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Chroniques / 17.01.2022

Blue Planet, hiver 2021-2022

La production relevant de Blue Planet ayant été abondante en fin d’année 2021, nous n’avons pas pu tout traiter dans l’édition papier de Soul Bag. En voici donc une extension en ligne que nous publions pour rester aussi synchrone que possible avec le rythme des publications.

Nous commençons avec Krissy Matthews, ex-enfant prodige de la guitare, remarqué par John Mayall, B.B. King, Robben Ford ou Walter Trout, qui, en grandissant, s’est forgé une identité de plus en plus personnelle. Comme souvent, cela s’est fait au profit d’une musique plus rock que blues, dans un moule un peu convenu, tout comme les textes dans l’air du temps, il faut sauver la planète, se méfier des réseaux sociaux et profiter de ce qu’on a même si ce n’est pas beaucoup. On ne s’ennuie pas pour autant avec des titres comme le groovy Hairdryin’ drummer man, ou le morceau titre Pizza man blues. À noter que le titre Grateful fait l’objet d’une deuxième version avec Layla Zoe au chant et un solo de clarinette.

Endless Boogie compte cinq membres et sort son cinquième disque dont le nombre de titres limité à sept ne donne pas une bonne idée de la durée qui grimpe à 78 minutes. Les titres sont effectivement longs, en rapport avec le nom du groupe, et deux dépassent même 22 minutes. Enregistré en Suède, à Brooklyn (New York) et au Texas en 2018 et 2020, le disque est porté par la voix country rock et les guitares saturées dont les solos s’enchaînent dans de longues improvisations qui pourraient être séquencées en morceaux plus courts plus faciles à appréhender pour ne pas rater les nombreux passages intéressants.

Pierluigi Petricca construit un univers sombre et désabusé, annoncé par les photos en noir et blanc de la pochette de son disque, justement intitulé “Bad Days”. Guitare acoustique, électrique, Dobro, percussions, chant, Pierluigi fait tout lui-même hormis une basse invitée sur trois titres. Électricité ou pas, finger picking ou slide, chaque guitare est utilisée avec précision et justesse. Le chant est éraillé, avec un timbre profond, rendant les textes convaincants. Des chœurs viennent transcender l’intimité de certaines chansons pour porter un espoir collectif.

Quand il est sur scène, Jérôme Pietri fait lui aussi tout tout seul, mais, sur disque il est accompagné de François Blanc à la basse, Chris Borano ou Thierry Domas à la batterie et Fabienne Della Moniqua aux chœurs. Il défend des thèmes qui lui sont chers, la sauvegarde des océans, des rivières et de la terre en général, avec des chansons comme Plastic ocean ou Fishing in the rain. Ses guitares sont superposées en couches, rythmiques, solos, slide, et il en joue généreusement, étirant nombre de morceaux vers des durées peut-être excessives. Au milieu d’un ensemble qu’il sera intéressant de le voir défendre en one man band sur scène, la reprise du Money de Pink Floyd est un peu décalée.

Andres Roots distille un nouvel EP de pur plaisir acoustique où le jeu en slide est utilisé avec parcimonie, comme pour prolonger les notes égrenées aux doigts et pas plus. Nul ne mélange les univers comme lui, fusionnant blues et musique classique, et donnant ainsi une vie étonnante à certains titres comme le superbe Bye bye Berry qui mêle blues, ancien et moderne, phrases classiques ou hispanisantes.

Didier Marty chante en français et en profite pour faire passer des rimes et des jeux de mots bien à lui – que pensez-vous de « alcoolisé au rhum sur les marches du Colysée à Rome » ? – qui apportent de l’humour à des textes qu’on pourrait trouver pessimistes s’ils ne se terminaient pas souvent sur une possibilité de sortie des galères, de rédemption des fautes. Pilier de la scène française, Didier a orné de son saxophone de nombreux disques de rock, blues, variété, avec son talent à tout jouer, placé et juste. Accompagné ici, entre autres, de Jérémie Tepper à la guitare et Diabolo à l’harmonica, il envoie dix compositions qui parlent de ses origines, sa vie, et on comprend d’où vient l’épaisseur de son jeu.

Justin Adams a joué de la guitare avec Robert Plant, et Mauro Durante de son violon dans des contextes variés, musique classique, jazz, rock, blues, musiques du monde. Quand les deux s’allient, on se doute que leur blues ne sera pas commun, mélange de blues traditionnel, de musiques africaines et des Pouilles, la région d’Italie chère à Mauro, aux vertus réputées guérisseuses. Ça se perd parfois en route mais le boogie hookerien Dark road down, le punky Calling up et le prenant Djinn pulse valent le détour.

