c’est là qu’il y a le plus d’individualité et le moins de suiveur. Seulement les meilleurs nous sont arrivés. Dans le début des musiques, c’est là qu’il y a le plus d’inventivité, de fortes personnalités. Parallèlement à ça, je me passionnais pour la culture du sud des États-Unis à travers la littérature, les films.
Il se trouve qu’un éditeur m’a contacté pour me proposer un livre sur le blues. C’était un peu l’alignement des étoiles parce que j’avais envie d’écrire un livre. Je n’ai pas hésité longtemps, parce que c’est quand même un peu la seule musique que j’écoute depuis trente-cinq ans ! Il se trouvait que ça correspondait à la fin des Inrocks, j’en suis parti début juin 2018 et j’avais tout un patrimoine derrière moi d’interviews, de reportages, de choses que j’avais écrites. Je me suis dit que ce bouquin était l’occasion de les ressortir et d’en faire quelque chose.
D’une part, je ne suis ni historien, ni universitaire, ni spécialiste, je suis passionné mais avec le cœur, les tripes et les oreilles, je vais là où me mènent mes goûts. D’autres part, des bouquins historiques sur le blues, il y en a énormément, je ne vois pas ce que j’aurais pu apporter de plus. Ce que je pouvais apporter, c’était des histoires, c’est ce que je faisais quand j’étais journaliste. Cette histoire alternative, elle est liée à moi, à mes souvenirs, à ma culture, à mes reportages, à mes voyages et surtout à mes goûts. Par exemple, je me suis rendu compte que je ne parlais pas du tout de B.B. King…
Le blues que j’aime, ce sont les trucs hyper rustiques, qui se retrouvent dans le country blues ou de façon actuelle dans ce qu’on appelle le “raw blues”, le blues un peu punk. Et B.B. King, même si j’aime la soul qu’il y a dans son blues, son jeu de guitare, et que je sais l’importance qu’il a dans l’histoire du blues, quelque part il ne collait pas dans ce récit-là. J’ai suivi mon cœur. C’est une démarche subjective, avec l’envie de faire découvrir. Évidemment, je sais que je ne vais pas faire découvrir Muddy Waters, John Lee Hooker ou Howlin’ Wolf à des gens, mais je pense que je vais peut-être faire découvrir Peg Leg Howell ou Barbecue Bob, sur qui j’ai fait des encadrés. Je pense que tous les musiciens se valent. Quand j’étais aux Inrocks, je n’étais pas fasciné par les stars. Un type qui a enregistré quatre morceaux qui me scotchent est plus intéressant qu’un type qui a enregistré quarante albums dont je vais en aimer deux. J’ai été très influencé par les idées d’Alan Lomax et de Bill Ferris, l’idée de donner une voix aux sans voix. Je ne suis pas un porte-parole, mais l’idée que des gens qui n’ont pas fait de carrière sont intéressants par leur histoire ou par leur musique, en général les deux, m’intéresse.
C’est comme une photo. Il y a une personne, il y a un décor, un fond, une profondeur de champ. Je vais partir de cette personne pour raconter ce qu’il y a autour. D’une façon générale, en musique, je n’aime pas le mainstream, je fantasme des choses. Les gens qui sont hyper médiatisés, dans des circuits commerciaux, ça va a priori moins m’intéresser qu’un type qui sort son premier album, qui n’a jamais fait d’interview et qui a l’air complètement déglingué.
J’aime que les deux soient en corrélation. Par exemple quand j’avais appris que Seasick Steve avait complètement construit son personnage, que c’était un mec qui avait bossé en studio, c’était un peu décevant mais en même temps être artiste c’est de l’artifice, c’est construire une histoire, une image… Ça remonte à Blind Joe Death, soit John Fahey enregistré par Joe Bussard sous le titre d’“Authentic negro music” alors que Fahey est blanc… Je reconnais qu’il y a toute une partie du blues un petit peu plus institutionnel qui m’intéresse moins, mais je suis comme ça avec toutes les musiques. Je préfère les choses un peu moins balisées.
J’aime beaucoup l’album d’Automatic City, j’aime bien l’album de Willie Farmer aussi, le Cedric Burnside est sorti il y a moment mais je l’écoute toujours beaucoup…
Propos recueillis par Frédéric Adrian à Pantin le 29 mars 2019.
• Blues Power – Une Histoire Parallèle du Blues, GM Éditions, 256 pages, 21,50 €.