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Live reports / 22.08.2012

BLUES EN LOIRE

Dix ans, ça s’arrose ! Avec du pouilly fumé, du sancerre et du coteau charitois, comme il se doit à La Charité-sur-Loire. Plus sérieusement, Blues sur Loire a mis les petits plats dans les grands pour offrir non pas deux, mais quatre jours de concerts. Dès le mercredi, L.R. Phoenix, Kenny "Blues Boss" Wayne (seul ou en formation), Rag Mama Rag, Flyin’ Saucers Gumbo Special et Sugaray se succéderont sur les différentes scènes pour donner son envol à un festival qui, cette année encore, va assumer la permanence et la pertinence de ses choix artistiques.

 

Nous arrivons le vendredi après-midi pour assister, dans le cloître tout récemment restauré, au concert d’Olivier Gotti, vainqueur du dernier tremplin de Blues sur Seine. Même seul et à la guitare électro-acoustique, le jeune Marseillais sait occuper l’espace sonore par son engagement, sa personnalité et un répertoire qui ratisse large tout en restant cohérent. Blues certifiés, ballades folk et reprises pop (Michael Jackson) cohabitent en bonne intelligence.
 


Olivier Gotti

 

Las Vargas est la nouvelle sensation de la scène rockabilly/rock’n’roll et il suffit de la voir pour comprendre pourquoi. La demoiselle a de l’abattage, un charme carnassier auquel il est difficile de résister, mais surtout une présence et une voix en adéquation avec le style qu’elle perpétue.
 


Sandra Vargas
 

En anglais, mais aussi en espagnol, elle ranime ce bon vieux rock’n’roll avec un humour acéré et un bel appétit, puissamment secondée par des musiciens complices : Francky Gumbo à la guitare, Stéphane Barrel à la contrebasse et Denis Agenet à la batterie.
 

 
Las Vargas
 

Pas un instant à perdre pour rallier le Cellier des moines, petite salle voûtée et enterrée à la belle acoustique où Tao Ravao et Vincent Bucher attendent. Il y avait quelque temps que je ne les avais entendus ensemble et leur association me semble plus aboutie encore que dans le passé. Assis, Tao gratte, caresse, pince les cordes de toutes sortes d’instruments : guitares en tout genre et valiha malgache. A son côté, debout, Vincent semble malaxer entre ses mains ses harmonicas, comme pour en pétrir les sons.


Vincent Bucher
 

Ensemble, ils réussissent une osmose heureuse entre le blues (hommages à Muddy Waters, Hooker ou Willie Dixon) et les musiques africaines, qu’elles viennent du Nigeria (juju), d’Afrique du Sud ou de la Grande Ile. Compositions originales et reprises rivalisent de délicatesse et de feeling. L’harmonica que l’on a trop vite assimilé au seul blues se coule dans tous les méandres de ces ambiances colorées. Tao et Vincent nous ont offert un moment de pur bonheur !
 


Tao Ravao

 

Dans la salle de la Halle aux grains, Dave Herrero et Felix Reyes ouvrent le soirée. Avec ces deux piliers de la scène d’Austin (même si Herrero est maintenant basé à Chicago), l’heure est au bon gros rock blues texan, bien roboratif, efficace mais qu’on aimerait plus nuancé parfois. Herrero est l’incontestable leader, mais j’ai apprécié les quelques interventions de Felix Reyes et particulièrement son interprétation savoureuse de Tu es mon chéri à la mode zydeco. Ils étaient accompagnés par deux "vieilles" connaissances, Abdell B.Bop à la basse et Pascal Delmas à la batterie, la rythmique la plus soudée du Sud-Ouest !
 

 
Dave Herrero avec Pascal Delmas à la batterie


Felix Reyes avec Abdell B. Bop à la basse

 

Les séjours prolongés de Nico Wayne Toussaint aux Etats-Unis ont porté leurs fruits. Il donne maintenant un vrai show dans lequel il s’investit totalement. Il sait communiquer, il a appris à bouger et il n’hésite pas à mouiller sa chemise. Pas un temps mort, pas de répit dans son set mené tambour battant, nourri par le répertoire de son dernier album (très belle version de My own medecine de R.J. Misho) et quelques reprises bien choisies chez Snooks Eaglin et, forcément, James Cotton (l’imparable Creeper creeps again).

 


Nico Wayne Toussaint
 

L’orchestre ne le trahit pas avec Guillaume Destarac aux drums, Antoine Perrat à basse (et ponctuellement au sax) et le toujours captivant Florian Royo à la guitare.
 