Il y a aussi du violon avec Margaux Liénard et Julien Biget mais un modèle particulier dit “Hardanger” du nom de la région norvégienne où un musicien ingénieux a inventé un instrument avec quatre cordes jouées de façon classique à l’archet et quatre ou cinq autres sous-jacentes, réglées sur des tonalités différentes, qui se mettent en mouvement sous l’effet des vibrations de la caisse du violon. C’est Margaux qui joue de ce violon spécial, Julien l’accompagnant au bouzouki, les deux chantant tour à tour. Ils interprètent des airs traditionnels norvégiens, polonais, québécois, ou issus du répertoire blues ou assimilé de Leadbelly ou Blind Willie Johnson. Le morceau-titre Don’t go dancin’ donne paradoxalement envie de danser, tout en entretenant la mélancolie qui étreint tout le disque.

Avec l’ensemble Soul Garage Experience, Fabrizio Grossi propose un soul blues rock à gros son, guitares, harmonica, claviers, chœurs et invités comme Alastair Greene et Bette Smith. Celle-ci n’intervient que ponctuellement car le micro est majoritairement tenu par Diamond Meeks dont la voix particulière vaut le détour. C’est parfois épais, voire indigeste mais il y a de bonnes choses, notamment I never thought that you loved me, funky et soul, très entraînant.

Sur le disque “Selfies & Mood Swings”, Karl Strand est conforme à ce que nous avons vu de lui sur scène dans le Lot-et-Garonne : country rock, honky tonk, ambiances sombres, guitare claire au son qui renvoie aux classiques du genre dans les années 1940 et 1950, de même que le chant dont le côté nasillard et gouailleur fait plaisir à entendre.

Les Belges Ragged Roses ont aussi un pied dans le rockabilly et le rock ‘n’ roll de la grande époque mais sont plus que des revivalistes. La haute tenue de leur son, leurs compositions, les nombreux traits de guitare inspirés du rock d’années plus récentes, montrent que ce sont des rockeurs de leur temps, assumés et talentueux. Katrien Van Proeyen au chant, Bart Rico à la guitare, sont les deux points d’attraction du groupe mais il ne faut pas oublier Sebi Lee qui, en plus de la contrebasse, apporte aussi des contrepoints au piano et au saxophone. Rock ‘n’ roll, néo rockabilly, psychobilly, guitars twangy, ambiances sépulcrales, envolées tarentinesques, ils maîtrisent les codes et leur disque “Do Me Right” défile vite. À noter la reprise de Runaway de Del Shannon, plus connue en France à travers le tube Vanina de Dave en 1975.

Terminons dans le rock ‘n’ roll mais pas seulement avec Matthieu Boré et son disque “Rumble In Montreuil” où il est très bien accompagné par Mat Le Rouge, saxophone ténor, François Sabin saxophone baryton mais aussi guitare, orgue et accordéon, Stéphane Barral à la contrebasse et G.G. Kong à la batterie. L’approche “rétro”, qui peut sembler étroite à certains, ne l’est absolument pas ici puisque Matthieu ne se cantonne pas au rock ‘n’ roll ou au rhythm and blues mais y ajoute habilement une grosse dose de rocksteady, un style positionné chronologiquement entre le ska et le reggae, les morceaux relevant de ce genre étant placés dans le disque comme autant de points de repère. Le son est superbe, la musique est entraînante, et le chant est propre, très propre, au point qu’on peut ressentir un manque de roublardise. Ne manquez pas l’excellent Even puppy bite en fin de disque.

Christophe Mourot

Justin Adams & Mauro Durante
“Still Moving”
Pondera Music

Matthieu Boré
“Rumble In Montreuil”
Bluz Track

Endless Boogie
“Admonitions”
No Quarter

Fabrizio Grossi & Soul Garage Experience
“Counterfeited Soulstice”
fabriziogrossi.com

Margaux Liénard & Julien Biget
“Don’t Go Dancin’”
lienardbiget.com

Didier Marty
“Mes Etats d’Âme”
didiermarty.com

Krissy Matthews
“Pizza Man Blues”
Ruf

Pierluigi Petricca
“Bad Days
pgpetricca.eu

• Jérôme Pietri
“Last Of The Fishing Days”
Phoebus Musik

The Ragged Roses
“Do Me Right”
Rootz Rumble

Andres Roots
“Afternoon”
Roots Art

Karl Strand
“Selfies & Mood Swings”
Constance

Blue PlanetChristophe Mourot