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Live reports / 20.03.2014

Blues autour du Zinc

La soirée inaugurale de l’édition 2014 du festival nous mène à l’Ouvre-Boîte, une salle à dimension humaine qui convient bien à Guy Davis, toujours aussi sympa et soucieux d’expliquer le choix et l’origine des titres qu’il interprète. Car hormis Did you see my baby et son harmonica virevoltant dans l’esprit de Sonny Terry, il ne fait que des reprises. Mais Guy sait personnaliser ses chansons, qu’il s’agisse de titres peu connus empruntés à Ishman Bracey comme Saturday blues, ou des classiques comme Little red rooster, That’s no way to get along ou encore Statesboro blues. D’autant que Guy ne manque ni de talent et ni maîtrise. D’une égale aisance à la 6-cordes et à la 12-cordes, son jeu est plus complexe qu’il n’y paraît, et il parvient à reproduire les sonorités singulières d’un Blind Willie McTell, non pas en reprenant ce dernier (Statesboro blues, donc…), mais le temps d’une lecture grisante du Bumble Bee blues de… Bumble Bee Slim ! Et puis il y a évidemment cette voix, d’une puissance rare et naturelle, grainée et expressive comme on les aime. Guy Davis s’impose en remède idéal contre l’ennui.


Leyla McCalla

Née à New York, installée à La Nouvelle-Orléans et d’origine haïtienne, la jeune (28 ans) Leyla McCalla pourrait bien devenir l’ambassadrice d’une certaine world music métissée. Il se dégage un peu de candeur de son visage d’ange, mais aussi l’envie de transmettre un message fort. Un peu comme son mentor Langston Hughes, acteur de la Harlem Renaissance dans les années 1920, mais plus poète qu’activiste. Il est peu question de blues dans la musique de Leyla. Davantage de folk mais pas seulement car elle s’exprime aussi en créole (Manman Wen, Kamèn sa w fè ?, Latibonit) dans la tradition caribéenne. Dans un registre qui nous est plus familier, elle revisite son récent et premier CD, dont le titre «Vari-Colored Songs » résume très bien son état d’esprit (Heart of gold, When I can see the valley, Love again blues avec la complicité de Guy Davis à l’harmonica, Changing tide). Elle s’accompagne d’un banjo minimaliste mais se démarque au violoncelle dont elle se sert comme d’un instrument hybride, entre contrebasse et guitare. Et quand elle utilise un archet comme sur le reel final, elle atteint une épaisseur sonore qui fait oublier qu’elle est seule sur scène. Enfin, à l’instar de Guy Davis, Leyla McCalla démontre de réelles prédispositions au chant, avec une voix pleine de pureté, ample et chaleureuse.


Eric Bibb

La soirée va d’ailleurs combler les amateurs de beaux vocalistes, Eric Bibb n’ayant bien sûr rien à envier à quiconque dans le domaine… Il débute avec quelques titres qui ne sont pas ceux qu’il interprète le plus souvent (New home, Shingle by shingle, Turner station), mais sa discographie désormais des plus étoffées lui permet justement d’éviter de se répéter… L’énergie est d’emblée présente, c’est musclé et même viril, impression accentuée par le fait qu’Eric s’accompagne d’un groupe complet et… compact ! La rythmique gronde et rebondit (Malcolm Neville à la basse, Paul Robinson à la batterie), la guitare de Michael Jerome Browne sonne bien (New World comin’ through) même s’il est un peu moins expansif que les autres, et Glen Scott aux claviers confirme qu’il n’est pas seulement arrangeur et/ou producteur. Séduits par son travail sur les disques d’Eric, dont bien sûr le dernier en date, « Jericho Road », nous avons découvert un musicien accompli au jeu riche et même dense quand il s’agit de contribuer à la ferveur ambiante, parfaitement dans son élément et qui n’en rajoute pas. Pour revenir au leader, on s’étonne même de la force contenue dans les ballades (Connected, For you), surtout quand elles recèlent des textes aussi magnifiques que sur Weyfaring stranger. Mais un concert d’Eric Bibb sans titres churchy, sur lesquels son exaltation prend toute sa dimension, nous paraîtrait inachevé. Et là, implacable, histoire de bien nous marquer de son empreinte, il les a rassemblés en fin de show. Le rituel semble obéir à un savant dosage : ça commence presque « doucement » (Needed time), ça s’enivre progressivement (With my maker I’m one, I heard the angels singing), le premier acte s’interrompt le temps d’un entracte en solo (Going down slow), prélude à une fin en fusion (Troubadour, Don't ever let nobody drag your spirit down) qui emporte tout sur son passage. Et cette façon consommée de gérer un concert n’est pas la moindre vertu chez cet artiste plus que jamais au sommet de son art.
Une soirée pleinement réussie pour ouvrir ce festival qui s’achèvera ce week-end. Enfin, n’oublions pas de souligner que si nous avons la chance d’entendre et de voir de tels artistes se produire, c’est en grande partie grâce au label français Dixiefrog et à son fondateur Philippe Langlois, qui œuvre avec goût depuis 1986…
Texte : Daniel Léon
Photos © Corinne Préteur