 
Nico avec Florian Royo
 

Le lendemain samedi, dès 11 heures, Olivier Gotti distrait l’attention des Charitois venus faire leur marché sur la place centrale et, à 14 heures 30, c’est au Cellier des Moines qu'il faut aller pour entendre Chaney Sims avec son papa, Bill Sims Jr. Nous avions déjà apprécié ce dernier l’an passé au même endroit. Il récidive donc, offrant un large panorama de la black music, de Paul Robeson au blues et à la soul, et passant avec aisance de la guitare au piano. Cette vision très didactique de la musique et de la culture afro-américaines renvoie au courant folk blues progressiste new-yorkais. La même démarche habite Chaney Sims même si son ancrage jazz la distingue. Elle chante avec grâce et nuance et conclue, en rappel, sur un thème de Leon Thomas.
 

 
Bill Sims Jr et Chaney Sims
 

Craignant la pluie (qui ne viendra pas), la scène du cloître a été déplacée dans une vaste salle pour accueillir La Planche à laver. La composition du groupe est inhabituelle : clarinette, banjo, saxo basse et washboard, et son répertoire fait preuve d’une belle érudition, en mêlant jazz nouvelle-orléans, r&b du même tonneau et biguines. Seul problème, le groupe censé leur succéder est en retard et il leur faut "meubler", ce qu’il font avec professionnalisme, mais l’ennui guette au bout de deux heures. Heureusement, Bo Weavil finit par arriver (ils jouaient en Suisse la veille). Maintenant accompagné par Miguel Hamoun à la contrebasse et Denis Agenet aux tambours, Matt Fromont mixe compos originales à ses reprises millésimées de Howlin’ Wolf, John Lee Hooker ou Elmore James avec une érudition et une implication évidentes,  même si je reste nostalgique de son tandem avec Vince Talpaert.
 

 
Matt de Bo Weavil
 

C’est dans la Halle aux grains que va se jouer le dernier acte de ces quatre jours de célébration du blues. Les membres de l’orchestre de Philippe Ménard lui sont toujours fidèles : ses pieds pour les percussions, ses mains pour les guitares, un doigt parfois pour le bottleneck, sa bouche toujours pour l’harmonica suspendu au rack et le micro. De quoi occuper l’espace sonore aussi bien que n’importe quel "power trio" ! Tour à tour, le révérend Gary Davis, R.L. Burnside, Robert Johnson ou Bo Diddley sont convoqués, mais aussi son mentor Rory Gallagher avec une version habitée de Laundromat. Le public en redemande et il faut bien le Madison blues d’Elmore James pour le rassasier.
 

 
Philippe Ménard et son orchestre…
 

L’album "And Still I Rise" de l’Heritage Blues Orchestra – nouvel et ambitieux projet porté par Larry Skoller – a obtenu "Le Pied" de Soul Bag (n° 206). Sa déclinaison scénique est restée limitée à Aulnay-sous-Bois et Jarnac, elle gardait donc toute sa fraîcheur à La Charité en clôture de Blues en Loire. On connaît l’argument : il s’agit de revisiter l’histoire du blues à travers quelques œuvres marquantes en les rehaussant d’arrangements nouveaux prodigués par des guitares, un clavier, un harmonica et une section de cuivres innovante. Autour du noyau formé par Bill Sims, sa fille Chaney et l’excellent Junior Mack (qui gagnerait à être mieux connu), se sont amalgamés l’harmonica virtuose et toujours étonnant de Vincent Bucher et le saxophone ténor de Bruno Wilhelm qui signe les arrangements des deux trompettistes et du tromboniste, accessoirement tubiste.

 


HBO :  Chaney Sims, Junior Mack et Vincent Bucher
 

On pouvait craindre l’absence de Kenny "Beedy Eyes" Smith à la batterie, retenu ailleurs ; le choix risqué de Julien Audigier (Nina Attal) pour le remplacer s’est avéré totalement pertinent. Même si c’est souvent à une relecture de l’album à laquelle nous avons assisté, personne n’a pu s’en plaindre tant la perfection et l’implication de chacun était palpable. Preuve que le blues est toujours capable de nous fasciner, même (surtout) lorsqu’il se pare de nouveaux atours sans rien perdre de son pouvoir émotionnel. L’Heritage Blues Orchestra est une belle aventure et une idée brillante qui méritent d’être découvert par le plus grand nombre.
 

 
Chaney Sims
 

Merci à Elisabeth, Fabien, Jean-Baptiste et tous les autres pour faire vivre depuis dix ans ce beau festival sur les bords de Loire, et aussi pour faire résonner le blues tout au long de l’année avec des concerts à guetter sur www.lechatmusiques.com.

 

Jacques Périn

 

Photos © Alain Jacquet