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Interviews / 07.10.2021

Big Creek Slim : « Je veux innover dans l’ancien »

On le sait, la scène blues scandinave est riche et variée. Depuis plusieurs années, le Danois Big Creek Slim, de son vrai nom Marc Rune, y distille un blues qu’on peut apprécier à l’écoute des disques qu’il a sortis à un rythme étonnamment soutenu, à partir du premier enregistré en 2008 avec Henry Gray. Si, à première écoute, son blues peut sembler ancien, il est en réalité rempli de nouveautés qu’il introduit dans la musique dont il ne cesse de chercher les racines. Entretien.

Où êtes-vous né ?

Je suis né à Ikast au Danemark en 1983. C’est une petite ville d’industrie textile au milieu et à l’ouest du Jutland et mon père y avait une petite entreprise de production. Ni mon père ni ma mère n’était musicien, mais d’une façon ou d’une autre mon frère et moi nous y sommes mis.

Qu’est-ce qui vous amené à la musique en général et au blues en particulier ?

Chanter a toujours été quelque chose de naturel dans ma vie. Rien de mystérieux à cela. Un jour à l’école, mon professeur de musique m’a demandé de me mettre debout et chanter Tutti frutti pendant qu’il jouait de la guitare. Il s’est alors tourné vers le reste de la classe et a dit un truc comme : « Vous avez vu ? Il a des couilles ! » Je pense que ça a déclenché quelque chose en moi !

Plus tard, je me suis amélioré à la guitare, et tout d’un coup j’ai pu chanter et jouer en même temps. Au début, je jouais de la country music et du rock ‘n’ roll, mais quand j’ai découvert le blues noir, ça m’a inspiré différemment. Aujourd’hui encore, je ne pourrais pas vraiment décrire ce qui m’a attiré dans le blues, mais je trouvais que Muddy Waters et Lightnin’ Hopkins étaient des hommes totalement différents des musiciens de mon époque. C’étaient plus des modèles pour moi que les idoles de mes copains de classe. J’avais 13 ans à ce moment-là.

Vous jouez un blues plutôt ancien, principalement acoustique, pourquoi cela ?

Je joue un style de blues ancien parce que c’est celui que j’aime. Le blues contemporain ne m’intéresse pas. Ce que d’autres personnes appellent évolution, j’appelle ça dilution. Les gens mettent de plus en plus de son moderne dedans mais restent souvent collés aux mêmes vieux clichés.

J’essaie de faire l’inverse. Je reste dans le blues ancien et j’essaie d’inventer à l’intérieur. Je crois qu’une tradition forte mène à de meilleures inventions. Le blues acoustique ancien et le blues électrique des débuts sont de très bons exemples de ça. Ce qui est arrivé dans les années 1960 était très bien aussi mais quand le blues a commencé à changer de couleur et perdre ses racines, il s’est affaibli, alors que les Noirs continuaient d’inventer de nouveaux styles de musique et s’y tenaient.

© DR

“Je reste dans le blues ancien et j’essaie d’inventer à l’intérieur.”

Big Creek Slim

Mais il y a des exceptions comme votre album “Ramblin’ Big Creek” avec les Cockroaches et Diunna Greenleaf ou votre premier disque “Hope For My Soul” qui sont plus électriques.

Mes deux premiers disques “Hope For My Soul” et “Keep My Belly Full” ont été produits par mon bon ami Peter Nande. Son idée était de me sortir de ma zone de confort et voir jusqu’où il pourrait m’emmener. C’est pourquoi ces deux albums sont très variés. Ils sont plutôt bons mais je ne les aurais pas faits comme ça aujourd’hui. Ils sont variés mais sans véritable identité. Je pense que “Ramblin’ Big Creek” a ça, de la diversité et une identité.

Comment avez-vous rencontré Nathan James, Christian Rannenberg, Rodrigo Mantovani, Diunna Greenleaf ?

J’ai rencontré Nathan James et Christian Rannenberg quand on a fait “Hope For My Soul”. Peter Nande avait travaillé avec eux avant et il les a fait venir pour la session. Nathan est un musicien multi-instrumentiste et un producteur de talent, et Christian est un des meilleurs pianistes européens. Il dit avoir appris avec Sunnyland Slim.

Rodrigo Montovani et moi avons joué et voyagé ensemble au Brésil. C’est une de mes compagnons musicaux favoris. Il joue de la contrebasse d’une façon qui me fait voler. Il garde le groove si fortement que je ne peux rien jouer de mal. C’est la liberté !

J’ai vu Diunna Greenleaf au King Biscuit Blues Festival à Helena, Arkansas, en 2007 quand je voyageais dans le Sud. Elle était, et est toujours, la meilleure chanteuse de blues que j’ai jamais vue sur scène. Des années plus tard, nous avons partagé l’affiche du festival Blues Heaven à Frederikshavn au Danemark, et je la considérais comme la reine en même temps qu’une bonne amie. Sa participation à “Ramblin Big Creek” a été un tournant dans ma vie.

Parlez nous de Straight Shooter Records.

Straight Shooter est la maison de disques de Peter Nande. Je l’appelle Monsieur 25/7 parce qu’il s’occupe de plein de choses professionnelles et de beaucoup de gens en même temps. Il a des artistes danois de blues et de musique roots dans son écurie, y compris lui-même. Il fait les choses à sa manière pour aider tous ceux qu’ils trouvent intéressants. Il travaille énormément.

Vous sortez environ un album par an, parfois plus, comment avez-vous emmagasiné autant de chansons ?

Je joue du blues depuis que j’ai 13 ans, donc j’ai été au contact de beaucoup de matière musicale pendant ma vie. Dès le début, j’ai aimé composer mes propres chansons. Je ne me posais pas de questions, je le faisais, c’est tout, et je n’ai jamais arrêté depuis. J’ai beaucoup plus de chansons propres à enregistrer que ce que j’ai mis sur disque jusqu’à présent. Je ne m’assieds pas pour écrire une chanson, je marche plutôt en rond pour les concevoir. Parfois j’en fais plein d’un coup, d’autres fois je n’arrive à rien. Tout dépend de mon humeur, et beaucoup de chansons sont comme des thérapies pour moi. Je soulage mon esprit et j’avance.

Comment avez-vous vécu la période pandémique ?

Je suis resté au Brésil pendant la première période de la pandémie. Je suis retourné au Danemark dès que la situation s’est améliorée. Le Brésil est en mauvaise condition, du point de vue de la pandémie, du point de vue politique et ainsi de suite.

Quels sont vos projets ?

J’ai un nouveau disque qui va sortir, avec Rodrigo Montovani. Je pense que c’est mon meilleur à ce jour. En dehors de ça, je ne suis pas très sûr de ce que l’avenir nous réserve. J’espère pouvoir recommencer à voyager.

Propos recueillis par Christophe Mourot en juillet 2021.
Photo d’ouverture © DR / Courtesy of Straight Shooter Records

© Beate Grams

À écouter :

• Les deux derniers disques de Big Creek Slim, “Migration Blues” (Straight Shooter, 2020) et “Twenty-Twenty Blues” (Straight Shooter, 2021) sont chroniqués dans Soul Bag n° 244 et ont reçu 4 étoiles chacun.

• “Ramblin’ Big Creek” (Straight Shooter, 2019) ★★★★★ (Le Pied!)
Ce disque est un des rares où Big Creek Slim est entouré d’un orchestre complet avec section rythmique, clavier, cuivres, deuxième guitare, Slim étant lui-même à la guitare et à l’harmonica. Fidèle à son credo, il se positionne à l’origine du blues électrique orchestré, époque Sun, Trumpet, Aristocrat et autres petits labels de Chicago, avec ce swing frustre et particulier qui en caractérisait les disques. et des cuivres prenant parfois une saveur néo-orléanaise appuyée. Diunna Greenleaf chante avec autorité sur les deux dernières plages de l’album.

• “First Born” (Chico Blues, 2018) ★★★★
16 titres de blues anciens, où la voix et la guitare de Big Creek Slim sont soutenues par en la contrebasse de Rodrigo Mantovani et d’un tuba occasionnel qui apportent une rondeur et une élasticité en délicieux contraste avec le son rude et métallique de la guitare. Slim joue aussi de l’harmonica sur quelques titres.

• “Hope For My Soul” (Straight Shooter, 2015) ★★★★
Avec Peter Nande à l’harmonica, Christian Rannenberg au piano, Nathan James à la production, c’est le premier disque de Big Creek Slim sur Straight Shooter. Early Memphis et Chicago blues, avec cuivres ou non, la musique est d’une rude maturité qui impressionne. Les reprises de classiques n’en sont plus tellement Slim les réinvente. Nathan James habille l’ensemble dans un son brut rempli d’écho qui met l’auditeur dans une bulle hors du temps.

bigcreekslim.dk

Big Creek SlimChristophe Mourot